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Web mobile et diffusion par application : À l’aube du web payant?

Ce qui ne manquera pas d'intéresser les observateurs des médias en ce début d'année, c'est le nouveau portail payant du New York Times qui, annoncé en janvier 2010, devrait voir le jour ce mois-ci. Depuis l'annonce de ce projet, qui consiste à faire payer les utilisateurs réguliers du site d'information le plus populaire des États-Unis (Rue89 rapportait 17 millions de visiteurs uniques par mois il y a un an), nous n'avons obtenu que très peu d'information à ce sujet. On sait simplement que la formule retenue serait de laisser les visiteurs lire gratuitement un certain nombre d'articles mensuellement pour ensuite leur proposer un forfait pour un accès illimité.

La formule de l'abonnement afin d'obtenir l'accès illimité à des contenus journalistiques sur le web n'est certes pas nouvelle. Le Financial Times et le Wall Street Journal optent aussi pour cette formule hybride. Plus près de nous, sur le site du quotidien Le Devoir, seuls les abonnés ont accès à la totalité des articles (17,52$ par mois du lundi au samedi). En France, Le Monde propose aussi des abonnements par mois (15 euros) ou des achats d'articles à l'unité (2 euros). Libération de son côté offre un accès illimité à son site web sur une base mensuelle (6 euros) ou annuelle (72 euros), en plus d'une formule « abonnement numérique » incluant  des applications pour Ipad et Iphone qui donnent accès à l'ensemble de leurs contenus.

Cette tendance vers l'application permet d'entrevoir un nouveau modèle de mise en marché des contenus numériques et sans doute une formule qui sera de plus en plus envisagée par les journaux et magazines en ligne.

C'est en tout cas le modèle retenu par Rupert Murdoch, Président fondateur et CEO de News Corporation, véritable géant mondial des médias, qui devrait sortir le 19 janvier prochain The Daily exclusivement sur Ipad pour la somme de 0.99$ par semaine. Le principal intéressé serait même prêt à verser trente million de dollars dans cette aventure à laquelle prendrait aussi part Apple et Steve Jobs. Difficile d'en savoir plus sur cette collaboration qui selon toute apparence consisterait en une forme de support technique.

Cette collaboration entre Rupert Murdoch et Apple afin de mettre en marché un contenu payant via une application exclusive pour Ipad devrait intéresser au premier chef les observateurs des médias et les producteurs de contenus.

Rupert Murdoch est bien connu pour ses positions contre le tout gratuit sur le web. À l'égard de Google par exemple, qui fait ses choux gras en indexant gratuitement des contenus produits par les médias, il ne mâche pas ses mots, parlant de « pillage » et allant même jusqu'à envisager de bloquer ses contenus aux moteurs de recherche. Et c'est exactement dans cette direction que pointe cette mise en marché par application exclusive. Les contenus numériques sortent ainsi du World Wide Web et échapperont aux agrégateurs et même aux sites permettant le partage de liens, qui apparaissent cependant incontournables aux yeux des protagonistes du marketing viral.

Depuis l'avènement du web, la monétisation des contenus numériques n'a cessé d'être le principal enjeu des producteurs et éditeurs sans qu'une solution viable ne puisse être réellement envisagée. Les revenus publicitaires web n'ont jamais pu garantir un certain retour sur l'investissement si bien que le web, dans un contexte journalistique, est plus souvent demeuré un complément d'une offre traditionnelle. À ce titre, la montée récente et le succès indéniable des sites à user generated content tels que Facebook ne laissent pas entrevoir de jours meilleurs pour les producteurs et éditeurs.

La participation d'Apple à un tel projet, sans que l'on sache réellement en quoi elle consiste, soulève aussi quelques questionnements. Même si le partenariat entre les deux entreprises est purement technique, il n'en demeure pas moins qu'en jouant ce jeu, Apple met un pied dans un certain choix éditorial. Est-ce que l'application de News Corporation sera avantagée par rapport à d'autres de même nature? Il va de soi que certains éditeurs d'applications se posent de bon droit cette question.

On sait par ailleurs qu'Apple impose déjà une politique d'utilisation qui lui permet de refuser telle ou telle application qui ne répondrait pas à ses critères. Est-ce dire que l'entreprise aura droit à un certain regard éditorial sur les contenus de The Daily ou encore est-ce qu'elle acceptera de modifier ses critères pour l'accommoder?

Finalement, et c'est important, en acceptant de participer activement à la production de contenus, est-ce que le fabriquant d'ordinateurs, de téléphones et de tablettes portables devient en quelque sorte lui-même un éditeur?

Ces quelques questions, et les éventuelles réponses, risquent de bouleverser non seulement le monde des médias traditionnels et numériques, mais aussi l'ensemble de la culture web et son économie. Car si n'importe qui peut désormais se créer un magazine web à l'aide de logiciels open source, la programmation d'applications n'est pas à la portée de tous. Ce type de diffusion risque fort de demeurer encore longtemps une niche exclusive pour les plus gros joueurs médiatiques. Plus encore, puisque pour ce faire il est nécessaire de répondre aux standards imposés par des technologies propriétaires, cette tendance signifiera en fin de compte que le web « appartiendra » dans les faits aux géants de l'informatique. Retour du balancier? On verra.

Alors, la question est lancée : Est-ce que le web mobile et la diffusion de contenus par application signent la fin de la gratuité et de la possible illusion « démocratique » du web? Si je peux me permettre de jouer au Cyber-Nostradamus, j'ai bien l'impression que c'est cette discussion qui nous occupera pour la prochaine année.