Alina Nasibullina : Propulsée par Le Cygne de cristal
Cinéma

Alina Nasibullina : Propulsée par Le Cygne de cristal

De notre point de vue de cinéphiles nord-américains, le cinéma russe voit poindre une nouvelle fleur en la personne de Alina Nasibullina, une actrice vibrante qui occupe le haut de l’affiche dans Le Cygne de cristal. La chaleureuse étoile montante est venue à notre rencontre peu avant la projection de son film au Festival de cinéma de la ville de Québec.

Dans Le Cygne de cristal, tu joues Velya, une DJ spécialisée en house, particulièrement attirée par la scène de Chicago. Te serais-tu décrite comme une amatrice de ce genre musical avant de commencer à tourner le film? 

Je n’avais jamais essayé de mixer avant, mais j’ai eu la chance de faire un DJ set après, il y a peut-être six mois. 

 

Est-ce que c’était en lien avec la promotion du film?

Oui, ce l’était un peu. Il y a ce gars qui était inspiré par Velya et qui m’a demandé de bâtir une playlist. J’aurais vraiment aimé être une DJ, je crois. J’adore cette connexion avec l’audience, l’énergie qui se partage entre eux et moi. 

 

L’action du film se déroule peu après la chute du communisme. En faisant mes recherches pour l’entrevue, je suis allée sur ta page IMDB pour me rendre compte que tu étais née en 1990. Tu n’étais encore qu’une toute petite fille à l’époque où évolue ton personnage dans Le Cygne de cristal, mais gardes-tu des souvenirs de cette époque bien particulière? De cette décennie dans ce qu’on appelait, à l’époque, l’ex-URSS? 

Je garde en mémoire certains trucs et même si j’étais une enfant. Par exemple, je me souviens de ces files d’attente. En Russie et dans toute l’ex-URSS, dans ce temps-là, il fallait attendre hyper longtemps devant les magasins si on voulait acheter quelque chose.

Aussi, je me souviens que c’était un peu dangereux. […] Je ne me souviens pas d’une situation en particulier, mais je me souviens de l’avoir ressenti. C’était dans l’air, comme un sentiment. 

 

Le personnage que tu incarnes est originaire de Minsk en Biélorussie, mais tu es née en Sibérie et tu demeures dorénavant à Moscou. Est-ce un défi pour toi d’imiter l’accent local? 

Je n’ai pas fait ça parce qu’en Biélorussie, de nombreuses personnes, les plus jeunes ou les plus éduqués surtout, parlent russe sans accent. On partage le même langage. Ils ont aussi leur propre langue, le biélorusse, mais la plupart d’entre eux parlent le russe au quotidien. 

Ça fait partie de l’ex-URSS, tu sais. Sauf qu’en Ukraine, par exemple, et à cause de la situation actuelle, des relations difficiles avec la Russie, les gens sont plus enclins à sauver leur langue que les Biélorusses.

 

En même temps, Velya crée son propre langage en incorporant des mots anglais au russe. Elle est très attirée par les États-Unis. Ça représente comme la terre promise pour elle. Elle en rêve, elle veut déménager là. T’es-tu déjà senti comme elle par rapport à l’Amérique? 

Non, mais j’aime les États-Unis. New York, en particulier. Mais tu sais, c’était si différent d’être de l’Est et dans sa vingtaine pendant les années 1990. Pour eux, l’Amérique, c’était un tout autre monde. 

 

Surtout après la fin du régime, non?

Clairement. Pour moi, les États-Unis, c’est juste les États-Unis. C’est un pays parmi tant d’autres. Mais dans les années 1990, c’était juste wow! C’était l’endroit où les jeunes pouvaient devenir ce qu’ils voulaient. C’était un endroit où les rêves prenaient forme. 

Aujourd’hui, on comprend que ce n’est pas nécessairement toujours la réalité. Je pourrais tout aussi bien parvenir à mes buts en France. Je pourrais même y parvenir en restant en Russie. Je veux dire… De nos jours, on a Internet, entre autres. Après, c’est sûr que j’aimerais peut-être partir pour New York.

Alina Nasibullina (Crédit: Catherine Genest)

L’ironie du sort, c’est qu’on est en train de parler de ça dans le lobby d’un hôtel sur le continent nord-américain. C’est un peu spécial parce que tu vis le rêve de Velya, d’un sens, même si vous ne pratiquez pas le même art, même si tu es actrice et qu’elle est DJ. Mais quand même… Je me demandais. Est-ce que tu avais l’intuition, en travaillant avec la réalisatrice Daria Zhuk, que Le Cygne de cristal t’amènerait à voyager comme tu le fais, à toucher un public international? 

Pas du tout! Au moment du tournage, je n’aurais jamais cru que ça pourrait être un succès dans l’Ouest, un succès au Canada et tout ça.

