À titre de chroniqueur au BangBang, j’étais, jusqu’à tout récemment, poursuivi par Michelle Blanc, personnalité publique bien connue du web 2.0. notamment pour atteinte à son droit à l’image. En effet j’avais utilisé une photo de son visage, son « avatar » dans un montage photo afin d’illustrer un débat auquel elle avait pris part. La cause était entendue le 22 décembre 2010 à la cour supérieure du Québec.
Le 13 mai dernier, je recevais le jugement qui statuait que la requête de Madame Blanc était rejetée. En utilisant sa photo j’étais tout à fait dans mon droit.
Tout au long de cette année, j’ai reçu plusieurs courriels à propos de ce genre de requête. La plupart en provenance de blogueurs, certains plus satiriques que d’autres, me demandant ce que pouvait bien signifier ce fameux droit à l’image à l’ère des médias sociaux. Je n’ai jamais répondu, évitant de commenter, même en privé, tant et aussi longtemps que cette cause se trouvait devant les tribunaux.
J’inviterais aujourd’hui ceux qui sont intéressés par cette question à lire le jugement du juge Louis Lacoursière qui résume très bien les notions de base du droit et de la jurisprudence en ces matières. On le trouve en ligne sur le site du BangBang.
Ceci étant dit, il me semble que ce jugement rend possible une certaine réflexion sur le droit à l’image dans le contexte du web 2.0 et permet de tirer quelques leçons que chacun devrait prendre en compte avant d’aspirer à devenir « une star des médias sociaux ».
Le droit à l’image est en quelque sorte une conséquence du droit à la vie privée. La charte des droits et liberté de la personne stipule que « toute personne a droit au respect de sa vie privée ». Dans le même ordre d’idée, le code civil du Québec, au chapitre 3 intitulé « Du respect de la réputation et de la vie privée » mentionne au paragraphe 36 :
36. Peuvent être notamment considérés comme des atteintes à la vie privée d’une personne les actes suivants:
1° Pénétrer chez elle ou y prendre quoi que ce soit;
2° Intercepter ou utiliser volontairement une communication privée;
3° Capter ou utiliser son image ou sa voix lorsqu’elle se trouve dans des lieux privés;
4° Surveiller sa vie privée par quelque moyen que ce soit;
5° Utiliser son nom, son image, sa ressemblance ou sa voix à toute autre fin que l’information légitime du public;
6° Utiliser sa correspondance, ses manuscrits ou ses autres documents personnels.
http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=2&file=/CCQ/CCQ.html
L’esprit de la loi est donc clair : Dans le contexte du droit à la vie privée, votre image -et de manière plus générale votre « personne »- vous appartient. Nul ne peut obtenir par des moyens illicites, à votre insu et sans votre consentement votre image, le son de votre voix ou tout autre document personnel.
Vous allez vous acheter une tarte à la crème chez le pâtissier? C’est vos oignons, une activité strictement privée et si je souhaite en faire un cliché, je dois avoir votre permission. Vous utilisez ensuite cette tarte pour entarter le Premier Ministre? Vous vous exprimez alors publiquement et consentez à ce que votre image soit documentée et diffusée par les médias.
Ceux qui travaillent quotidiennement dans les médias connaissent bien ces balises qui permettent d’établir la frontière entre le privé et le public. Mais à l’heure des « médias sociaux », où des gens, autrement inconnus, prennent part tous les jours à des conversations sur la place publique sur des blogues, des forums, facebook ou twitter, la chose peut sembler plus nébuleuse.
Certes, certains utilisent facebook afin de maintenir un contact privé avec leurs connaissances, leurs amis proches et leurs familles. Ils y échangeront des recettes, y publieront des photos de leurs vacances et prendront souvent bien soin de n’accepter que des gens qu’ils connaissent comme « amis ».
Mais pour certains, les médias sociaux forment une réelle tribune publique qu’ils utilisent comme telle. Dans bien des cas, être présent en ligne fait partie d’une stratégie réfléchie de communication et de publicité fondée sur plusieurs plateformes : un blogue -qui est un média public au même titre qu’un magazine- des comptes Facebook et Twitter où il est de mise d’accepter n’importe qui comme « amis » ou « followers » afin de constituer ni plus ni moins qu’un auditoire. Soyons sérieux… Qui peut prétendre avoir réellement 5000 amis intimes?
