Le son qui nous lie
« Nous sommes tous des experts de la perception musicale! » affirme le professeur de l’Université McGill Daniel Levitin dans son livre This Is Your Brain On Music.
Doit-on en conclure que même celui qui prétend ne pas savoir tenir une guitare et bouger aussi gracieusement qu’une machine à laver serait un expert de l’écoute musicale? « La musique – comme le langage – sont des traits humains universels », confirme Barbara Tillmann dans son article La musique, un langage universel, paru dans la rubrique Neurosciences du magazine Pour la Science.
Cette approche universaliste donne le ton à notre réflexion du mois de décembre sur le thème du SON. Un thème qui fait écho à dernière expérience de voyage.
Je reviens de l’Islande – pour l’anecdote, je suis arrivée à Reykjavik le matin des élections historiques qui allaient porter au pouvoir le Parti pirate – où j’ai assisté au festival Iceland Airwaves. Ce festival de musique a été créé en 1999 par la compagnie aérienne Icelandair afin de faire connaître les artistes locaux, et du même coup faire la promotion du tourisme, on ne s’en cachera pas.
Depuis, le festival a grandi et a permis de révéler non seulement les talents de nombreux artistes islandais, mais également ceux du reste de la scène émergente internationale, qui jouissent aujourd’hui d’un succès assez enviable, dont Of Monsters And Men, Sigur Rós et Florence and the Machine, pour ne nommer que ceux-là.
D’ailleurs Florence and The Machine montera sur la scène du Centre Bell à Montréal le 8 juin prochain avec ses acolytes Of Monsters And Men qui assureront la première partie du spectacle pour le plus grand plaisir de leurs fans montréalais.
Les spectacles du festival Iceland Airwaves ont lieu dans différents endroits à travers la ville : bar, cafés, salons de thé, librairies, boutiques de disques, anciens hangars d’avions, chambres d’hôtels, à l’extérieur, et même sur l’île d’Akurey.
C’est intéressant de voir comment s’y prend un festival de musique aujourd’hui pour se distinguer de la compétition. Contrairement aux festivals en plein air très célèbres qui concentrent leurs spectacles sur un site extérieur – camping désert pour Coachella, grand parc au bord de l’eau pour Osheaga – Airwaves s’empare de la ville au grand complet comme un terrain de jeu. Mis à part les spectacles à l’affiche il y a également de nombreux concerts gratuits (off-venue) offerts un peu partout.
J’ai donc fait la découverte de nouveaux groupes musicaux sans avoir à me procurer de laissez-passer, dont le band islandais Moses High Tower et la chanteuse Soley.
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J’ai ainsi renoué avec cette sensation que j’éprouvais, enfant, lorsque j’écoutais de la musique en anglais sans comprendre les paroles.
Ce qu’il y a de particulier quand on écoute une chanson et qu’on peut en saisir le sens est qu’on peut presque anticiper le mot de la fin. Il nous est tous déjà arrivé de deviner les paroles qui sortiront de la bouche du chanteur ou de la chanteuse. (Ça m’est arrivé souvent en écoutant des chansons kitsch, ou les Backstreet Boys.) Cette manière d’anticiper la musique est presque une seconde nature pour certains, si bien qu’on ne s’en rend pas forcément compte.
Faute de pouvoir deviner le fil conducteur de l’histoire et ce qui viendrait par la suite, j’étais forcée de me contenter de sentir le rythme vibrer à l’intérieur de moi, et c’est comme si les chansons me parlaient autrement, d’une manière presque instinctive. Je ne devais pas être la seule à observer les sourires complices échangés, les corps qui ondulaient et les têtes qui hochaient de haut en bas dans un mouvement d’accord commun.
J’ai compris qu’une chose demeure constante, celle d’être touché par la musique peu importe si la majorité de la foule parle la même langue ou pas. Il y a ce rapport émotionnel ou physique. En d’autres mots, soit la musique «vient te chercher dans les tripes» ou le beat te fait bouger, mais dans les deux cas, la chanson te parle.
Ces mots absents de notre vocabulaire trouvent écho dans le rythme, les arrangements, les percussions et l’énergie que le groupe partage avec la foule. En ces temps d’incertitude grisâtre où nos poètes les plus optimistes nous quittent, j’ai trouvé ça beau, fort et pur à la fois, ce retour à l’essence même de ce langage qui nous lie.
Texte: Jessica Beauplat