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Politique et web 2.0 : Le syndrome de Denis Coderre

C'est l'automne. Saison où je commence tout naturellement à lire mes livres de recettes et où je sors mon autoclave pour les conserves maison. Cette année, je vais essayer de manger moins gras. Grosse décision pour le confort de mon hibernation.

C'est aussi la saison du hockey qui commence et j'ai aussi décidé de cesser de suivre Denis Coderre sur twitter. Je m'excuse à l'avance auprès des 16 000 suivants qui continueront de lire ses commentaires sportifs en direct. Vous me tiendrez au courant si jamais il gagne la coupe.

Décidément, c'est l'heure des choix santé…

Allez… Je vous explique. En fait, ce n'est pas tant Denis Coderre que je cesse de suivre, mais bien cette nouvelle manière d'entrevoir la politique et la mobilisation citoyenne à l'ère du web 2.0. Les sessions de poignées de main virtuelles, le personnal branding viral, ce monde parallèle où ce qu'on a l'air de faire en public a plus d'impact que ce qu'on fait vraiment en privé.

J'ai beau être cynique, je suis encore un grand naïf. C'est une partie de moi qui refuse de vieillir. Je m'étais imaginé qu'à suivre des politiciens sur le web, j'allais en savoir plus sur leur travail, découvrir certaines facettes de leur métier. Plus fou encore, j'allais même jusqu'à penser que ces nouveaux moyens de communication allaient leur permettre de saisir au bond la balle du cynisme en s'adressant aux citoyens pour stimuler une certaine mobilisation autour de leurs projets respectifs.

Or, comble de l'ironie, on invite maintenant Denis Coderre dans les médias non pas pour le questionner sur son travail dans son comté – et Dieu sait que, dans Montréal-Nord, il y aurait quelques problématiques fort intéressantes à discuter – mais bien pour nous parler de Twitter et de Hockey…

– J'ai croisé Denis Coderre hier.

– Ah oui! le politicien qui twitte sur le hockey?

Si au moins le hockey était un prétexte pour stimuler une conversation de nature politique – après tout on n'attire pas les mouches avec du vinaigre – mais non… Même pas… Du pain et des jeux. Ça a fonctionné à Rome, ça devrait fonctionner dans le comté de Bourassa…

Il y a quelque chose qui cloche dans tout ça. Qui cloche considérablement même. Sans doute que face au cynisme ambiant, certains politiciens croient qu'il serait préférable de faire oublier leur occupation première pour mettre de l'avant leur rôle d'amateur de sport. Peut-être qu'il vaut mieux désormais être connu et reconnu comme supporter d'un club de hockey que comme député d'un comté où persiste une profonde pauvreté matérielle et sociale … Et pire encore, peut-être que ce faisant, on a pas mal plus de chance d'être élu que si on prend le risque d'ouvrir son jeu politique. Au Québec, on aime ça, le hockey.

Et après tout, peut-être qu'en twittant qu'il fait bon vous balader à la marche bleue on finira par croire que le retour des Nordiques saura motiver notre belle jeunesse des quartiers défavorisés à faire du sport au lieu de décrocher de la polyvalente Calixa-Lavallée pour devenir des criminels en puissance.

Tiens… J'y pense! « Les bleus », n'est-ce pas le nom d'un gang de rue dans Montréal-Nord?

Oui, j'ironise.

Vous allez me dire que de toute façon, c'était déjà comme ça dans le « monde réel ». Les politiciens vont serrer des mains dans les arénas et enfilent les gilets d'équipes sportives depuis le début des temps. Alors qu'ils fassent de même sur twitter ou facebook n'a rien de bien étonnant. Pourquoi les relations publiques sur le web 2.0 seraient-elles différentes de ce qui se faisait traditionnellement dans les médias et sur le terrain?

Trêve de raillerie. Si je vous raconte tout ça, c'est parce que cette anecdote à propos de Denis Coderre, banale au demeurant, me sert au fond de prétexte pour réfléchir sur la présence des politiciens sur les médias sociaux et, plus profondément, sur la mobilisation citoyenne sur ces mêmes réseaux.

On aime croire, dans certains cercles d'initiés, que les médias sociaux sont une révolution qui change profondément tous les aspects de la civilisation. En politique, l'élection de Barack Obama est devenu l'exemple par excellence duquel on s'inspire désormais. Mais on oublie souvent qu'il ne suffit pas d'être simplement présent et d'avoir des fans sur twitter pour obtenir un tel succès : la pierre angulaire du succès d'Obama était la mobilisation décentralisée sur des enjeux réels.

L'erreur serait de croire que la simple utilisation des outils garantit l'obtention de résultats identiques. Cette croyance semble pourtant bien implantée dans les esprits.

C'est un peu comme si je vous disais que puisque l'imprimerie a permis la mobilisation des Français lors de la Révolution, en rendant possible, par exemple, la diffusion des écrits de Rousseau et Voltaire, il devrait en être de même pour les calendriers de Justin Trudeau. Ben quoi… C'est de l'imprimerie non?

Si les réseaux sociaux sont utilisés par les politiciens de manière à dupliquer les mêmes vieux comportements ringards, responsables en grande partie du cynisme des citoyens, en serrant virtuellement toujours plus de mains dans les événements sportifs pour mousser leur branding, en donnant des tapes dans le dos en forme de tweets pour avoir l'air de bons jacks, ou pour spinner exactement les même lignes qu'on entend de toute façon lors des périodes de question, aussi bien déclarer tout de suite que le web 2.0 n'est qu'une scène de plus pour faire de la politique spectacle et du populisme à la petite semaine.

Si j'avais l'ambition de créer un concept à la mode, j'appellerais cette tendance le syndrome de Denis Coderre.

Il n'y a pas de hasard… Alors que j'écrivais ces lignes plus tôt ce matin, @duchp envoyait sur twitter des liens vers deux articles directement reliés à la mobilisation citoyenne et à la politique sur les réseaux sociaux. Je suis loin d'avoir terminé de les éplucher et d'en tirer une interprétation… Mais dans le premier, rédigé par  Frank Rich, intitulé Facebook Politicians Are Not Your Friends, une phrase m'a particulièrement accroché :

« social media increase the efficiency of the existing order rather than empowering dissidents. »

Hum… Alors le web 2.0? Une force pour les citoyens mais aussi un appareil idéologique d'État supplémentaire? À méditer…

J'y reviendrai bientôt, en attendant, je vous colle les références :

RICH, Frank, Facebook Politicians Are Not Your Friends, The New York Times, 9 octobre 2010

GLADWELL, Malcolm, Small Change. Why the revolution will not be tweeted, The New Yorker, 4 octobre 2010