LOVE : Et si le courage, c'était d'admettre sa fragilité ?
CreativeMornings

LOVE : Et si le courage, c’était d’admettre sa fragilité ?

« Ta tête passe plus à travers la porte ». Des mots gorgés de mépris et d’envie, qu’a découvert une foule amère sur l’œuvre vandalisée de MissMe lors de la dernière édition de CreativeMornings/Montréal. En ce mois de juillet dédié à l’amour, il y a de quoi se questionner sur le rapport entre l’amour, la réussite, soi… et les autres.

Impossible de parler d’amour sans y mettre un peu de soi, ça sonnerait aussi authentique qu’une pub de dentifrice. J’y ai pensé, mais rien à faire. Pourtant, ça m’arrangerait. Non seulement ça ne me ressemble pas, mais ça me met aussi à l’aise que le port d’un soutien-gorge à armature.

Sérieusement, je me targue depuis toujours de combattre le confort et le statu quo, mais si je suis parfaitement honnête avec moi-même, la vérité c’est que, comme beaucoup, je sors rarement de mes retranchements lorsqu’il s’agit de parler de feelings.

En règle générale c’est plutôt facile : en conseil comme en journalisme, on est toujours de ceux qui posent les questions et se cachent derrière l’analyse, la rigueur et les données. Beaucoup moins risqué, quand on y pense. Sauf que voilà, je ne peux pas parler d’amour sans parler d’imperfection, de honte et de vulnérabilité, à commencer par la mienne.

S’AIMER À L’IMPARFAIT

Tandis que Coca Cola nous martèle « choisissez le bonheur », que le yoga et les régimes sans gluten font fureur et que la tech-à-porter commence à monitorer nos heures de sommeil comme de cardio, la société tend à responsabiliser l’individu pour le malaise collectif.

Déséquilibre travail-famille ? Voici quelques trucs pour apprendre à mieux gérer votre temps. Pas le temps de bien manger ? Ces barres énergétiques contiennent tout ce qu’il vous faut.

En clair, les messages que l’on nous renvoie nous assurent que la société n’a rien à se reprocher, c’est nous, individuellement, qui sommes défectueux. Nous ne sommes « pas assez bien », « pas assez productifs », « pas assez créatifs »…

À son tour, cette image négative de soi renvoyée indirectement par les autres – la publicité, le système éducatif, nos proches – nous fait croire que nous ne méritons pas l’amour et l’appartenance tel que nous sommes. La honte.

Revenons un instant à MissMe, qui a eu l’immense courage de se mettre à nu devant plus de 300 personnes pour nous raconter son histoire dans le cadre du thème #CMBroken. Histoire, d’ailleurs, qui traitait de honte et d’acceptation de soi.

Dans notre écosystème individualiste et excessivement compétitif, celui qui n’accepte pas ses propres imperfections et se nourrit de l’image que lui renvoie la société peut facilement se sentir menacé par la réussite d’autrui.

Phénomène d’ici ? Pas forcément. Mais le protectionnisme bien de chez nous n’a forcément pas aidé à forger une nation inclusive et solidaire où règne l’acceptation sans condition.

Parce qu’ici, « on n’aime pas la chicane ». Aussi bien dire, « on n’accepte pas la différence ». Comme la réussite, ça dérange. Ça menace notre ego, cette représentation que l’on se forge de nous-même.

ACCEPTER SA VULNÉRABILITÉ

Selon la chercheuse-conteuse d’histoires Brené Brown, Ph.D., si la honte peut se montrer si toxique, c’est qu’à sa base se trouve une immense vulnérabilité : cette idée que pour pouvoir entrer en relation avec les autres, il faut savoir se montrer tel que nous sommes vraiment.

Or voilà, la vulnérabilité peut faire atrocement peur, car si d’un côté, elle permet la joie, la gratitude et la créativité, de l’autre, elle engendre aussi le chagrin, la honte et la déception.

