Les épreuves du Mont Foster
Premier long métrage d’un enseignant de philosophie, Mont Foster tranche radicalement avec le réalisme social du cinéma québécois afin d’embrasser d’autres contrées cinématographiques.
Cela est clairement évident dès l’introduction du film, où la chevauchée d’une fille en forêt est entrecoupée de magnifiques dessins en noir et blanc. Il n’en faut pas davantage pour piquer la curiosité, évoquer le conte et la fable. Plus particulièrement pour se retrouver au sein d’une relecture du poème classique Le roi des Aulnes de Goethe.
Au lieu de s’intéresser au destin malheureux d’un père et de son fils, on suit plutôt un couple qui tente de se retrouver en passant quelques journées à leur maison secondaire, isolée dans le bois. Mathieu (Patrick Hivon) et Chloé (Laurence Leboeuf) n’ont pas la même faculté à traverser une dure épreuve et leurs différentes façons de voir la réalité et de se protéger de la douleur risquent de les éloigner encore davantage.
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«Ce qui est fascinant là-dedans, c’est que des êtres peuvent vivre une extrême proximité et avoir l’illusion qu’on partage le même monde, alors que non, explique en entrevue le réalisateur et scénariste Louis Godbout. On est toujours seul. Et ce qui est inquiétant, c’est de découvrir qu’on est seul, alors qu’on est convaincu d’être en contact avec quelqu’un.»
Face au stoïcisme de son compagnon, Chloé perd peu à peu pied avec la réalité. Des bruits stridents l’agressent régulièrement et son comportement devient de plus en plus inquiétant. Un état délirant qui est bercé d’un discours éthique sur la conscience, où l’être humain pourrait se transformer à chaque instant en bête sauvage.
«C’est une réflexion qu’on a eu pendant la totalité du tournage, révèle Laurence Leboeuf, que l’on n’avait pas vu au cinéma depuis Apapacho, une caresse pour l’âme. Cette fine ligne entre le Bien et le Mal, si fondamentalement nous avons tous un côté très noir et que l’on peut basculer à tout moment de l’autre côté. C’est un grand questionnement qu’on va laisser au public.»
Plus tu es sensible, plus tu es fragile, plus tu es à l’écoute de choses qui sont plus grandes que toi et plus les moments de grâce avec la nature sont forts. Mais la nature peut aussi devenir l’ultime ennemie, la peur de cette présence-là qui se cache sous l’entité de la forêt.
Pour cette énigmatique âme blessée, l’apaisement passe par une communion avec la Terre. Une disposition mystique et sacrificielle où la nature devient pratiquement une entité en soi. «C’est une connexion importante pour mon personnage, concède son interprète. Plus tu es sensible, plus tu es fragile, plus tu es à l’écoute de choses qui sont plus grandes que toi et plus les moments de grâce avec la nature sont forts. Mais la nature peut aussi devenir l’ultime ennemie, la peur de cette présence-là qui se cache sous l’entité de la forêt.»
Afin de la représenter à l’écran, Louis Godbout n’hésite pas à utiliser une mise en scène stylisée qui évoque le travail de Lars von Trier et de Terrence Malick, prenant notamment racine dans les plans larges et évocateurs.
«Je voulais que la nature soit représentée sous la dimension du sublime, qu’elle soit portée par quelque chose de transcendant», révèle celui qui a scénarisé le film Coda de Claude Lalonde, mettant en vedette Patrick Stewart et Katie Holmes et qui devrait prendre l’affiche sous peu.
Un travail qui passe par une certaine distanciation volontaire, à l’image de ces drones qui s’éloignent graduellement de la surface des choses afin de mieux voir les enjeux, de dissiper quelques-uns des mystères en place.
«Ce que vivent les personnages est tragique, mais le spectacle de cette tragédie pour le spectateur a quelque chose de presque rassérénant, assure le cinéaste. Je trouvais que c’était bon de s’élever pour remettre ça en perspective. De relativiser ce qui arrive et de ne jamais oublier que la vie continue. Je ne tenais pas à ce que les gens sortent du cinéma en pleurant. Je voulais plutôt qu’il y ait une expérience esthétique de ce drame.»