On parle même de personal branding, expression par laquelle on comprend que la personnalité se présente comme une marque de commerce, un logo, utilisé à des fins diverses. Les protagonistes de cette nouvelle manière de marketing ne s’en cachent d’ailleurs pas : ils bloguent « pour vendre », pour « influencer » et se considèrent eux-mêmes comme des « faiseurs de tendance ».
Dans un tel contexte, il va de soi que les contenus diffusés en ligne, du billet d’opinion sur un blogue -qui est en fait une chronique- au tweet ventant tel ou tel produit ou servant à une autopromotion de son brand personnel en passant par le statut facebook qui se présente comme un panneau réclame, font partie du domaine public. Ils peuvent être repris, cités, critiqués, décriés et même caricaturés au même titre que n’importe quelle publicité.
Cela inclut aussi votre image. Notamment, mais pas exclusivement, la photo que vous utilisez comme avatar pour identifier, par exemple, vos comptes Facebook et Twitter. Le plus souvent, pour les adeptes du personal branding, le choix de cette photo est minutieusement calculé afin de bien représenter leur image publique. Certains vont même jusqu’à se payer une séance professionnelle ou utiliseront une photo de presse « officielle ». La diffusion d’un album issu d’un shooting fournit d’ailleurs, dans bien des cas, une autre occasion de se prêter à un spin du soi.
Dans le contexte du droit à l’image, les conditions d’utilisation de Facebook sont tout à fait claires. Sous l’item « Partage de votre contenu et de vos informations », on peut lire au 4ème point (c’est moi qui souligne) :
Lorsque vous publiez du contenu ou des informations avec le paramètre « tout le monde », cela signifie que vous permettez à tout le monde, y compris aux personnes qui n’utilisent pas Facebook, d’accéder à ces informations et de les utiliser, mais aussi de les associer à vous (c’est-à-dire, votre nom et l’image de votre profil).
Les conditions d’utilisation de Twitter sont aussi sans équivoque. Dans les politiques de confidentialité, on peut lire (c’est moi qui souligne) :
You may provide us with additional information to make public, such as a short biography, your location, or a picture.
En acceptant ces conditions, ce qui est obligatoire pour s’ouvrir un compte sur Facebook ou Twitter, un utilisateur accepte donc explicitement de rendre son image publique, notamment la photo utilisée comme avatar.
Ce n’est pas tout. Dans bien des cas, la diffusion de votre photo se fait aussi dans le cadre de conversations sur des blogues. Le système de reconnaissance globale « gravatar » permet à ce titre d’associer une photo de vous à votre adresse courriel. Cette photo accompagnera ainsi vos divers commentaires sur les sites qui supportent cette technologie. Le concept est simple et se lit comme suit (c’est moi qui souligne)
Your Gravatar is an image that follows you from site to site appearing beside your name when you do things like comment or post on a blog. Avatars help identify your posts on blogs and web forums, so why not on any site?
Doit-on insister sur le sens du mot « forum » qui depuis son origine signifie «place du marché » ou encore « place publique » ? L’image que vous utilisez sur toutes les tribunes du web 2.0 est en quelque sorte votre « visage public ».
Dans le contexte du droit à l’image, il n’y a donc aucun doute possible : Lorsque vous faites le choix d’apparaître publiquement sur les médias sociaux, d’utiliser ces outils à des fins de promotion, qu’il s’agisse de politique, de marketing ou de prises de positions dans des débats publics, vous consentez à diffuser publiquement votre image.
Vous ne pourrez donc pas, dans les cas où vous seriez l’objet d’une critique, revendiquer votre droit à l’image qui découle du droit général à la vie privée… Car la vie que vous tweetez en direct sur toutes les tribunes possibles, elle n’est tout simplement plus « privée »…
Pour faire des affaires sur le web, pour vendre, voire se vendre, les gourous du marketing viral invitent à l’authenticité : Vous devez être vous-même, bloguer sur votre vie personnelle, si possible tweeter vos recettes de sauce à spaghetti ou de jambon aux ananas ou encore les détails la conversation avec votre beau-frère lors de votre dernier souper de famille. Cette « ouverture » se présente, pour ceux qui la défendent, comme l’envers exact du secret et de la « fermeture » qui caractérise le marketing et les médias traditionnels.
Voilà un projet fort séduisant… Pour autant que l’on soit conscient que, ce faisant, vous devenez, dans les faits, votre propre paparazzi.