Quelle est donc la différence entre ces gens qui s’aiment et les autres ? Est-ce parce que la société les a choyés, parce qu’ils sont vraiment mieux que les autres ? Après 10 ans de recherche, Dre Brown conclut que c’est une question de courage.

L’une des façons dont nous traitons le « problème » de la vulnérabilité dans le monde actuel, pour ne pas ressentir la tristesse, la honte ou la déception, c’est à travers l’anesthésie. Malheureusement, on ne peut pas anesthésier des émotions de manière sélective, donc en se privant du mauvais, on se prive également du bon.

Obésité, endettement, addiction aux drogues, aux médicaments ou à Netflix : toutes des façons d’échapper à nos émotions pour éviter d’endommager l’image que nous nous sommes forgées.

Pour éviter la peur de l’inconnu, nous nous créons de fausses certitudes. Finis les débats, bonjour les vies parfaites, calculées et paramétrées, le renforcement des idées préconçues à travers les algorithmes prédictifs, la chirurgie plastique et les apparences bien gardées.

(RE)TROUVER SON COURAGE

Là, vous vous dites « plus facile de critiquer que de changer ses propres perceptions ». Et vous avez tout à fait raison. Voilà pourquoi je me suis dit que j’allais vous raconter une histoire.

Pas un succès, ni un truc qui finit bien (et vous fait sentir d’autant plus misérable). Une histoire vraie, au risque de montrer mes propres imperfections, de me faire juger ou moquer. Parce qu’après tout, je vous parle d’amour, pas avec un grand A, juste… d’amour.

Comme tout le monde, j’ai été blessée plutôt mille fois qu’une. Gamine, mon père me répétait sans cesse d’arrêter de prendre des initiatives. L’école, elle, me disait d’arrêter de poser autant de questions. Autant dire que j’ai dérangé.

Jeune adulte, j’ai quitté le Québec pour aller m’expatrier en Europe, femme seule, en quête de découvertes, autant de moi que du monde. On m’a traitée de bossy, d’agressive. Avoir été un homme, on m’aurait juste nommée « manager ». Mais bon.

Plus tard, on a tenté de me faire comprendre que mère célibataire qui travaille à son compte, et bisexuelle de surcroît, c’était mal vu. Soit. Après tout, les préjugés des autres, ça n’était pas mes affaires.

Huit ans après mon départ, j’ai eu l’impression d’avoir trouvé ce que j’étais venue chercher en Europe. Ma mère et mon frère étaient très malades, alors j’ai décidé de renouer avec mon coeur, ma famille. J’ai donc suivi mes tripes et décidé de rentrer.

Erreur. Ce retour au pays a sonné le début d’une lente agonie. Entre un décès, une histoire de cœur qui s’est terminée dans une maison d’accueil pour victimes de violence conjugale et un litige interminable pour la garde de ma fille, tout me hurlait « tu t’es trahie ».

Après ça, j’ai tout fermé. Finis l’inconfort et la déception. Fini d’écouter mes tripes : puisqu’elles m’avaient menti, ce serait la dernière fois. S’en sont résultés moult choix douteux et contre-nature, et un état général plutôt misérable.

Ma créativité s’est effritée jusqu’au blocage quasi complet, mes relations n’avaient finalement rien d’intimes, et j’ai fui dans le travail, sans pour autant y trouver plus de stabilité.

La morale de l’histoire ? Je n’ai pas la réponse, mais comme à mon habitude, j’ai des questions. Et si on trouvait, tous, en nous-mêmes, le courage d’être vulnérable, d’aimer sans réserve, d’abord nous-mêmes, avec nos imperfections et nos doutes, puis les autres, avec toute la compassion dont nous sommes capables ?

Et si on lâchait prise et qu’on déconstruisait ces murs qui nous empêchent de connecter de manière authentique et vraie, d’apprendre et d’évoluer ? Parce qu’au final, si l’on a plus peur de se lancer, plus peur de l’échec, du rejet ou de l’abandon, qu’est-ce qui nous retient encore ?

Texte : Audrey Raby    

Illustration: Stefano Di Lollo