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Richard Martineau : Entre la veste réversible et la nudité.

Je l’ai tellement retournée
Qu’elle craque de tous côtés
A la prochaine révolution
Je retourne mon pantalon

-Jacques Dutronc, L’opportuniste

Dans une récente chronique publiée dans le Journal de Montréal, Richard Martineau s’en prenait à la Fédération Professionnelle des Journalistes du Québec (FPJQ) qui tiendra son congrès annuel en fin de semaine. En effet, un des ateliers proposé par la FPJQ s’intitule « Un éléphant dans la pièce » et propose une réflexion sur la place démesurée occupée par l’empire Quebecor sur l’échiquier médiatique Québécois. Une démesure qui inspire aux organisateurs de l’atelier la question suivante : « Si Quebecor décidait de se mettre au service d’une cause politique ou idéologique, qui pourrait l’en empêcher? »

Hypocrisie, dénonce Martineau. Selon lui, les journalistes se mettent la tête dans le sable et devraient plutôt s’intéresser à Gesca, une entreprise dix fois plus grosse que Quebecor qui possède « SEPT des DIX quotidiens du Québec » (c’est lui qui souligne).

Mon collègue Steve Proulx a bien relevé l’erreur flagrante dans le calcul de Martineau. Il ne suffit certainement pas de se fonder sur le nombre de quotidiens au Québec pour déterminer le poids de la convergence de tel ou tel empire. Ce 7/10, proposé comme une sorte de formule magique, comme le reste de l’argumentaire de Martineau, provient d’un ouvrage de Robin Philpot, l’État Desmarais, publié en 2008. Fallacieux, ce calcul ne tient pas compte, comme le souligne Steve Proulx, d’autres facteurs qui permettent de croire que Quebecor et toutes ses ramifications -qui vont de la production télévisuelle à la distribution et la vente de disques en passant par des maisons d’édition et des dizaines de magazines hebdomadaires- pèsent plus lourd dans la balance que n’importe quel autre joueur sur le terrain médiatique québécois.

Ce qui a de quoi étonner, c’est que Richard Martineau, loin d’ignorer tout cela, décrivait lui-même l’ampleur de l’empire PKP, qu’il traitait au passage « d’assisté social de luxe », dans une de ses chroniques au VOIR, intitulée Les vautours, publiée en avril 2004.

Vous n’êtes pas contents de ma chronique? Écrivez au Conseil de presse. De toute façon, cet organisme n’a aucun pouvoir décisionnel, et il est aussi puissant qu’un chaton mort dégriffé. Vous croyez qu’il fait peur à PKP, le Conseil de presse? Vous croyez qu’il va l’empêcher de publier six pages sur la nouvelle coupe de cheveux d’une ex-gérante de salon de bronzage devenue chanteuse de karaoké professionnelle dans Le Journal de Montréal ou Le Journal de Québec? Absolument pas. La marde va continuer de tomber, comme d’habitude. Et les commissaires du CRTC vont continuer de sourire de toutes leurs dents et d’applaudir à tout rompre les merveilles ô combien merveilleuses de la convergence.

Alors, fuck la délicatesse, fuck la peur des critiques et fuck PKP et ses porteurs de valises. Moi aussi, je converge. Je converge et je signe.

On dit que Télé-Québec (qui coûte 7 $ par année à chaque Québécois) vit de l’argent des contribuables. Et les autres réseaux de télé, ils vivent de quoi, d’après vous? D’amour et d’eau fraîche? Ils sont subventionnés à l’os. Les émissions qu’ils diffusent sont subventionnées à l’os, les entreprises qui produisent ces émissions sont subventionnées à l’os, les diffuseurs profitent de toutes sortes d’entourloupettes fiscales – bref, tout le monde dans le milieu de la télé vit aux crochets de l’État.

