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Nathalie Elgrably-Lévy et moi… Un amour fallacieux!

Ainsi donc, visiblement heureuse de trouver son nom plus souvent dans google, Nathalie Elgrably-Lévy répondait aujourd'hui aux critiques formulées par divers commentateurs depuis sa sortie contre le mécénat public de la culture. Je regrette qu'on ne lui donne pas plus d'espace dans son journal -sans doute un effet de l'offre et de la demande, elle aurait pu accorder plus de place aux arguments s'appuyant sur le patrimoine collectif et esthétique que représente la culture et qui, à eux seuls, méritent que nous y prenions collectivement part. Mais non. La demande étant en baisse pour les opinions libertariennes, on devra se contenter, encore, de quelques mots. Tant pis.

Certains, qui ont choisi de simplement l'ignorer, me reprocheront de lui répondre encore. Je suis fait comme ça. À la fois têtu et motivé… Comme je l'ai écrit naguère, quand ça sent mauvais, qui ne dit mot qu'on sent…

Reprenons donc son principal -et seul- grief à l'endroit des commentaires qui lui ont étés  adressés. L'étude du Conference Board serait fallacieuse. C'est possible. Rares sont ceux qui auront le courage et le temps de reprendre l'ensemble des calculs pour y déceler des vices méthodologiques et, de toute façon, il serait vain de croire que ceux qui, comme moi, en ont cité quelques faits saillants, défendent, sur le fond, la validité de cette étude.

Mais reprenons tout de même son « raisonnement ». Cette étude serait  fallacieuse parce qu'elle utiliserait une méthode qui serait « la risée des économistes », comme si tout ce beau monde était un tout homogène et que cette discipline était exempte de tout débat épistémologique.

« Non seulement, écrit-elle, n'est-elle pas enseignée dans les cours d'économie, mais elle est dénoncée comme étant une fraude intellectuelle. ». Fort bien. Encore une fois, c'est tout à fait possible. Malheureusement l'argument d'autorité et l'appel à la majorité ne peuvent en aucun cas démontrer cette prétention. On pourrait très bien avancer l'hypothèse que L'institut Économique de Montréal, où sévit Madame Elgralby-Lévy, est la risée des économistes de gauche. C'est rigoureusement vrai, mais ça ne démontre rien. De plus, il suffit de mentionner qu'il existe au moins des économistes au Conference Board pour juger cette méthode valable pour à la fois démontrer la vanité d'un tel constat et illustrer qu'au sein de l'économie, et c'est vrai pour l'ensemble des sciences sociales, l'interprétation des faits demeure souvent incertaine et sujette à débats. Rares sont les modèles économiques qui résistent à la pratique et à l'épreuve des comportements humains et dire que les économistes ne s'entendent pas entre eux est un truisme.

Mais tout de même, acceptons au moins de prendre en compte ses remarques et voyons comment nous pourrions corriger le tir. D'entrée de jeu, elle nous révèle que cette méthode serait fallacieuse parce qu'elle demanderait « que l'on additionne tous les revenus qu'une activité génère, que ces revenus aient été gagnés directement ou indirectement ».

Jusque là, rien de très nouveau. Le Conference Board mentionne bien qu'il tient compte des revenus directs et indirects et traite ces données séparément. En quoi cela cause-t-il problème ? Il faudra compter sur quelqu'un d'autre que Nathalie Elgrably-Lévy pour nous l'apprendre. Pour notre interlocutrice, c'est une risée, et c'est tout. Le fait est que, oui, si la mise en marché de produits culturels a une répercussion sur des revenus indirects, il faut bien les prendre en compte. Si les fabricants d'encre, de verres en plastique ou les cultivateurs de pomme de terre font des revenus causés indirectement par la tenue d'un festival, ce sont bien des revenus, et pas autre chose. Cela n'a rien à voir avec le financement public. Si un investisseur privé ouvre un parc d'attraction dans une région, ces mêmes répercussions seraient au rendez-vous.

