42 personnes en quête d'une constitution pour le Québec
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42 personnes en quête d’une constitution pour le Québec

La scène se déroule un dimanche de la fin du mois d’octobre. Un de ces rares dimanches ensoleillés de cet automne trop gris que nous avons connu. Il n’est pas encore 9 heures et, déjà, une quarantaine de personnes se regroupent autour des tables où ont été disposés des plateaux de fruits, des viennoiseries, et des cruches de café. L’un d’eux témoigne de son mal de dos ; l’une d’elles se confond en excuses et se dépêche d’éponger la flaque de café qu’elle vient de renverser ; unetelle se découvre des accointances avec untel ; une autre explique qu’elle devra quitter immédiatement après la fin de l’événement afin de retourner chez elle…

En tout, il y a 42 personnes, tout ce qu’il y a de plus « normal ». En fait, ces 42 personnes sont exactement à l’image du Québec d’aujourd’hui. Il y a 21 hommes et 21 femmes, 6 ont entre 18 et 24 ans, 8 entre 25 et 34 ans, 2 ont plus de 75 ans, 8 viennent de Montréal, 4 de l’Estrie, 3 de la Capitale-Nationale, près d’une quinzaine sont retraitées, quelques-unes sont sans emploi, etc.1 Cela a été voulu, et ces personnes ont été sélectionnées afin de correspondre le plus strictement possible à la population et la démographie du territoire.

Nous sommes à la première assemblée plénière du projet Constituons! dont l’objectif est de parvenir à l’écriture d’une constitution québécoise. Ces 42 personnes, tirées au sort par l’Institut du Nouveau Monde en collaboration avec Léger 360, forment l’assemblée constituante qui devra mettre au monde ce texte fondateur. Elles sont toutes bénévoles. Et elles viennent de mettre le pied dans l’un des exercices civiques des plus complexes, et des plus intéressants.

Une assemblée constituante

Le projet est fictif, mais n’en est pas moins authentique. Il est né de la volonté fédératrice du metteur en scène Christian Lapointe qui a su mobiliser autour de lui un vaste réseau de partenaires de la société civile québécoise issus des milieux du théâtre et de la recherche.

« Au cœur du projet, il y a cette volonté de lancer et d’ouvrir la discussion très concrètement avec tous les Québécois : qui sommes-nous, que voulons-nous et comment le ferons-nous? »2

Pour ce faire, l’Institut du Nouveau Monde a été mandaté pour mener, au plus près du réel, la démarche d’une assemblée constituante. Au terme de près de six mois de travaux, durant lesquels se tiendront une douzaine de forums de consultation citoyenne à travers le Québec, six comités thématiques formés des membres de cette assemblée constituante seront amenés à proposer les articles de ce que pourrait contenir la constitution du Québec. Déjà, des rencontres ont eu lieu à Baie-Comeau, à Rimouski et à Carleton-sur-Mer.

En avril, l’assemblée constituante devra chercher à parvenir à un consensus de proposer un texte constitutionnel pour le Québec. Celui-ci sera ensuite déposé, symboliquement, à l’Assemblée nationale du Québec et servira à la création d’une production théâtrale qui conviera le public à se poser ces mêmes questions auxquelles se seront confrontées ces 42 personnes : qui sommes-nous ? que voulons-nous ? comment le ferons-nous ?

Pourquoi vouloir se constituer ?

La question est complexe et les réponses, multiples.

Politiquement, on pourrait vouloir rappeler que le Québec n’a toujours pas approuvé officiellement la Loi constitutionnelle de 1982 et ce, malgré les velléités de Philippe Couillard ou de François Legault, qui ont déjà tous deux ouvert la porte à la possibilité de « signer la constitution ». Malgré cela, on semble encore loin du jour où un premier ministre du Québec apposera sa signature à la place de celle de René Lévesque (et de tous ceux qui lui ont succédé) sur un éventuel Accord constitutionnel conclu « avec » la participation du Québec3.

Et puis, comme la Constitution canadienne et les textes de lois qui y sont inscrits4 s’appliquent de facto au Québec depuis 1982, on pourrait être tenté de se demander pourquoi vouloir aller jouer dans la très salissante mécanique constitutionnelle ? Justin Trudeau n’a-t-il pas d’ailleurs été clair en affirmant, et à Philippe Couillard et aux représentants des peuples autochtones, qu’on ne « rouvre pas la Constitution » sans avoir un « problème insoluble » à régler ?

