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Le Parti Libéral du Canada Pucapab: Un échec viral.

On parle beaucoup -et pas nécessairement en bien- de la campagne publicitaire du Parti Libéral du Canada lancée en grande pompe par Denis Coderre et Justin Trudeau. Crée par Turbo Marketing, cette campagne est diffusée principalement par le biais des « médias sociaux » (si tant est que le terme s'applique dans ce cas-ci).

Fait intéressant, Turbo Marketing annonce sur son site web sa « philosophie » qui se lit ainsi : « Au 21e siècle, le capital d'affaires d'une marque est tributaire de son capital humain, de son capital social et de son capital de sympathie. »

Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'on n'a sans doute pas tenu compte du profond déficit du Parti Libéral du Canada en ces matières et on a peine à croire que c'est en lançant simplement des roches au Conservateurs qu'ils pourront se refaire un capital de sympathie digne de ce nom…

Nous sommes plusieurs, et j'en suis, à se moquer de la pauvreté esthétique et politique de cette campagne publicitaire. La chanson est mauvaise, le texte est un ramassis de lieux communs prémâchés, le titre « on est pucapab » est infantilisant et le projet politique qui s'en dégage est nul. On apprendra simplement « qu'on est pucapab »… La belle affaire.

Mais il y a plus encore. Alors que cette campagne se veut « virale », il semble plutôt qu'elle a tout pour devenir une risée web 2.0. On ne rit pas simplement de ce vidéoclip parce qu'il est mauvais esthétiquement et politiquement mais aussi parce que les créateurs et leur client semblent avoir tout simplement ignoré certains aspects essentiels de la culture web.

À l'origine du « web 2.0 » : la communication alternative.

Dès l'origine du supposé web 2.0 (qui n'est au fond qu'une ramification du web tout court, mais il semble qu'on veuille changer le nom de l'arbre depuis que ses branches passent au-dessus de la cour du voisin), l'enjeu fondateur des premières communautés virtuelles reposait sur une recherche d'alternatives et ce, dans tous les domaines. C'est en tout cas ce qui ressortait des discussions sur les nouveaux médias lors du forum social mondial de Puerto Alegre, au Brésil en février 2001 : « répandre une information alternative qui ferait contrepoids au «second pouvoir » de la mondialisation, porté par les médias dominants.».

À l'époque, l'enjeu principal des nouveaux médias, comme l'expliquait Roberto Savio lors de ce forum, était de ne pas reproduire sur le web la verticalité propre aux  communications de masse.

La société civile (…) et les jeunes en particulier, rejettent toute institution, toute entreprise fonctionnant sur un mode vertical. Dès lors, la tentative d'utiliser Internet comme le vecteur d'un contre-pouvoir informationnel tout en perpétuant le rôle clé du journaliste -en haut – pour produire de l'information destinée au public – en bas – serait vouée à l'échec. Elle reposerait même sur un contresens : reproduire sur Internet le modèle vertical de la «société de l'information» des autres médias quand la Toile ouvrirait la porte à un modèle horizontal de «société de la communication».

Source (PDF) :
LEFORT, René, Le courrier de l'UNESCO, mai 2001, L'information alternative veut tisser sa toile.
http://unesdoc.unesco.org/images/0012/001226/122623f.pdf#122650

Si ces propos concernent essentiellement le travail journalistique, il n'en demeure pas moins que cet enjeu englobe toutes les formes de diffusion de contenu. Le modèle du peer-to-peer qui a tant fait frémir l'industrie de la musique -et maintenant du cinéma- depuis dix ans repose sur le même principe, de même que le modèle du Creative Common.

C'était aussi, sans aucun doute, la recette du succès web de la campagne « Yes we can » de Obama : la décentralisation ou, pour être plus précis, la « déverticalisation » des communications lors de sa campagne électorale.

Et c'est bien là que la campagne du Parti Libéral du Canada et leur vidéoclip qu'ils voudraient « viral » rate complètement la cible. Ils tentent de reproduire sur le web la verticalité des communications de masse : Un parti émetteur unique qui tente de convaincre un auditoire passif qu'ils ont bien des raisons de ne pas aimer leur adversaire. Ces raisons sont alignées maladroitement comme autant de « faits » visant à démolir l'opposant et ne laissent aucune place à la construction. Ainsi, le public internet n'est aucunement appelé à « construire » quoi que ce soit -élément essentiel à la base des communications alternatives issues du web- mais doit assister, impuissant, à une démolition en bonne et due forme.

Bref, le vidéoclip n'est pas simplement d'une pauvreté esthétique et politique déconcertante, il est aussi, si on peut dire « anti viral ».

Mais faut-il s'en étonner? Plus on creuse la question des « médias sociaux » dont on parle tant depuis deux ans, plus on se rend compte qu'il s'agit en fait d'une expression issue du vocabulaire du marketing, inventée par des stratèges de la mise en marché qui ont découvert que les communautés du cyberespace, qui existaient bien avant qu'ils ne s'en rendent compte, pouvait servir de support publicitaire. Chaque individu, lorsqu'il est branché, peut devenir un homme-sandwich virtuel, le support d'un logo et, plus facile encore, il suffit de simplement déclarer que ce qu'on lui propose est « viral » pour que chacun accepte de le porter.

Les « médias sociaux » deviennent peut-être ainsi des médias de masse où on reproduit de plus en plus une certaine « verticalité horizontale » les influenceurs n'étant plus « en haut » mais plutôt « devant » la masse de suivants qui s'abonnent à leurs comptes twitter… La campagne du Parti Libéral du Canada a au moins le mérite de nous permettre de réfléchir sur ces questions.