8 questions à Massimo Agostinelli, maître bouffon
CreativeMornings

8 questions à Massimo Agostinelli, maître bouffon

Massimo Agostinelli est professeur et chorégraphe à L’École de danse contemporaine de Montréal depuis ses débuts, directeur artistique et chorégraphe de Tanz Dance au Collège Montmorency depuis 1994. Massimo est également maître-bouffon. C’est à ce titre qu’il enseigne à l’école de Bouffon de The School of Toronto Dance Theater, à l’ Écôle de Danse de Québec et The School of Dance in Ottawa. Il anime depuis 12 ans des ateliers de bouffon au Cirque du Soleil ainsi qu’auprès de grandes entreprises comme Disney ou Bombardier.

Massimo Agostinelli sera l’invité de notre conférence du mois d’août, dont le thème est WEIRD. Nous l’avons rencontré pour discuter de son parcours et des enseignements de l’art bouffon.

Bonjour Massimo, peux-tu nous expliquer ce que c’est qu’un bouffon?

Le bouffon est à l’opposé du clown. Quand on regarde les clowns, on rit d’eux. Or le bouffon rit du public. Il est méchant, niaiseux, grotesque. L’art du bouffon est basé sur la tradition médiévale. Les bouffons étaient rejetés par la société pour leur déformation physique. Quand les bouffons venaient dans les villages, ils avaient deux faces: ils étaient gentils avec le monde alors qu’ils volaient par derrière.

Qu’est-ce que tu aimes particulièrement avec le bouffon?

Le bouffon permet de dire des méchancetés sans se sentir coupable. J’amène cette attitude aux adultes dans mes stages. Quand ils arrivent au premier cours je leur dis: « toutes les valeurs catho que t’a appris ta mère, tu les laisses dehors, elles ne fonctionnent pas ici! ». Dans l’art bouffon, il n’y a rien que tu puisses mal faire. Les stages de bouffon sont l’endroit parfait pour gérer ses peurs.

Quelles sont les grandes familles de l’art bouffon?

Il existe quatre familles de bouffons. La première est celle des gros cul/gros ventre. Ce sont les personnages les plus fiers, ils aiment te montrer leurs formes et le font avec beaucoup d’attitude.

La deuxième famille est celle des bossus. Ce sont les personnages les plus humbles. Le bossu est un quêteur professionnel. Il est très fun à jouer parce qu’il est très espiègle.

La troisième famille est celle des nains. Ce sont des personnages hyper importants dans la famille des bouffons. Ils sont toujours en servitude du grand prêtre. Ils ont un grand amour pour le placotage, ils veut toujours tout savoir des histoires des autres. Le but n’est pas de rire de ce monde-là mais de faire prendre conscience. Plusieurs personnes handicapées sont venus à mes stages, c’étaient souvent les meilleurs parce qu’ils savent très bien ce que c’est que d’être mis à l’écart.

Enfin, il y a la famille des grands prêtres. Le grand prêtre est un leader très fanatique. Il proclame qu’il peut parler à dieu même si tout le monde sait que ce n’est pas vrai. Il prend le rôle du roi. Souvent, les gens ne sont pas à l’aise pour le jouer. Mais ce rôle permet de comprendre comment des personnages de l’histoire comme Hitler ont pu prendre le contrôle.

Tu enseignes depuis 12 ans l’art de la bouffonnerie aux athlètes et aux artistes du Cirque du Soleil. Qu’est-ce que ces ateliers leur apportent?

Les ateliers de bouffon sont devenus un passage rituel au Cirque du Soleil. Je les prépare pour une période de création intense, qui comportera de nombreux challenges. Une part de ma job est de leur donner une confiance artistique. Je leur apprends aussi que, contrairement à ce qu’ils ont toujours développé, la perfection n’est pas si importante. Si une personne du Cirque du Soleil n’est pas dans la perfection, elle peut mourir. Mais en même temps ce sont des humains. Ils peuvent faire dix spectacles par semaine mais le show doit rester intact pour respecter la création de celui qui l’a créé. C’est une pression énorme! Avec le bouffon, on travaille l’écoute. Pas juste de soi mais du groupe autour de soi.

Comment as-tu connu l’art bouffon?

Complètement par hasard! Je devais avoir vingt ans et j’étais danseur dans une compagnie de danse contemporaine à Vancouver. Mon coloc, Marcel, arrivait de Paris où il avait suivi les cours de Jacques Lecoq et Philippe Gaulier, de grands maîtres bouffon, pendant quatre ans. Un jour, Marcel me demande si je veux participer au projet bouffon sur lequel il travaille. Je lui réponds que je suis un danseur, et que je ne fais pas ce genre de choses. Mais quelques mois plus tard, je décide d’aller le voir faire le bouffon avec douze personnes déguisées de façon grotesque dans un marché de Vancouver. Ils m’ont tellement intrigué que je les ai suivi toute la journée. J’ai senti qu’il y avait quelque chose à apprendre là. Marcel m’a ensuite envoyé faire des stages auprès de Philippe Gaulier. Marcel était très dur avec moi, très exigeant. Il me donnait sans cesse de nouveaux challenges. Quand il est décédé, il m’a tendu son bâton en me disant que j’allais continuer son enseignement. J’ai accepté sans trop savoir quoi en faire. Ça m’a pris trois ans à me lancer, mais je l’ai fait.

Qu’est-ce que que tu as trouvé dans le théâtre bouffon que tu n’avais pas trouvé ailleurs?

Le théâtre bouffon a fait de moi un meilleur danseur. Ça m’a enlevé toutes mes insécurités, toutes ces phrases que je me répétais du genre « je suis pas bon », cet ego négatif. J’ai grandi avec une mère italienne merveilleuse mais toujours inquiète pour nous. Ça n’a pas aidé à me donner confiance en moi. Au début, j’avais un trac incroyable. Maintenant je suis une bête de scène (rires)!

C’est quoi pour toi la normalité? Il me semble qu’on passe beaucoup de temps à désigner les choses ou les personnes considérées « weird » mais que définir la normalité est vraiment difficile. 

Je ne me considère par weird mais je ne suis pas dans les normes de la société. Ce que je fais est très différent. Qu’est-ce que c’est qu’être normal? Être normal, c’est plate. Avec l’âge, je ne fais plus beaucoup la distinction entre les gens « normaux » et les « weird ». C’est sûr que la première fois que j’ai vu un freak ou une drag queen, je me suis dit que ce n’était pas normal. Mais maintenant, je ne pense plus à ça. Ce qui me trouble, c’est un mec complètement saoul, qui titube la face en sang dans la rue. Dans ces cas-là, je ne sais pas quoi faire. C’est la vraie vie, pas une scène de théâtre bouffon.Je lui donne de l’argent? Autant lui donner une bouteille de whisky!

Quel impact sur la société les ateliers de théâtre bouffon peuvent-ils avoir?

Tout d’abord, avec le théâtre bouffon, on apprend à rire de soi-même avant de rire des autres. Ensuite, on prend conscience de la société qui nous entoure, ce qui permet d’ouvrir les yeux sur les comportements quotidiens. Enfin, en faisant le bouffon tu travailles sur toi-même. Les exercices qu’on fait créent une confiance solide et permanente en soi.

Texte: Sarah Meublat

Photo: Tora Chirila Photography