Il semble pourtant qu’il y ait de nombreux problèmes auxquels la société québécoise est confrontée depuis un certain nombre d’années, qui ne semblent pouvoir se résoudre sans un consensus clair autour du « tout » que forme une constitution. La quantité d’enjeux récents soulevés autour de nos valeurs, du mode de scrutin, de nos institutions politiques, de la répartition des pouvoirs publics, de notre système de justice, de la reconnaissance des peuples autochtones, de la gestion du territoire et de nos ressources, etc., ne sont-ils pas tous liés à notre manière de nous concevoir et de nous constituer ? Si l’on reconnaît qu’il existe quelque chose comme une nation québécoise, cela ne mérite-t-il pas d’être défini positivement ?

Il est à parier que le gouvernement du Québec, du moins dans un avenir rapproché, ne verra pas d’intérêt à ouvrir une telle boîte à chicanes. L’avenir réel d’une éventuelle constitution québécoise semble plutôt mince, même si certains partis politiques ont adopté ou considéré des propositions faisant d’une assemblée constituante le principe de l’accession à la souveraineté du Québec. Or, rien n’oblige qu’une constitution québécoise mène à l’indépendance politique du Québec. La Colombie-Britannique s’est dotée d’une constitution en 1996 et participe toujours à la fédération canadienne. Et rien ne garantit que cette constitution émanerait du peuple, tel que le proposent ceux et celles qui militent depuis quelques années en faveur de ce processus au Québec. La Constitution canadienne n’a d’ailleurs jamais été soumise directement à la population.

Le théâtre n’est-il pas alors le meilleur lieu où tenter cet exercice ?

Se constituer par le théâtre

Le théâtre, parce qu’il est l’un des rares lieux où l’on se rassemble encore autour d’idées sociales et politiques, semble tout indiqué pour accueillir une telle réflexion. Il offre le prétexte idéal à ce type d’écriture.

Le théâtre n’a pas à prendre parti. Il est en abstraction de la réalité, tout en étant fait et reflet du réel. C’est un lieu à la fois dans et à part de la société. Le théâtre est un jeu, et le jeu rend les choses lourdes et difficiles plus légères et plus joyeuses.

C’est d’ailleurs ce qui ressortait le plus de ce dimanche d’octobre, où se sont réunies les 42 personnes formant l’assemblée constituante du projet Constituons! : le plaisir.

Non pas que les sujets traités étaient insignifiants ou risibles, bien au contraire. Mais la sincérité, le respect et l’humour qui enveloppaient les débats autour de sujets aussi délicats que l’identité québécoise, la place des citoyens dans la société, la solitude, laissaient clairement voir l’intérêt et l’importance de les traiter par le jeu.

Rendre compte du projet

J’ai été invité par Christian Lapointe à suivre et à rendre compte des démarches du projet Constituons! à titre de chercheur, mais aussi en raison de mon intérêt pour la culture et pour la politique.

Le Voir accueillera cette rubrique d’ici les prochains mois afin de rendre compte des travaux de l’assemblée constituante. Je tenterai, au meilleur de ma sensibilité et de mon expertise, de témoigner des différents moments de cet exercice singulier. Déjà, je vous invite à poursuivre la lecture ici, pour en connaître un peu plus sur la démarche et les défis que pose un pareil exercice démocratique.

Déjà, vous pouvez noter que la tournée des forums citoyens autour des questions de Constituons! sera à Montréal le 16 janvier, à Longueuil le 26 janvier et à Québec le 28 janvier et poursuivra sa route au mois de février dans cinq autres villes. Vous pouvez cliquer ici pour connaître toutes les dates de cette tournée de consultation où tous et toutes sont bienvenus pour participer à cette réflexion.

Pour ceux et celles qui ne peuvent pas se déplacer dans les forums citoyens, l’Institut du Nouveau Monde a préparé un sondage sur les différentes questions posées par l’assemblée constituante. En y répondant, vous pourrez vous aussi jouer au jeu de la démocratie…


1Cliquez ici pour connaître le profil complet des 42 participant·e·s de l’assemblée constituante
2 Extrait du site web de Constituons!
3 Rappelons que l’accord entre les provinces canadiennes convenant du rapatriement de la Constitution au Canada et de l’acceptation des amendements proposés a été signé sans la participation du Québec et du premier ministre d’alors, René Lévesque le 5 novembre 1981, à Ottawa. On peut consulter le document ici.
4 Dont la Charte des droits et libertés, le texte qui édicte les Droits des peuples autochtones du Canada, et celui qui fonde l’engagement des provinces à assurer une péréquation et réduire les inégalités régionales.