Du beau sous le vernis de la morosité ambiante
CreativeMornings

Du beau sous le vernis de la morosité ambiante

Il faut gratter, mais il y a du beau sous le vernis de la morosité ambiante. En décembre dernier, CreativeMornings/Montréal a voulu entendre le son de la communauté et de façon concrète écouter ce que celle-ci avait à dire. Parmi les trois voix sélectionnées qui nous ont toutes faites vibrer, il y avait celle de Véronique Carbonneau.

Aujourd’hui directrice philanthropique du Centre pédagogique Lucien-Guilbault (CPLG), l’ancienne intervenante Véronique Carbonneau a partagé avec nous l’histoire d’un rêve qui semblait a priori impossible: construire en moins d’un an, une école d’adaptation scolaire sur l’île de Montréal!

L’équipe du CPLG a cru qu’il était nécessaire de construire un nouveau bâtiment pour ces élèves en trouble  grave d’apprentissage pour qui le système n’a pas les ressources adaptées à leurs besoins. Petit retour sur la genèse de ce projet propulsé par la créativité de gens de coeur!

Crédit photo: Robert Viau
Crédit photo: Robert Viau

Quels principaux obstacles as-tu eu à affronter dans la construction de cette école?

Des obstacles, il y en a eu plusieurs. Comme on a essayé des choses nouvelles, à chaque étape, il y avait des gens pour nous dire:  « Non, on ne peut pas faire ça comme ça ». À un moment donné, il faut que tu mettes de côté les voix de ces personnes qui essaient de te freiner et que tu t’écoutes vraiment. Il faut que tu sois capable de dire: « Non, regarde, on prend la bonne décision. On a regardé partout autour pour voir ce qui se faisait, on s’entoure des bons acteurs, on regarde vers les bons partenaires, avec qui on pourrait s’associer, on fait le bon choix ».

Je n’ai qu’à penser au tout début du projet ; il y avait plusieurs contraintes techniques par rapport aux arbres centenaires environnants qu’il fallait prendre en considération. On ne pouvait pas faire n’importe quoi ou couper n’importe où. Comme il était impossible de procéder selon le plan initial, nous nous sommes questionnés ensemble. À un moment donné, les architectes, la directrice générale, Brigitte Raymond, et tout le monde, se sont simplement regardés et le déclic s’est fait: si on inverse l’école de côté ça fonctionne! Et donc on a inversé les plans et jonglé avec tout ça.

Comment faire pour garder les gens motivés et ne pas tomber dans le cynisme?

La directrice générale en est venu à un constat qu’il fallait bouger. Ça ne fonctionnait plus avec l’ancienne bâtisse. Jusqu’au déménagement, les gens ne croyaient pas que ce serait possible. Jusqu’au dernier moment tu te dis qu’il va y avoir des retards de chantier, ou que c’est impossible d’y arriver dans les délais. Il fallait qu’on déménage le 25 juin parce qu’on avait déjà vendu l’autre école. Il y avait beaucoup d’anxiété, mais l’équipe d’entrepreneurs comprenaient vraiment pour qui ils bâtissaient l’édifice parce qu’ils rencontraient les jeunes du secondaire. La directrice générale a été sur tous les chantiers pour s’assurer que tout était respecté. Il y avait beaucoup de consultations avec les professionnels pour évaluer: comment on la veut notre école? Qu’est-ce qui va être efficient?

Il fallait considérer des choses qui peuvent sembler aussi banales que des déplacements parce qu’il y a plusieurs sous-groupes, plusieurs intervenants qui travaillent ensemble. Il fallait permettre de faciliter le travail quotidien de tous (élèves comme adultes). Là il y a comme une chorégraphie de déplacement. C’est vraiment l’implication de chaque personne qui a fait la différence.

Crédit photo: Robert Viau
Crédit photo: Robert Viau

De ton propre aveu, tu n’avais aucune idée de ce que tu faisais en te lançant dans l’aventure. Étais-tu consciente qu’il y avait de fortes propensions à l’erreur?

C’est sûr que tu peux te tromper et ce, même quand tu ne fais pas quelque chose pour la première fois, mais à mon avis quand tu te questionnes à chaque étape, que tu t’assures que tu as respecté tes intentions par rapport aux contraintes, que le casse-tête a l’air de fonctionner, que tu travailles en équipe, que tu viens combler des besoins, je ne vois pas pourquoi tu te tromperais.

On prenait vraiment le pouls, on voyait ce qui ne fonctionnait pas à l’autre école. La directrice générale prenait le temps de nous poser des questions puis de regarder en équipe pour trouver une solution. Peu importe les contraintes, nous étions ouverts aux solutions et nous prenions la meilleure décision en toute connaissance de cause. Il fallait absolument construire une nouvelle école.

