Petite nouvelle hier sur le web, le compte twitter @ruefrontenac, journal web mis sur pied par les employés en lock-out lors du conflit au Journal de Montréal, reprenait vie, inactif qu’il était depuis le 3 juillet. On se souviendra qu’à l’époque, la petite entreprise soutenue pendant deux ans par la centrale syndicale des employés s’était mise à la recherche d’un investisseur. L’idée n’était pas mauvaise, après tout, rue Frontenac s’était taillé une solide réputation dans le petit monde de l’actualité web et bénéficiait d’un trafic considérable. Cependant, le conflit terminé, ce média qui était essentiellement un moyen de pression, ne pouvait pas espérer continuer au même rythme et encore moins espérer rétribuer toute l’équipe qui avait pris part au projet.
J’étais moi-même sceptique à cette époque et ne voyais plus de marketing possible pour cette marque de commerce qui était fondée sur la défense des journalistes lock-outés. Le slogan « par la bouche de nos crayons » ne signifiait plus rien, le logo, un canon, avait perdu toute sa valeur… Le nom lui-même, Rue Frontenac, faisait référence à l’endroit où les employés –littéralement dans la rue- se rendaient quotidiennement pour protester.
Il n’y avait donc qu’une seule avenue possible suite au lock-out : que les fondateurs du site poursuivent leur travail au sein de leur journal web… Eux seuls garantissaient que la marque Rue Frontenac puisse conserver un certain sens.
Mais voilà… Comment faire? Ils étaient des dizaines. Quiconque connait le monde de la monétisation des contenus web journalistiques sait bien que c’est tout à fait impossible, en tout cas pour l’heure, de faire vivre toute une salle de rédaction à partir de revenus publicitaires en ligne. Et c’est encore plus vrai aujourd’hui, à l’heure où le CPM pour de l’affichage de bannières est en chute libre et où les géants tels que Google et Facebook récoltent la part du lion, laissant aux producteurs de contenus des miettes, dans les meilleurs des cas.
L’autre solution, celle d’un investisseur prêt à perdre de l’argent en attentant un hypothétique –voire utopique- El Dorado des revenus publicitaires sur le web. Dans ce cas, il fallait oublier les camarades de combat pour sauver la marque de commerce et sa réputation, conserver seulement quelques artisans, une poignée…
Cette avenue n’en était pas une, car la marque Rue Frontenac était intrinsèquement liée à un sentiment de solidarité et de combat pour des meilleures conditions de travail. Tenter de la sauver en mettant la quasi-totalité des employés à la porte revenait à en faire une marque morte, un cadavre de brand.
Eh oui. On l’oublie souvent : une marque, ce n’est pas un simple nom de domaine, des statistiques de fréquentation et du référencement… Une marque, c’est d’abord et avant tout ceux qui la font, ceux qui la portent.
Toujours est-il qu’un investisseur a tenté de relever le défi, Marcel Boisvert, déjà à la tête de EstriePlus.com et du site de petites annonces LesPacs. Un homme d’affaire qui devrait bien connaître le web donc. Il rachetait en mai dernier Rue Frontenac en tentant de développer un modèle d’affaire convenable. L’histoire est connue : entre Boisvert et les ex lockoutés la sauce n’a jamais vraiment prise, ces derniers, s’estimant propriétaires des contenus, ont quitté la galère en sabordant le site web et en le vidant de ses articles qu’ils ont migré sur exruefrontenac.com. Boisvert s’est donc retrouvé avec… Un nom de domaine, ruefrontenac.com, qui ne signifiait plus rien.
On n’attendait donc plus grand-chose dans cette aventure. Boisvert avait perdu ses billes, les ex lockoutés avaient perdu leur emploi et leur nom de domaine. L’histoire aurait dû se terminer là.
Mais non… Alors qu’on nous annonçait cette semaine « un nouveau souffle » pour Rue Frontenac, forte a été la déception lorsque j’ai pu constater que cette fameuse reprise des activités consistait à garer le nom de domaine ruefrontenac.com sur un site web déjà existant et à peu près inconnu, « La metropole », sur lequel on a tout bonnement changé le logo…
Comparez :
En fait de « nouveau souffle », j’ai peine à imaginer pire! Je parlerais plutôt de dernier souffle… Il s’agit d’une simple, duplication de contenus, stratégie aussi bête que peu efficace. Mis à part le logo, les deux sites sont identiques, tant et si bien qu’on a le sentiment d’assister à un certain « détournement de trafic », lametropole.com, un site à peu près sans réputation, tentant de bénéficier des restes de ruefrontenac pour quelques clics de plus…
Pire encore, il semble que ceux qui utilisent désormais le nom de domaine Rue Frontenac n’ont jamais compris le sens du slogan « par la bouche de nos crayons » qu’ils ont choisi de conserver. Mais sur qui tirent donc ces fameux crayons? De quel combat parle-t-on ici? De rien, en fait…
Peut-être faut-il espérer mieux au cours des prochaines semaines, un nouveau site web indépendant au contenu original? Si tel est le cas, on aura rarement vu une aussi mauvaise stratégie de lancement et de mise en ligne.
Ceux qui tentent désormais de redonner vie à Rue Frontenac sont sans doute de bonne foi et on peut comprendre qu’ils tentent aujourd’hui de récupérer ce qu’ils ont perdu dans cette aventure, mais faire le bouche à bouche à un cadavre ne lui redonne pas vie…
Le site Rue Frontenac n’existe plus sur Internet et la nouvelle adresse EXRUEFRONTENAC.COM héberge uniquement les archives de l’époque où les employés en lock-out du Journal de Montréal l’alimentait en information.
Bernard Bujold
C’est bien dommage. Le modèle d’affaires de lametropole.com est éculé.