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Occupons Montréal : Les bénévoles de l’indignation

Occupons Montréal… Je vous jure! J’ai de la difficulté à occuper mes temps libres, aussi rares que les spermatozoïdes de Saint-Joseph. Depuis quinze ans que je résiste dans mon coin, à cuisiner maison les repas avec de l’équitable, à composter mes épluchures quotidiennes… Occuper Montréal vous dites? Et pas que ça! La planète même! À la retraite peut-être.

T’es qu’un cynique le gros. Et un cynique, c’est un ignorant avec un sourire. C’est ça que vous avez envie de me dire. Et c’est d’ailleurs ce que vous me dites. J’assume. Mais muni de mon esprit de contradiction je me dis « ok, on va aller voir! Ignorant qui ignorera le dernier ».

J’ai donc refait mon petit bagage de do-it-yourselfer de carrière. Mon minidisc, mon microphone, ma caméra et mon caméscope. J’ai texté mon collègue Mathieu. « Tu me suis? J’y vais demain matin…! ». Il a répondu oui. J’ai tout préparé jusqu’à hier soir très tard. Je me suis levé tôt.

Après trois jours, je devrais pouvoir rencontrer les plus coriaces, les plus motivés. Nous sommes arrivés à 9h00. Les résistants mondialisés émergeaient. On servait le déjeuner au comptoir d’une cuisine de fortune. Ça sentait encore le sommeil.

À côté d’un kiosque à la mission confuse, Daniel et Israël tentaient de faire tenir un deux par quatre à la verticale, question de soutenir la toile bleue qui leur sert d’abris. C’est une sorte de magasin gratuit où on trouve à peu près n’importe quoi, mais surtout pas grand-chose : des lampes de poche, des pamphlets, des cossins en tous genres.

– Et toi Israël, qu’est-ce que tu fais ici?

– Je suis ici parce que j’écoute mon cœur et mon cœur me dit que je suis à la bonne place en ce moment.

Sérieusement… Qu’est-ce que tu peux répondre à ça? On enchaîne.

– Qu’est-ce que tu réclames? Tu t’attends à quoi en venant ici?

– En venant ici, honnêtement, je n’ai pas vraiment d’attente. Parce que je suis quelqu’un qui vit le moment présent. Donc je ne pense pas à ce qui va se passer dans une semaine, à ce qui va être revendiqué. Ce que je sais c’est qu’en ce moment, c’est un événement que je considère historique.

Vous le trouvez déjà un peu baba hein, ce Israël? Vous n’avez pas tort. Il a tout de celui qui communique avec un tam-tam.

Mais assez curieusement, en réécoutant sa réponse, je ne pouvais m’empêcher d’y voir une sorte de canevas qu’utilisent à qui mieux mieux les politiciens, lorsqu’ils affirment écouter leur conscience, lorsqu’ils disent « on verra en temps et lieux » tout en faisant valoir la valeur « historique » de leurs actions.

Ils ont été nombreux à me répondre de la même manière. Ils réclament quoi? Du changement. Quels changements? Rien de précis… Plus de justice, plus d’égalité, moins d’écart entre les riches et les pauvres, moins de mensonges politiques. Comment? Ils l’ignorent.

Là où ils sont unanimes, c’est que ça ne peut plus continuer comme ça.

Assise sur un banc, Valérie buvait son café. J’aurais pu la rencontrer dans n’importe quel couloir de l’UdM ou de l’UQAM. Une jeune semblable à des milliers d’étudiantes. C’est elle qui m’a abordé.

– Tout le monde fait partie de la mobilisation. Même les gens qui ne dorment pas ici. Les gens qui viennent dans la journée, les gens qui viennent juste une fois. Les gens qui restent chez eux et qui font des dons ou vous qui venez ici, même, participer à cette chose là qu’on a de la misère à nommer, qui va être présentée à plus de monde.

– Et tu penses que tu vas rester ici combien de temps?

– Je ne sais pas. Mais c’est clair en tout cas que le campement ici et tous les campements dans le monde, ce n’est pas une finalité. C’est le début de quelque chose. C’est un soulèvement populaire international, planétaire. (…) Mais je ne sais pas, moi, ce qui va se passer. (…) Moi je suis ici parce qu’en ce moment c’est ça qui se passe. C’est la place à être en ce moment pour faire partie d’un mouvement populaire. (…) En ce moment, sur la planète, c’est ça qui se passe. Et moi je ne peux pas rester chez nous pendant ce temps là.

Je n’ai rencontré personne pouvant me nommer ce « ça » ou capable de me dire ce qui se passe quand « c’est ça qui se passe ». Mais faut-il vraiment s’attendre à une réponse? Cette incapacité de nommer ce contre quoi on son bat et le mouvement dont on fait partie est peut-être encore plus riche de signification que n’importe quel discours. Car en effet, contre quoi peut-on réellement se battre, de manière précise à l’heure où les tentacules de l’économie mondialisée et du politique planétaire tendent une toile vaste et complexe sur laquelle le citoyen moyen et contingent a le sentiment de n’avoir aucune prise?

Ça ne marche pas.

Cet argument, pour autant que le mot s’applique, tire toute sa force de sa faiblesse au fond. Il fait penser à une prise de judo où il est de mise d’utiliser la force de l’adversaire (c’est en tout cas ce qu’on raconte, je ne connaîs rien au judo). Lors de ma balade, je n’ai rencontré personne qui aurait pu soutenir un discours politique ou économique articulé. En fait, disons le franchement : ce beau monde ignore absolument tout des règles de la finance, de la gestion, des relations publiques et des grandes machinations politiques qui permettent de « gérer » un état et, à l’heure de la mondialisation, la planète.

Ils ignorent tout ça : ce qu’ils savent, c’est qu’ils se font chier.

Pire encore, ils ne croient plus personne. Ceux qui sont censés savoir ont justement échoué à leur expliquer le comment du pourquoi. On appelle ça les relations publiques.

Si ceux qui sont censés savoir échouent à nous convaincre du bien fondé de leurs théories, il faudrait être un parfait salaud pour exiger plus de ceux qui passent leur vie à se faire dire qu’ils ne savent pas… Les laissés pour comptes, ceux qui peinent à joindre les deux bouts de la semaine, vous vous attendez vraiment qu’ils vous donnent une solution concrète?

Tu nous demandes ce qu’on fait ici et ce qu’on veut!?! Mais tu es vraiment un vieux con monsieur le reporter du mardi!

En repartant, j’ai croisé deux jeunes assis devant la sortie du métro. Pas des pauvres, pas des désemparés. Deux jeunes qui rigolaient. Face aux bonnefemmes pressées et aux bonshommes en costard au regard beige, ils rigolaient, munis d’une pancarte : « osez rêver ».

…Tiens, que je me suis dit. C’est peut-être une piste…

Cette semaine, j’irai leur porter de quoi manger et rester peut-être un peu plus longtemps. Après tout, eux, ils ont le temps. Ils sont peut-être en train de devenir des bénévoles du rêve et de l’indignation.


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Pour regarder la vidéo des discussions avec les occupants : https://voir.ca/video-web/2011/10/19/occupons-montreal/