Portrait de la jeune fille en feu, revendiquer l'imaginaire féministe et lesbien
Cinéma

Portrait de la jeune fille en feu, revendiquer l’imaginaire féministe et lesbien

À classer impérativement parmi les meilleurs films de la dernière année, Portrait de la jeune fille en feu propose de modifier son regard afin de laisser émaner un nouvel univers. 

Il y a une passion qui vrombit sur le nouveau long métrage de Céline Sciamma et ce n’est pas seulement le vibrant amour interdit entre une peintre (Noémie Merlant) et son modèle (Adèle Haenel) dans la France du 18e siècle. Il s’agit plutôt d’un désir de briser les conventions pour élargir le champ des possibles en proposant autre chose.

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« C’est un film qui parle de ce qui est peu ou pas représenté, comme une histoire d’amour entre femmes, leur intimité, le rôle des artistes féminines, évoque Noémie Merlant, rencontrée lors des Rendez-vous du cinéma français à Paris. Il y a une sensibilité qu’on n’a pas l’habitude de voir. En lisant le scénario, je me suis dit que c’est un film qui m’avait manqué, qui est important. »

Il s’avère primordial dans sa façon de s’attaquer au regard masculin dominant, en le déconstruisant et en le remplaçant. « Mais ce n’est pas parce qu’on est une femme qu’on va le faire, note la cinéaste.  Il doit y avoir un désir de vouloir une autre représentation. »

Je revendique mon imaginaire féministe et lesbien, parce que je considère que ce sont des imaginaires puissants. Si on les efface, c’est parce qu’ils sont dangereux, parce qu’ils sont nécessaires.

Difficile pourtant d’y arriver lorsque les budgets sont moins élevés, les opportunités plus clairsemées. « Pourquoi on décide de mépriser et de discréditer les imaginaires féminins?, se demande la réalisatrice, à qui l’on doit les oeuvres cinématographiques Tomboy et Bande de filles. Je revendique mon imaginaire féministe et lesbien, parce que je considère que ce sont des imaginaires puissants. Si on les efface, c’est parce qu’ils sont dangereux, parce qu’ils sont nécessaires. »

Celle qui a lancé sa carrière en 2007 avec son splendide La naissance des pieuvres offre un traitement entièrement féminin à cette romance qui n’est pas sans rappeler The Piano de Jane Campion. En situation l’action sur une île et en évacuant presque totalement les personnages masculins, c’est pour mieux se concentrer sur ces âmes d’abord en peine qui deviennent entières en se réunissant.

«  On voit qu’il y a un cadre défini avec un mariage dans l’air, analyse Noémie Merlant, qui est nommée – ainsi que sa covedette – aux Césars comme meilleure actrice. On sent dans quel enfermement sont ces femmes. Mais pendant ce court laps de temps, elles font ce qu’elles veulent de cette bulle. Elles remplissent ce cadre-là avec leurs propres désirs, leurs propres envies, leurs propres regards. Elles trouvent leur liberté et elles rendent cet amour impossible possible. »

« On n’est plus dans une ligne verticale où il y a un lien de domination, un rapport de conflits, continue celle qui rêve d’être dirigée par Xavier Dolan. Ce film redéfinit le concept de muse. La muse n’est plus un objet: elle devient un sujet. Le regard est horizontal et circulaire. Ça parle du consentement mutuel qui est vu comme source d’inspiration, de surprises, où plein de choses peuvent se passer. »

Des sensations fortes qui sont au rendez-vous dans cette fresque d’exception, dont l’accueil dithyrambique n’en démord pas depuis sa présentation au Festival de Cannes, où elle a été récompensée pour son scénario. Depuis, elle a multiplié les nominations – aux Golden Globes, aux Césars – tout en alimentant des discussions, saines et universelles, qui permettront peut-être de révolutionner le cours de l’Histoire.

« C’est important de rappeler que ce film de femmes est aussi une invitation aux hommes de vivre de nouvelles expériences à travers une nouvelle vision, soutient Noémie Merlant. Depuis la nuit des temps, l’art, la culture et la société se sont créés sous la vision masculine patriarcale. Là on propose autre chose. On va être touché à d’autres endroits, on va apprendre et vivre d’autres sensations. C’est peut-être le début d’une nouvelle culture et d’une nouvelle société. C’est utopique, mais c’est aussi pourquoi il s’agit d’un film politique, un combat qui peut se faire avec beaucoup d’excitation et de douceur. »

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