Mon père m’a toujours dit que je pourrais devenir une vedette. Je le sais que j’ai ce qu’il faut. J’ai une bonne confiance en moi. C’est sûr que je ne suis pas une star, mais je sais que je peux y parvenir. En même temps, je sais que je n’en ai pas besoin. 

Qu’est-ce que ça signifie, dans les faits, être une star? Ça me semble un peu vain. Moi, ce qui m’intéresse, c’est d’être une artiste professionnelle, d’évoluer sur la scène internationale, de recevoir de bonnes offres, de travailler avec des cinéastes talentueux et de voir le monde. Si je disais que je veux devenir une star, je pense que ça sonnerait un peu bizarre. 

 

Finalement, tu veux simplement vivre de ton art…

Oui! et je veux aussi avoir une vie trépidante. 

En tout cas, ça commence à se concrétiser avec ce film. En plus, j’ai su que tu avais rencontré notre Robert Lepage national dans le train qui te menait vers Québec. Ton attachée de presse m’a dit que tu le connaissais déjà, que tu admirais son travail. Aimerais-tu, un jour, jouer dans l’un de ces spectacles? Est-ce que c’est comme sur ta bucket list

C’est sûr que j’aimerais vraiment obtenir un rôle dans une production de Robert Lepage. Évidemment! Mais je crois que je préfère le cinéma au théâtre bien que j’en fasse déjà à Moscou. Les codes sont différents au cinéma et j’aime ça. 

 

C’est peut-être plus naturel de jouer pour une caméra? Je veux dire, il faut jouer moins gros… 

Oui! même si, bon, on a maintenant du théâtre contemporain. Mais oui, c’est définitivement plus intime au cinéma. C’est juste moi et la caméra. Je préfère ça. Quand la lumière rouge s’allume, c’est comme de la magie. Je peux me sentir fatiguée et vraiment mal, mais quand la caméra se met en marche, c’est comme un condensé d’adrénaline. C’est comme une drogue.

[…]

Pour le moment, je n’ai joué que dans deux films et je suis beaucoup plus fière de celui-ci. Je n’aspire pas à obtenir des tonnes de rôles. Ma carrière pourrait se limiter à cinq films, mais à cinq films vraiment bons. Tout ce qui m’importe, c’est de prendre part à des projets qui me dépassent, des oeuvres plus grandes que moi. 

 

Dans Le Cygne de cristal, tu incarnes un personnage très fort. Elle est brave, elle est menteuse. Elle n’est pas parfaite sauf qu’elle est très ambitieuse et, je crois, à ton image en tant qu’actrice. As-tu mis beaucoup de toi dans cette interprétation?

Bien sûr. J’ai tout donné. Mais tu sais, c’est dommage*, parce que j’aime beaucoup Velya. Elle est si motivée! Maintenant, pour un jeune adulte, ça me semble assez rare. Ils ne sont pas aussi motivés qu’elle, tu sais. Ils sont heureux avec leur vie, ils se complaisent dans le confort. Moi, je n’aime pas cette façon de voir les choses. Je veux continuer à avancer, à me dépasser. Le confort me fait peur, d’une certaine manière. 

 

Pour une femme, c’est terrible de le dire comme ça, mais les rôles aussi forts que Velya sont assez rares. Serais-tu prête, dans un futur proche, à prêter tes traits à une mère, une amoureuse, à un rôle, disons, plus traditionnel? 

Oui, c’est certain. Tu connais Amélie Poulain? Ah! J’aimerais tellement jouer ce genre de rôle, une personne étrange même si elle était jolie. J’aimerais aussi jouer une marginale, une personne sans-abri par exemple. Mais je pourrais également jouer une maman ou une personne qui n’a pas confiance en elle… 

 

Le contraire de Velya dans Le Cygne de cristal, finalement!

Oui. Je veux continuer d’expérimenter. Il y a tant de personnages auxquels je veux me frotter! Je veux continuer à agrandir ma palette de jeu. Tu sais, j’adore Juliette Binoche. Elle est incroyable. 

 

Est-ce à dire que tu aimes beaucoup le cinéma français? 

J’adore ce film, Les Amants du Pont-Neuf avec Denis Lavant. C’est l’un de mes acteurs préférés avec Anna Karina, la femme de Godard. Ce cinéaste avait le don de magnifier les femmes dans ses films…

 

Aimerais-tu faire être de la distribution d’un film français un jour?

Oui. J’en rêve et j’en parle dans toutes mes interviews. Mon souhait, c’est qu’un cinéaste français me lise, qu’il en prenne bien note et en vienne à m’engager. S’il vous plaît! En plus, je suis inscrite à des cours de français. 

Oui, j’aime beaucoup parler français, c’est trop beau comme langue. Je suis vraiment une francophile.*

* en français dans l’entretien d’origine 

 

Le Cygne de cristal

Jeudi le 19 septembre 
(Dans le cadre du FCVQ) 

En salles partout au Québec le 20 septembre 

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