Les chatouilles, un film qui transforme le drame en thérapie
Avec son bouleversant film Les chatouilles, Andréa Bescond rappelle que l’art permet de se reconstruire et devenir un outil de sensibilisation.
Andréa Bescond a été abusée sexuellement en bas âge. Dans sa quête de guérison, elle a décidé de renouer avec les fantômes de son passé en écrivant et en tenant le rôle principal de Les chatouilles (ou la danse de la colère), une pièce qui a été présentée plus de 400 fois de 2014 à 2017 et qui a remporté un Molière. En compagnie du metteur en scène – et amoureux – Éric Métayer, elle en signe maintenant la réalisation et la transposition cinématographique, qui s’est méritée le César de la meilleure adaptation en 2019.
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« On avait tout pour faire un mauvais film, c’est-à-dire la danse, les flash-back, la psychanalyse et la pédocriminalité, s’esclaffe la scénariste rencontrée lors des Rendez-vous du cinéma français à Paris. On voulait que le public soit confronté au sujet, mais pas seulement dans la souffrance. Il devait quand même rire, souffler, respirer, se détendre, vivre physiquement les choses. Que ça soit une autre façon aussi d’exprimer la colère et différentes émotions. »
Ce ne sont d’ailleurs pas les sensations fortes qui manquent. Il y a ce pédophile (Pierre Deladonchamps, la révélation de L’inconnu du lac) et ami de la famille qui rôde en toute impunité, ce père (Clovis Cornillac) dépassé par les évènements et cette mère (Karin Viard, qui a obtenu pour l’occasion le César de la meilleure actrice dans un second rôle) qui glace le sang en réfutant les accusations de sa fille victime.
« Je pense que plus j’en ai parlé et plus j’ai pris de la distance, confie la cinéaste. Plus on rencontre de gens qui ont vécu ça, plus on en fait un objet de théâtre ou du cinéma et plus je m’en suis séparé. C’est plus facile de rester dans une attitude victimaire que dans une attitude résiliente et avancer, même si je ne juge ni l’une ni l’autre. »
Après une douloureuse introduction, le long métrage surprend en allégeant le drame, en y intégrant de l’humour et de l’onirisme. La Odette qu’elle incarne devant la caméra est devenue un simple personnage distinct et universel à la fois. « On a voulu s’éloigner de l’histoire personnelle pour que ce soit quelque chose dont tout le monde puisse s’emparer par rapport à son propre parcours, son enfance, la maltraitance diverse et variée sur des plans psychologiques, physiques, sexuels », expose celle qui a longtemps été danseuse professionnelle.
« Pour l’instant en termes de connaissances, d’informations et de prévention, on n’est pas du tout à la hauteur, estime la metteure en scène. Il reste encore du travail à faire. »
Il s’agit pourtant d’une raison supplémentaire de témoigner. Ce qui permet de mieux cerner les mécanismes à l’oeuvre – comme la sidération, le silence, la honte, le secret, la culpabilité – afin de modifier les regards, d’enrayer ces automatismes des «mais pourquoi elle n’a rien dit?».
L’importance d’une création comme Les chatouilles en devient donc encore plus primordiale. Pour que les gens s’en emparent, pour que les langues se délient et que les témoignages affluent. « C’est malheureusement assez courant qu’un des parents rejette totalement la douleur de leur propre enfant, » explique la comédienne.
« C’est par un film qu’on peut commencer un travail », rappelle Andréa Bescond, en regardant droit son interlocuteur dans les yeux, se mettant à sourire, ce qui sous-entend qu’il est possible de trouver la lumière au bout du tunnel.