Portrait du TIFF: Pier-Philippe Chevigny
Pier-Philippe Chevigny débarque au Festival international du film de Toronto (TIFF) avec Recrue, un court métrage qui aurait difficilement pu être plus actuel.
Le TIFF n’en a pas que pour les François Girard et autres Atom Egoyan de ce monde. Une grande place a été réservée aux artistes de la relève. C’est dans ce prestigieux événement cinématographique que Pier-Philippe Chevigny vit son baptême de feu avec Recrue, une fiction éloquente sur la crise des migrants et la montée de l’extrême droite au Québec. Le tout vu selon le regard d’un jeune garçon.
«Je me rappelle la première manifestation de La Meute au Québec, explique en entrevue le cinéaste. En première page de La Presse il y avait une photo d’un petit gars qui tenait un drapeau. Ça m’a confronté… Les enfants grandissent là-dedans et ils sont trop jeunes pour questionner la situation.»
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Ce n’est pas le cas du réalisateur, qui a eu la piqûre cinéphilique en bas âge – «mon père travaillait dans ce milieu et il m’a amené sur des plateaux de tournage» – et dont la fibre engagée s’est développée au cégep. D’ailleurs, toutes ses créations traitent d’enjeux sociopolitiques comme l’immigration et la justice sociale.
Mais au-delà de ces relations entre dominants et dominés qu’il montre souvent à l’écran, où le «système» broie une travailleuse du sexe (Vétérane), une domestique d’origine philippine (Tala) et une famille victime d’expropriation minière (Carré de sable), c’est la quête de dignité de ses valeureux héros qui nous émeut.
«C’est une question d’empathie, affirme celui qui adore les opus des frères Dardenne, de Ken Loach et d’Abbas Kiarostami. J’ai cette résonance-là en moi. On connecte avec quelqu’un qui rampe au sol.»
Il l’exprime aisément par sa mise en scène expressive. Les plans-séquences sont nombreux, les cadrages serrés et le hors champ primordial. Une technique quelque peu étouffante qui permet de créer une tension (le spectre du cinéma de genre n’est jamais bien loin) et, surtout, de se rapprocher des individus.
«On se retrouve à suivre un personnage et à faire l’expérience de la solidarité sociale, décortique son auteur. C’est pour que le spectateur puisse comprendre ce que le personnage vit, sans être dans sa peau, mais dans la position d’un accompagnateur. Tu fais acte de présence avec lui.»
Cela fait près d’une décennie que le jeune trentenaire flirte avec le court métrage, autant de fiction que du documentaire (avec La visite et La résistance d’Hippocrate), et il est prêt à passer à autre chose.
«Mon ambition a toujours été de faire du long métrage, avoue-t-il. Je trouve ça plus difficile de devoir condenser tout en 15-20 minutes. C’est extrêmement formateur, je pense que j’apprends beaucoup à travers mes courts métrages.»
Il a évidemment un projet de long en chantier. Le séjour au TIFF ne servira donc pas seulement à présenter son œuvre au public et à regarder des films, mais également à pousser plus loin son rêve de mettre en images cette relation entre une traductrice d’une usine et des travailleurs guatémaltèques. «Ma productrice s’active fort pour essayer de me booker des rencontres de coproduction pour profiter de cette exposure-là», confie le principal intéressé.
Fébrile mais confiant, Pier-Philippe Chevigny sait qu’il peut compter sur une arme de prédilection lui permettant de sortir du lot et de faire sa marque.
«Je remplis un peu un trou dans le cinéma au Québec, affirme-t-il. Il n’y a pas vraiment grand monde qui fait de façon assumée du cinéma social et engagé. Ça et mon bagage cinéphilique dont les pointes de cinéma d’horreur et de sordide ressortent ici et là m’aideront peut-être à me démarquer, à imposer quelque chose de plus unique dans le cinéma mondial.»