Avec The Twentieth Century, Matthew Rankin combat le Québec bashing
The Twentieth Century a déjà tout d’un film culte avec ses performances d’acteur décalées, sa distribution de haut calibre (avec Emmanuel Schwartz, Catherine St-Laurent et Guillaume Lambert notamment), ses effets spéciaux dignes d’un grand cru sci-fi de Série B. Avec sa signature esthétique, le Manitobain Matthew Rankin risque fort de marquer les esprits avec son premier long-métrage. On lui a parlé à quelques jours de la sortie en salle pour discuter de cinéma, d’histoire canadienne, de climat post-électoral assez morose et de Wexit. Gros programme.
Tu as déjà dit à VICE que ton film était comme les Minutes du patrimoine sur le crystal meth. Ça donne le ton. Dans cette optique-là, pourquoi as-tu jeté ton dévolu sur Mackenzie King plutôt qu’un autre personnage historique?
Je pense que ce sont nos intérêts qui nous choisissent plutôt que l’inverse. Moi, j’éprouvais juste une connexion avec cette personne. J’ai lu le journal intime qu’il a tenu pendant presque toute sa vie, à partir de 1893 jusqu’à trois jours avant sa mort en 1950. Il enregistrait compulsivement les événements de sa vie. Les choses qu’il a écrites pendant sa jeunesse étaient pleines de confusions romantiques, de bouleversements mélodramatiques et d’arrogance napoléonienne. Mackenzie King était le sujet, mais aussi le prisme à travers duquel je peux m’exprimer et, bien sûr, me moquer du Canada.
Tu as étudié en histoire à McGill et à l’Université Laval et je suis certaine que tu as, par déformation professionnelle, dû faire beaucoup de recherche. Est-ce que d’autres écrits t’ont inspiré le scénario?
Oui! Dans le cas de Bert Harper, il y a une biographie rédigée par Mackenzie King lui-même et qui s’intitule The Secret of Heroism. Il avait énormément d’admiration pour lui qui, pour vrai, est mort un peu comme dans le film. Il tentait de sauver la vie de quelqu’un qui était en train de se noyer dans la rivière des Outaouais… Bien sûr, mes collègues ne sont pas unanimes, mais moi je fais partie du petit groupe d’historiens opiniâtres qui croient qu’il a bel et bien été empalé par un narval.
C’est pas mal photogénique comme façon de mourir, donc ça devient très intéressant pour un cinéaste…
Oui, tout à fait. C’est très prenant comme moment en histoire. Mais bon, tout cela pour dire que tous les événements dans le film sont tirés de choses qui sont arrivées pour vrai.
Je vois le film un peu comme un cauchemar que Mackenzie King pourrait avoir eu en 1899. Il pénètre le subconscient du Canada, le subconscient de nos activités politiques.
Je vois le film un peu comme un cauchemar que Mackenzie King pourrait avoir eu en 1899. Il pénètre le subconscient du Canada, le subconscient de nos activités politiques.
C’est ton premier long-métrage, tu travailles dessus depuis longtemps, mais il voit le jour à une période un peu spéciale pour le Canada, une période post-électorale où le pays est plus divisé que jamais. Ça fait longtemps que le spectre du souverainisme flotte sur le Québec, mais là il y a l’Ouest qui est balayé par le mouvement du Wexit…
Ils veulent juste se séparer parce qu’ils n’ont pas été dans Les Laurentides!
As-tu quand même l’impression qu’un projet comme The Twentieth Century a le potentiel de réunir toutes ses solitudes?
Je suis pas sûr. Tu vois, moi, je me sens pas particulièrement concerné par l’unité canadienne, ce genre de chose. Ça m’intéresse pas.
Mais effectivement, à l’échelle planétaire, on vit dans un contexte qui est de plus en plus binaire. Il y a quelque chose là-dedans qui me trouble et me préoccupe parce que, pour moi, Mackenzie King représente ce que j’appelle le centre radical. C’est quelqu’un qui marche sur l’étroite ligne entre les cauchemars et les utopies du 20e siècle. On lui reproche souvent de n’avoir absolument rien incarné. Il était tellement au centre que sa victoire politique était vide de sens. À notre époque, je trouve que ce centre, ça devient de plus en plus fragile. Je questionne sa sagesse.
Après, c’est pas quelqu’un pour qui j’aurais voté.