Et le milliard de dollars que la Caisse de dépôt a investi dans Quebecor, il vient d’où, vous pensez? De la tirelire de PKP? Il vient de nous tous, de vous, de moi. C’est NOTRE argent. PKP est un assisté social de luxe, c’est tout. Le fric qu’il pompe dans son empire est NOTRE fric. C’est grâce à NOTRE argent s’il peut vendre les beuglements de Wilfred dans ses magasins de disques, ses journaux à potins, ses sites Web, ses huit grands quotidiens urbains, ses 175 hebdos régionaux et ses 170 vidéoclubs.

(…)

Et pendant que les gros gras s’engraissent le bide en pigeant à qui mieux mieux dans la caisse, c’est sur le petit à lunettes qu’on frappe.

https://voir.ca/chroniques/ondes-de-choc/2004/04/28/les-vautours/

C’était en 2004… Or, alors que l’empire Quebecor n’a fait qu’engraisser depuis, Martineau tente aujourd’hui de faire valoir que celui qu’il qualifiait naguère de « gros gras » ne devrait pas nous inquiéter outre mesure, puisqu’il ne possèderait que deux quotidiens sur dix.

Plus encore, dans une autre chronique, aussi publiée dans le VOIR en 2003, Leçon de français no 21, Richard Martineau nous proposait une définition de la convergence :

Chaque jour, dans Le Journal de Montréal (empire Quebecor), vous pouvez lire une chronique sur Star Académie, une émission diffusée sur les ondes du réseau TVA (empire Quebecor). Savez-vous sur quel réseau de télé les finissants de Star Académie feront leurs débuts professionnels, une fois l’émission terminée? Vous avez visé juste: sur le réseau TVA (empire Quebecor). Et on pourra voir leur jolie bette en page couverture des journaux et des magazines appartenant à l’empire Quebecor. Ils seront aussi interviewés dans les talk-shows diffusés sur les ondes du réseau TVA (empire Quebecor). Talk-shows qui seront mis en vedette dans les pages des journaux appartenant à l’empire Quebecor. Car dans l’empire Quebecor, tout converge, tout aboutit au même résultat, tout tend vers un but commun. L’empire Quebecor est comme un cochon. Rien ne se perd, tout se mange, on fait du gras avec la viande, de la sauce avec du gras, de l’eau avec de la sauce, tout est bon, tout peut servir, tout se recycle, tout se vend.

https://voir.ca/chroniques/ondes-de-choc/2003/03/06/lecon-de-francais-no-21/

Autrement dit, dans l’esprit de Richard Martineau, à l’époque, Quebecor représentait l’archétype même de la convergence, le cas de figure exemplaire. C’était avant QMI, avant le lock-out au Journal de Montréal, avant la décision de PKP de ne plus contribuer au Fonds canadien de la Télévision, avant qu’il se retire du conseil de presse, avant le projet de Sun TV News… Si à l’époque, selon Martineau, L’empire Quebecor était déjà « un cochon », faut-il s’étonner que d’autres y voient désormais un éléphant qui pourrait devenir pour le moins embarrassant?

Il serait fallacieux de conclure que la position actuelle de Richard Martineau devrait être invalidée simplement parce qu’il a tenu ces propos à l’époque. Pour diverses raisons, il peut avoir simplement changé d’avis.

Par contre, on peut de bon droit se demander sur la base de quelles nouvelles informations Martineau a pu effectuer une telle volte-face en l’espace de sept années pour conclure maintenant que « le véritable empire » n’est plus celui de son nouveau patron, mais bien celui de son principal concurrent. Tous les griefs habituellement adressés à Gesca étaient déjà bien connus à l’époque, que ce soit ses allégeances fédéralistes, ses ententes de promotion croisée avec Radio-Canada ou sa promiscuité avec les hautes instances du Parti Libéral. À ce titre, rien n’a réellement changé.

Visiblement mécontent, Richard reproche aux membres de la FPJQ de porter un jupon qui dépasse à un point tel qu’ils ne peuvent plus avancer sans s’enfarger dedans…

…Facile à dire, quand on se balade nu.