En tant que directrice philanthropique, quel est ton rôle concrètement?

Mon rôle, c’est de trouver les meilleurs alliés et de créer des partenariats. Je crois qu’aujourd’hui ce n’est plus une question d’aller chercher uniquement du financement. Il faut que cela aille plus loin, chercher la collaboration, la coopération et la complémentarité.

Mon travail, c’est de dénicher des gens qui ont du potentiel, des projets à développer et de venir les coller à notre toile d’araignée. Le CPLG désire donner vie à des projets, on a tellement de possibilités, tellement de tentacules et mon travail c’est vraiment d’aller chercher des gens qui veulent et qui peuvent se coller à nous.

Il y a aussi un énorme côté créatif, parce que mon travail n’a jamais été fait par personne ici au CPLG. À chaque jour je dois me questionner, planifier ma stratégie puis me dire : « ok l’école aurait envie de créer tel projet en lien avec la cuisine ou le sport. Quel partenaire je pourrais aller chercher? »

Quelle est la vision à long terme du Centre pédagogique Lucien-Guilbault?

Dès qu’ils atteignent l’âge de 16 ans, nos élèves retournent dans le système scolaire régulier. On aimerait ouvrir un secteur pour qu’ils puissent continuer de cheminer avec nous de 16 à 21 ans. On ne sait pas encore comment, là on rêve beaucoup. Avec les seize professionnels de l’école, on est en train de parler des enjeux de la vie, de la société mondiale, pour voir où on veut amener nos jeunes, quel impact on aimerait avoir en lumière des objectifs ministérielles?

On a amené l’équipe à l’extérieur, dans une salle, pendant une journée pour faire un brainstorm sur toutes les grandes tendances et réfléchir à la manière dont ça pourrait les affecter. On a fait des mises en situation. Par exemple, on s’est posé la question: « si on croisait un jeune dans 50 ans, qu’est-ce qu’on aimerait l’entendre dire à propos de ce que le CPLG a apporté dans sa vie? »

Éventuellement on aimerait devenir une ressource au Québec et avoir des écoles satellites un peu partout dans la province.

Crédit photo: Robert Viau
Crédit photo: Robert Viau

Ces jeunes ont vécu des échecs à répétition et leur estime est au plus bas. Forcément ils ne veulent plus rien entreprendre par peur d’échouer à nouveau. Comment vous y prenez-vous pour leur réapprendre à se tromper et en tirer des leçons plutôt que de la honte?

C’est vrai que quand les élèves arrivent ici souvent ils vont montrer beaucoup de résistance et refuser de faire de nouveaux trucs par crainte de l’échec. Il faut procéder de manière graduelle, à petite échelle. Il faut les encourager. Même si ça peut être difficile, on leur montre qu’on sera là pour les accompagner et les aider à trouver les bons outils. Puis si c’est trop difficile, à ce moment-là on va s’adapter et morceler encore plus pour trouver une autre solution.

Les élèves se sentent tellement bien parce qu’ils se sentent compris. Ils réalisent qu’ils sont tous différents (comme tous les êtres humains d’ailleurs) sauf qu’ils savent qu’ici leur différence est acceptée des autres. Ils ne sont pas seuls et leur force peut venir combler la faiblesse de quelqu’un et pareillement la force de leur camarade peut les aider à leur tour. Les élèves se voient évoluer, ça les encourage. Quand tu goûtes à tes passions, que tu goûtes au plaisir parce que tu fais quelque chose dans lequel tu es bon, ça aussi ça contribue à la confiance.

Comment vous-y prenez-vous pour faire de l’école un lieu fantastique?

On met beaucoup d’âme, beaucoup de passion. Tout le monde met son coeur de l’avant. Le personnel cherche constamment de nouvelles façon de faire, ils réinventent le matériel, vont s’adapter aux élèves, adapter leurs pratiques.

En aidant les élèves à développer leurs passions ceux-ci voient qu’ils sont capables de faire certaines choses alors qu’ils n’auraient jamais eu nécessairement le milieu pour les essayer. Par exemple, au secondaire quand ils ont commencé à développer des projets d’entrepreneuriat, ils ont compris que lorsque tu fais une affiche publicitaire, il ne faut pas faire de fautes de français. Donc ils font le lien, le français c’est important. Quand tu vends un crayon à 1 $ et que la personne te remet 2 $, les mathématiques prennent tout leur sens.

Il s’agit de les aider à intégrer au quotidien ce qu’ils apprennent en cours, de les amener à développer leurs passions et voir leurs forces. Ça leur permet de découvrir la fierté et le plaisir d’apprendre.

Texte: Jessica Beauplat
Crédit photo de couverture: LAP photographie