Jérôme Rocipon : La vie après Numéro#
C’était en 2009. Peu après s’être livré à un Sport de combat, Numéro# jetait l’éponge. Jérôme Rocipon, interprète et parolier, a poursuivi son chemin à l’ombre des projecteurs. Infiniment discret au cours de la dernière décennie, il dévoilera bientôt les fruits de son retrait avec un film (son premier) présenté dans le cadre du FIFA.
Le premier album de Numéro#, L’idéologie des stars, a eu un impact retentissant sur les millénariaux plus âgés. «Vodka, caramel, chewing fraise, minijupe et caresses en amoureux.» La chanson doublée d’un vidéoclip coloré de Paul Laberge reste pour plusieurs indissociable de leur éveil sexuel et des dernières belles années de la télé vidéo en stéréo. «Je m’en rends compte un peu, admet Jérôme Rocipon. C’est drôle. Moi, à cette époque-là, j’étais loin d’avoir ça en tête. […] Pour les plus jeunes, MusiquePlus était encore un repère à cette époque-là. Ça, on le comprenait. On le voyait, genre, avec les ados qui assistaient à nos shows ou juste par les messages qu’ils nous envoyaient sur les réseaux sociaux du temps.»
Pas moins de 13 ans nous séparent aujourd’hui de la sortie de ce single initiatique – dans tous les sens du terme. Lauréat du Félix du meilleur album électronique en 2007, le duo au hashtag inversé et complété par Pierre Crube a laissé une marque durable sur la pop francophile. Numéro# aura été une comète. Malgré l’influence évidente qu’il a notamment eue sur Miki Bangs (Bengale) et une poignée d’autres héritiers, Jérôme Rocipon s’est réorienté vers le journalisme. Les rôles, dans sa vie, s’en sont trouvés inversés. Maintenant, c’est lui qui pose les questions. «C’est très bizarre comme position, en fait, des fois.» Depuis plusieurs années, le vocaliste et auteur travaille à titre de recherchiste à la télévision. Il collabore, essentiellement, à tous les projets de l’animateur Sébastien Diaz. «Je suis chez Trio Orange. En fait, je t’ai même pas dit ça, mais j’ai travaillé sur la dernière saison de Voir à Télé-Québec! […] Après, j’ai enchaîné sur Formule Diaz et puis là, je travaille sur son émission qui passe à ARTV, L’effet wow. Des fois, j’ai des petites piges pour d’autres boîtes de prod ou pour Radio-Canada. Je fais mon petit bonhomme de chemin comme ça.»
Accoutumé aux coulisses, à l’envers du décor, le communicateur signe un documentaire intimiste où il se met notamment en scène avec son amie Donzelle. Coucou l’artiste se construit autour de confidences spontanées, d’entrevues décontractées, de séances de jam d’abord immortalisées par l’entremise de son téléphone intelligent dès 2015. Pour résumer grossièrement: c’est une autobiographie d’une quarantaine de minutes cuisinée à la bonne franquette. «Je t’avouerais que si j’avais eu le budget, tout ça, et les connaissances techniques, c’est sûr que j’aurais donné une allure encore plus cinématographique à mon film. […] J’ai composé avec [ces contraintes], donc c’était pas un empêchement. J’ai quand même réussi à faire le film pareil, mais c’est vrai que j’ai fait avec ce que j’avais sous la main.»
L’histoire commence lorsque l’aspirant réalisateur (Rocipon) reçoit un chèque de redevances de la SOCAN, un montant assez substantiel qu’il décidera de réinvestir dans l’achat d’une caméra domestique. L’esthétique du moyen métrage sera teintée par cet objet, une facture visuelle qui, mine de rien, sert aussi le propos du film. On n’a qu’à penser à Jacques Bertrand Junior, le premier intervenant, poète de brousse de son état, un créateur qui carbure avec les moyens du bord. Bien qu’il roule sa bosse depuis de longues années, il n’a jamais croisé la popularité sur sa route. Il ne l’espère pas non plus.
Le rapport au succès est un thème récurrent dans la pratique désormais bidisciplinaire de Jérôme Rocipon. En 2006 et avec les textes de L’idéologie des stars, le Montréalais d’origine française s’interrogeait déjà sur le statut de l’artiste au sens large. De son propre aveu, cependant, le regard qu’il porte à l’industrie du spectacle a beaucoup évolué au fil du temps. Son point de vue, élaboré dans Coucou l’artiste, témoigne même d’une certaine désillusion à l’égard de son ancien métier. «D’abord parce que le showbiz lui-même a beaucoup changé, surtout en ce qui a trait à la musique. On s’entend que l’industrie musicale est devenue, pour beaucoup de monde, une industrie très pauvre, entre guillemets, dans le sens que c’est très difficile aujourd’hui de gagner sa vie, disons, en vendant de la musique. Ma vision n’est pas déconnectée parce que je m’y intéresse toujours, mais c’est sûr que je n’en fais plus partie. […] Ce n’est pas que je sois vieux, mais c’est vrai que les choses ont beaucoup changé avec les réseaux sociaux. Il est davantage question de présence, de visibilité, d’exposition…»
Non pas reclus, mais certainement plus effacé, Jérôme Rocipon s’apprête à réapprivoiser la lumière et à renouer avec le public. Dans la foulée de la sortie de son film, il sort aussi un EP à compte d’auteur.
Coucou l’artiste
Samedi 23 mars à 18h30 à l’Agora Hydro-Québec de l’UQAM
Dans le cadre du Festival international du film sur l’art (FIFA)
Coucou l’artiste (trame sonore)
En primeur via voir.ca