Transparence: La route du bonheur est-elle pavée de données ?
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Transparence: La route du bonheur est-elle pavée de données ?

Votre smartphone vous a réveillé plus tôt que prévu, semble-t-il, lorsque s’affiche 5h45 sur l’écran. Tout en marmonnant votre mécontentement, vous lisez davantage et vous vous apercevez que « votre vol a été annulé ». Pour arriver à votre destination à temps, vous devrez réserver un vol partant plus tôt, en plus de considérer le trafic du matin. Par chance, vous pouvez éviter la catastrophe en vous levant sur le champ et en appuyant sur « réserver maintenant », tout en avalant un café (ou trois).

Sans l’aide de la révolution numérique et mobile, l’utilisation des informations personnelles des consommateurs pour développer des services sur-mesure tels que l’exemple plus haut n’aurait jamais été possible.

D’un autre côté, de nouvelles sources de revenus et les profits engendrés par cette cueillette d’informations inquiètent les consommateurs. Car si la valeur ajoutée du partage d’information peut être très clairs par moments, il peut également soulever un certain nombre de questions ; cette valeur est-elle distribuée également parmi les personnes impliquées ?

SI C’EST GRATUIT, C’EST QUE VOUS ÊTES LE PRODUIT

Le concept de collecte d’information pour personnaliser des services est loin d’être nouveau. Ceci dit, tandis que les technologies ont rendu ces échanges plus fluides et automatisés, le niveau de conscience des consommateurs quant à pourquoi, comment et quelles informations sont recueillies à des fins commerciales a changé.

L’utilisation de larges bandes et du Wi-Fi sur mobile ont permis un accès illimité à Internet, que ce soit pour trouver le meilleur restaurant libanais du quartier ou pour suivre vos progrès alors que vous vous entraînez pour le prochain semi-marathon. Dans l’ère des objets connectés, nos vies physiques fusionnent avec nos habitudes en ligne. De la socialisation au shopping en passant par la télévision, nous évoluons désormais dans un monde phygital. En interagissant avec quelques douzaines d’entreprises en moyenne tous les jours, de la lecture de leur infolettre à l’utilisation de leur application, nous leur envoyons des signaux sur comment, quand et parfois pourquoi nous utilisons leurs contenus, produits ou services.

Ces données sont collectées, analysées et testées pour concevoir des analyses prédictives et obtenir de précieuses conclusions à propos de motifs ou besoins restés sous silence.Elles peuvent également être utilisées pour cibler un certain public par des annonceurs qui cherchent à maximiser leur retour sur investissement. Dans les modèles de ce type, si le contenu est gratuit, c’est parce que vous, l’utilisateur, êtes vendu en tant que membre d’une « audience ciblée ».

Plus le ciblage se précise, plus l’attrait augmente pour certains annonceurs, dont la mentalité a changé de la communication de masse à la segmentation et à la personnalisation de contenu automatisé. De la programmatique à la vidéo sur demande interactive et ciblée, les serveurs publicitaires deviennent plus sophistiqués à chaque minute.

LE PRIX DU BLOCAGE DES PUBLICITÉS

D’un autre côté, les ad blockers approchent les 200 millions d’utilisateurs mensuels actifs, alors que les consommateurs tentent d’éviter les atteintes à la vie privée. Quoi que parfaitement compréhensible, cela pose un problème de taille aux médias. Puisque la population est réticente à payer pour de l’information ou des nouvelles, les éditeurs ne peuvent s’attendre à ce que leurs revenus proviennent uniquement des abonnements, mais plusieurs d’entre eux peinent à contourner les ad blockers pour demeurer attractifs auprès des annonceurs.

Des systèmes de micropaiement aux versions d’essai « ad light », les médias d’aujourd’hui font face à un problème éthique : comment servir au mieux son audience pour un prix qu’ils sont d’accord de payer tout en protégeant leur vie privée? Et croyez-moi, malgré le fait que les années Spotlight soient révolues, un bon contenu ne vient pas sans frais.

ON VOUS OBSERVE

De vos penchants politiques à votre probabilité d’être enceinte, les entreprises peuvent en dire beaucoup sur vous sur base de vos empreintes numériques. Et le savoir, c’est le pouvoir. Juste à voir la valeur en Bourse de compagnies tel que Google ou Facebook, conçues pour collecter, agréger, analyser et monétiser les informations personnelles, on peut dire que ça vaut cher !

En fait, des rumeurs circulent voulant que Facebook vous payerait bientôt pour continuer à l’utiliser! Mozilla voudrait également développer un nouveau fureteur centré sur le respect de la vie privée, qui vous payerait en bitcoins pour être exposé à des publicités sécuritaires.
Et le monde virtuel grandit à une vitesse exponentielle ; songez à Google Nest ou Apple Homekit, qui tentent de connecter votre demeure et surveiller votre environnement. Votre banque pourrait bientôt déduire selon vos profils de réseaux sociaux si vous avez un comportement à risque et décider de ne pas vous accorder ce prêt auto, même si vous n’avez jamais raté un paiement de carte de crédit. Et c’est là où le bât blesse…

Et si on vous refusait cette promotion car votre employeur a découvert que vous attendiez un enfant ? Et si vous aviez pu avoir ce voyage aux Caraïbes pour beaucoup moins cher, si seulement vous n’aviez pas été étiqueté « haut revenu » ? Et si le gouvernement commençait à vous poser des questions à propos d’évasion fiscale à cause de ces photos de vous buvant du champagne au chalet de vos amis ?

Si vous croyez qu’il s’agit de pure paranoïa, jeter un œil à Do Not Track, une série web personnalisée à propos de vie privée et de l’économie du web. En fait, jusqu’à très récemment chez nos voisins du sud, le Electronic Communications Privacy Act de 1986 permettait aux forces de l’ordre de lire les courriels des citoyens sans mandat et de les utiliser au sein d’une enquête.

Alors que les technologies évoluent plus vite que les lois (il aura fallu 20 ans aux États-Unis pour revoir cette loi), un nombre grandissant de pratiques d’affaires tombent dans la « zone grise ». Alors comment pouvons-nous, en tant que consommateurs, réguler ce que nous partageons et ce que nous gardons pour nous, alors que c’est à peine si nous savons si cette Smart TV ou cette console de jeux enregistre nos faits et gestes ?

Où se situe la limite entre offres sur mesure et contenus personnalisés, et atteintes à la vie privée ? Qui décide de ce qui est partagé avec qui, quand les nouveaux produits et modèles d’affaires voient le jour plus rapidement que les règles pour en protéger les utilisateurs ?
Autant de questions qui méritent réflexion, en ce mois d’octobre dédié à la transparence !

Texte par Audrey Raby.
Illustration de James Billiter.