La sexualité de Mackenzie King est abordée dans une scène très drôle avec Emmanuel Schwartz où tu dépeins Winnipeg comme un haut-lieu de perdition. Or, toi, tu es né à Winnipeg… Est-ce que tu essaies de nous montrer la face méconnue de ta ville?
Pour ceux qui connaissent la communauté artistique de Winnipeg, ils savent que les cinéastes sont comme en compétition pour représenter la ville de la façon la plus weird possible. C’est comme une pathologie locale. Ça, c’est ma contribution. J’espère faire plaisir à l’Office du tourisme de Winnipeg avec le film. J’espère leur amener du monde en masse.
Au-delà de Winnipeg, il y a plusieurs scènes qui se passent à Québec. En plus, le personnage de Nurse Lapointe est, à mon sens, le plus attachant de tous. Pourquoi as-tu choisi de présenter la Belle Province comme un haut lieu de paix et de bienveillance?
Je suis arrivé au Québec et j’étais unilingue anglophone, dans le ghetto McGill. Aujourd’hui, mon existence est très québécoise et je peux marcher un peu entre les deux solitudes. Ça témoigne de mon vécu, c’est ma façon de voir les choses. Le Québec m’a, en quelque sorte, permis de m’émanciper.
D’ailleurs, ça vient aussi de l’histoire. Joseph-Israël Tarte, c’est l’un des premiers Québécois qui s’est prononcé contre la guerre en Afrique du Sud. Ses convictions pacifistes m’ont motivé et inspiré pour ce film.
Je pense également qu’il y a une tendance dans les médias canadiens-anglais de toujours exploiter la pire expression du Québec, de faire du Québec bashing. Je voulais juste irriter les Canadiens anglais en représentant le Québec comme un lieu qui incarne tout le bien sur la planète.
Je pense également qu’il y a une tendance dans les médias canadiens-anglais de toujours exploiter la pire expression du Québec, de faire du Québec bashing. Je voulais juste irriter les Canadiens anglais en représentant le Québec comme un lieu qui incarne tout le bien sur la planète.
Il y une réplique récurrente de Mackenzie King par rapport à la nordicité et, dans les décors, on voit ces espèces de glaciers blancs très géométriques qui rappellent les toiles de Lawren Harris. Est-ce que son travail t’a donné des idées pour la scénographie?
Oui, tout à fait. En plus de Lawren Harris, il y a le Torontois York Wilson et un artiste contemporain de Winnipeg qui s’appelle Simon Hugues. Tous les trois ont une vision de l’univers naturel qui est très géométrique, architecturale même, et qui me rappelle le Pavillon des Pâtes et Papiers à Expo 67. L’édifice n’existe plus, mais il était simplement fabuleux!
L’empreinte visuelle du film est très forte, très distinctive. Ce qui ressort beaucoup, en plus des décors, c’est tous ces personnages très androgynes comme Joseph-Israël Tarte et la mère de Mackenzie King qui m’a rappelé Môman dans La P’tite Vie. Pourquoi était-ce important pour toi d’explorer la non-binarité à travers la distribution et les costumes?
Ça, je trouve ça très libérateur. Je pense que c’est quelque chose qui est assez rare au cinéma parce que la représentation est tellement réaliste que le comédien doit parfaitement s’accorder avec le profil démographique du personnage qu’il incarne. Pourtant, je trouve que c’est un peu artificiel. Au théâtre, on n’en est plus là depuis très longtemps.
Louis Negin, Catherine Saint-Laurent, Guillaume Lambert, Emmanuel Schwartz… Ce sont tous des acteurs très en vue. As-tu eu du mal à les convaincre d’entrer dans ton univers?
C’était pas difficile du tout. Il y a un registre sur lequel le film opère et il faut avoir la certitude que tout le monde peut s’y accorder, trouver cette fréquence. Le jeu dans le film est assez bizarre. C’est maniéré, c’est ironique sans être moqueur et sincère sans être littéral. C’est délicat comme ton. J’ai juste eu l’immense bonheur de collaborer avec des comédiens qui comprenaient ça et qui étaient animés par ça créativement.
Penses-tu qu’ils sont conscients de leur potentiel de devenir des memes ou carrément des personnages culte?
C’est très chouette que tu me dises ça, mais non, on n’en pas vraiment parlé. Mais tant mieux si tu trouves ça, right?
En salles à Montréal dès le 20 décembre
(Cinéma du Parc et Cinéma Moderne)
En salles à Québec dès le 10 janvier
(Le Clap)
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