Fierté Montréal : discussion sur l'homophobie et la transphobie au Québec
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Fierté Montréal : discussion sur l’homophobie et la transphobie au Québec

À quelques jours de la conférence CreativeMornings/Montréal de Scott Jones, qui nous parlera du mouvement Don’t Be Afraid dont l’objectif est d’éliminer l’homophobie et la transphobie des conversations, nous avons souhaité discuter avec Fierté Montréal, qui tiendra son festival du 8 au 14 août. Rencontre avec Jean-Sébastien Boudreault, vice-président de Fierté Montréal.

Quels sont, en 2016, les principaux enjeux qui se posent à la communauté LGBT?

Si on se base au niveau juridique, nous pouvons dire que l’égalité juridique pour les gais et lesbiennes a été atteinte. Mais ce n’est pas le cas pour la communauté trans. Il y a eu de grands avancements au Québec en juin, mais il reste beaucoup à faire d’un point de vue de l’acceptation sociale. Il y a une homophobie latente au Québec. On n’ose plus le dire ou le faire, mais elle existe.

Comment cette homophobie s’exprime-t-elle?

Ça va être par exemple dans une façon détournée de congédier un employé dès lors qu’on apprend qu’il ou elle est homosexuel(le). Ça s’exprime également dans le financement même des organisations. Prenons l’exemple de Fierté Montréal qui est le plus gros festival LGBT francophone au monde,  qui a été reconnu par la ville comme l’un des sept festivals signature de Montréal, et dont le financement est pourtant beaucoup moins élevé que d’autres festivals de moindre envergure. Sans aucune justification, c’est là que le bât blesse! Rappelons quand même que Fierté Montréal est le deuxième festival, après le Grand Prix, qui attire le plus grand nombre de touristes centrés, c’est-à-dire qui viennent à Montréal spécialement pour l’événement.

Tu parlais plus tôt de grands avancements en juin. À quels changements fais-tu référence? 

Depuis le mois de juin, nous avons inséré dans la Charte Québécoise l’expression de genre, ce qui permet aux enfants de plus de 14 ans (ou moins de 14 ans mais avec consentement parental) de changer leur nom et la mention de leur sexe avant leur entrée à l’école. On sait combien les enfants sont cruels, donc si leur nom est masculin dans les registres de l’école alors qu’ils sont désormais de sexe féminin, c’est comme si on les obligeait à faire leur coming out au quotidien. Grâce à cette loi, ces personnes peuvent se présenter selon leur nouvelle identité et aller aux toilettes des filles par exemple.

Avec les différents grands changements qui ont eu lieu à travers le monde, je pense notamment au mariage pour tous, on a parfois le sentiment que la communauté LGBT est de mieux en mieux acceptée. Est-ce une illusion?

On avance dans la bonne direction, surtout ici au Canada, mais il ne faut jamais arrêter d’être vigilant. En 2013, l’Inde a re-criminalisé l’homosexualité. En 2014, la Russie a interdit la propagande LGBT. Ce n’est pas partout qu’on avance, donc il faut continuer à se battre. Nous n’avons d’ailleurs même pas besoin d’aller très loin: ce n’est pas facile d’être LGBT en région. Même si on est techniquement protégés par des lois, beaucoup n’osent pas afficher leur appartenance à la communauté. Plus il y aura de personnalités publiques qui afficheront leur homosexualité, plus ce sera accepté. D’ailleurs il faudra que ça arrête un jour de faire la nouvelle, que ça devienne juste normal. On demande juste à être traités normalement, à aimer qui on aime.

Pourquoi est-ce qu’en 2016, c’est encore important de défiler ?

Chaque année depuis 2012, on va défiler dans un pays différent. En 2014, nous étions en Ukraine, pour la marche de Kiev. À ce moment-là nous étions 300 personnes à marcher, sur une distance d’environ 500 mètres. Nous étions entourés d’environ 1 000 policiers pour nous défendre. Malgré ça, deux groupes ont réussi à se faufiler. Le premier comptait environ 100 personnes, le deuxième près de 400. Ces personnes étaient venues avec des bombes artisanales, ils nous couraient après avec des tourne-vis, des couteaux, des armes blanches. Un policier juste à côté de moi s’est pris un obus qui lui a tranché la gorge. Voilà pourquoi, encore aujourd’hui, il est important de défiler. Il y a de nombreuses autres raisons: le taux de suicide très élevé chez les jeunes LGBT et plus particulièrement les trans, ce qui s’est passé à Orlando, le fait que le nombre d’athlètes à oser dévoiler leur homosexualité est encore minime, la montée de l’homophobie chez les nouveaux arrivants…Pour toutes ces raisons, il est important de marcher pour l’acceptation sociale, pour contrer l’homophobie latente.

Cette année, la couleur du défilé est le vert. Peux-tu nous expliquer le symbole que ça représente?

Chaque année, nous défilons en prenant pour thème l’une des six couleurs du drapeau créé en 1978 par Gilbert Baker. Chaque couleur a une signification. Le vert représente la nature, en référence à l’environnement mais également à notre nature. Nous souhaitons montrer que nous sommes normaux, que nous sommes des personnes comme les autres, qui viennent de parents hétéros pour la plupart. On a des amis, on a des enfants même.

Comme chaque année, le défilé fera une minute de silence. À qui cette minute sera-t-elle dédiée?

À 14h30, le jour du défilé, nous ferons une minute de silence pour toutes les personnes qui sont décédées du VIH, de l’homophobie ou de la transphobie. Nous dédierons tout spécialement cette minute aux personnes qui ont péri lors de l’attaque du Pulse à Orlando. Cette tuerie est la plus grande tragédie de la communauté LGBT depuis la deuxième guerre mondiale. On peut se poser la question de pourquoi on défile, mais les gens comprennent pourquoi. Il y a eu un réel élan de solidarité à travers le monde.

Qui sont, justement, les personnes qui viennent assister au défilé de Fierté Montréal?

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, la moitié des spectateurs sont hétéros, de toutes communautés confondues. Les politiciens de tous bords viennent et laissent derrière eux leur appartenance politique. Ça me fascine toujours quand je vois défiler côte à côte des familles, des personnes âgées, des personnes asiatiques, noires, trans…Le défilé de Fierté Montréal est plus gros que celui de la Saint-Jean ou de la Saint-Patrick. Tout le monde se sent concerné. Il n’y a pas six degrés de séparation mais seulement un ou deux degrés entre les personnes. Tout le monde connaît quelqu’un dans son entourage qui est LGBT…ou alors ils ne le savent pas (rires)!

Il se prépare en coulisse un grand mouvement au niveau du Canada. Peux-tu nous en parler?

L’année prochaine, nous allons organiser le premier festival de Fierté Canada, qui réunira les différentes provinces. Il y aura une grande conférence de trois jours, pendant lesquels on fera le point sur les avancements, sur les changements à faire. Nous ferons le bilan puis nous proposerons un plan d’action. Comme ce sera le 375e anniversaire de Montréal, il a été décidé à l’unanimité, ce qui est assez rare pour le mentionner, que Montréal serait le premier hôte de Fierté Canada en 2017!

Fierté Montréal aura lieu du 8 au 14 août 2016, avec plus d’une centaine d’activités organisées. Le défilé aura lieu le dimanche 14 août à partir de 13h. Le départ se fera à l’angle du boulevard René-Lévesque Ouest et de la rue Saint-Mathieu. Tous les renseignements sur fiertemontrealpride.com

Texte: Sarah Meublat

Photo: Sharon Pittaway pour Unsplash