Je m'étonne par ailleurs qu'en critiquant ce rapport, Nathalie Elgrably-Lévy n'ait pas mentionné les incidences induites qui sont aussi clairement exposées dans le rapport du Conference Board et qui sont sans doute plus problématiques que les indirectes. Les incidences induites « sont obtenues lorsque les employés et les propriétaires de ces industries (à incidence directe et indirecte) dépensent leurs gains et investissent leurs profits. Ces achats conduisent à de nouveaux emplois, salaires, revenus, et recettes fiscales et ont un effet sur un large éventail d'industries. ».

Admettons, pour fin d'hypothèse, que ces incidences, indirectes et induites, étirent un peu l'élastique des retombées économiques et ne tenons compte que des incidences directes. Ces dernières, selon les estimations du Conference Board, représentaient 46 milliards de dollars en 2007.

Nathalie Elgrably-Lévy nous dit par ailleurs que le principal problème de cette étude, c'est d'avoir considéré l'argent injecté par l'État comme un revenu, et non comme une dépense. Encore une fois, pour fin d'hypothèse, donnons-lui raison. Le Conference Board évalue qu'en tenant compte des investissements fédéraux, provinciaux et municipaux, on peut évaluer à 7,9 milliards de dollars la somme versée par l'État dans la culture en 2007.

Soustrayons donc maintenant cette dépense des seules incidences directes de 46 milliards et nous obtenons un total de 38,1 milliards d'impact direct relié à l'investissement culturel collectif…

En somme, même en retirant de l'étude du Conference Board les éléments jugés fallacieux par Nathalie Elgrably-Lévy, on arrive à la même conclusion : l'investissement collectif en culture est tout à fait rentable et a un impact significatif sur le tissus économique du Canada.

Reste l'argument idéologique de la liberté qui est sans doute celui qui enquiquine le plus cette commentatrice et la poignée de libertariens qui marche à sa suite. Certes, il faut bien l'admettre, il est possible que sans intervention de l'État, les gens auraient dépensé de toute façon leur argent, ce qui aurait en bonne partie eu le même impact sur l'économie canadienne. Peut-être, ou peut-être pas… Il est aussi possible qu'en n'intervenant pas pour rendre ce pays plus beau, plus divertissant, plus étonnant, les citoyens auraient plutôt choisi d'aller visiter le Louvre ou Walt Disney que d'aller voir le Festival de Jazz. Il est aussi fort probable qu'au lieu d'acheter un album de Malajube, ignorant même que ce groupe existe, ils auraient profité de leur « liberté » d'acheter un des albums qui trône au sommet des palmarès radiophoniques. Dans ces cas, où le « libre marché » est laissé à lui-même, il s'agirait d'une perte nette pour l'économie locale… Si tant est qu'on puisse parler de libre marché quand on sait que la diffusion des produits culturels est proportionnelle au budget des producteurs…

Intervention de l'État ou intervention des bonzes des majors de l'industrie culturelle? Tel est le choix qu'on nous propose de faire au nom de la liberté… Choisissez vos chaînes.

Évidemment, il ne s'agit là que d'hypothèses… On peut aussi s'imaginer que les comités d'écoute des radios commerciales, stimulées par cette soudaine « liberté » se découvriraient tout à coup une réelle passion pour la mise en valeur d'une culture locale diversifiée et que les citoyens ici bas afflueraient en masse à Rouyn-Noranda sans son festival de musique émergente ou son festival de cinéma… Sans doute pour visiter les bucoliques sentiers des alentours… La liberté, tente-t-on de nous faire croire, fait toujours très bien les choses.

… Mais comme je vous disais d'entrée de jeu, les modèles économiques conçus dans des laboratoires comme l'IEDM ne résistent que très rarement aux intempéries humaines.

Me reprochera-t-on de miser sur ce qui est démontré plutôt que sur ce qui est imaginé?