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Richard Martineau et une mythologie de la liberté : Nos ancêtres les coureurs des bois.


Ce qui ne manque jamais de me fasciner, c’est que le mythe n’apparaît jamais de manière aussi évidente que dans la littérature de ceux qui se font un devoir de sécularisation.

Disons simplement que, paradoxalement, le mythe jaillit bien souvent des lieux où on tente de l’éradiquer. Richard Martineau, bien connu pour ses multiples sorties contre le dogmatisme nous en fournit un bon exemple ce matin. En faisant la promotion du plus récent livre de Joanne Marcotte, figure bien connue de la nouvelle droite économique du Québec, il propose le questionnement suivant :

« Décidément, les Québécois d’aujourd’hui ne ressemblent pas aux Canadiens français d’hier…

Alors que nos ancêtres étaient des coureurs des bois qui aimaient le risque, la liberté et l’aventure, nous demandons au gouvernement de régler tous nos problèmes et passons notre temps accrochés aux mamelles de l’État.

Qu’est-il arrivé pour que nous passions ainsi de lions à brebis ? »

Martineau n’est certainement pas le premier à brandir ce mythe fondateur. Michel Kelly-Gagnon, président et directeur général de l’Institut économique de Montréal s’est fait, depuis quelques années, un devoir de prophétiser l’urgence de faire renaître ce récit des origines afin de réactualiser une certaine forme de pensée magique de droite. En 2007 il tenait devant le Conseil du patronat du Québec un discours intitulé : « Les Québécois doivent renouer avec l’esprit de coureur des bois qui sommeille en eux! », allocution qu’il reprenait lors du plus récent congrès du Réseau Liberté Québec à Montréal. L’idée est simple : Nos ancêtres, comme Radisson et des Groseilliers étaient dotés d’un sens aigu de l’entrepreneuriat qui, dans un contexte de liberté et d’aventure, a permis la création de richesse et de grandes entreprises telles que la Compagnie de la Baie d’Hudson.

Ce mythe du coureur des bois reprend à son compte la même séquence que le mythe de l’État de Nature chez Rousseau, qui succédait lui-même à l’Éden judéo-chrétien.

À l’origine, nos ancêtres, considérés ici comme les humains fondateurs de notre histoire, vivaient libres, naturellement, à l’abri des contraintes du mal et de la contingence. Ils faisaient ce qu’ils voulaient, comme ils le voulaient. Ils étaient forts (« des lions » écrit Martineau), ne connaissaient pas la crainte et prenaient en main leur destinée. Ils pouvaient donner libre cours à leur esprit d’aventure dans une sorte d’Éden où l’État était réduit au minimum.

Ainsi, le mal est corollaire des institutions étatiques. C’est la chute. Nous avons commis une faute. Il s’agit ici du modèle de l’État providence. Pour notre plus grand malheur, nous avons oublié nos origines nobles, nous nous sommes pervertis dans un système politique comploté par les « architectes du constructivisme ». Le mal est désormais partout et s’infiltre dans toutes les sphères de la société.

Pour se délivrer de l’empire du mal, il faudrait réactualiser les leçons des récits anciens. C’est la rédemption. En renouant avec l’esprit des coureurs des bois, nous pourrions nous racheter. Il s’agit de « retrouver sa liberté » originelle. Sans quoi, notre société « sera condamnée à un déclin tranquille ». Notons au passage le sens de l’expression « condamnée », qui confirme la notion de faute originelle que nous devons reconnaître pour être sauvés.

Évidemment, on ne mentionne pas ici que le travail de nos ancêtres coureurs des bois dans leur contrée réputée libre et naturelle s’effectuait en fait sous le joug de monarchies dans un esprit de colonialisme et de pillage de ressources sans scrupule et au bénéfice de régimes politiques et économiques centralisés au possible. La Compagnie de la Baie d’Hudson, par exemple, était en fait une créature royale de Charles II d’Angleterre. Pour peu qu’on s’y arrête, l’esprit des coureurs des bois qu’on avance ici comme mythe fondateur des citoyens libres et autonomes pourrait bien, plutôt, être corollaire d’une omnipotence de l’État et du souverain afin d’étendre l’hégémonie de régimes politiques visant à éliminer, par la lutte armée, la coercition et la négation des droits de la personne, toute compétition commerciale étrangère… En matière de liberté individuelle qui favoriserait l’autonomie du citoyen, on se souhaiterait mieux…

Cela n’a pas vraiment d’importance : ce qui importe, c’est que le mythe fonctionne et qu’il permette de créer, pour celui qui y adhère, une certaine sensation de vérité éclatante. Il s’agit d’y croire sans se poser plus de questions. En recourant au mythe du coureur des bois, l’histoire s’évapore en quelque sorte; il ne reste plus qu’une forte sensation de réalité qui se suffit à elle-même. Il ne s’agit pas de se remettre en question, mais bien d’accepter une réponse toute faite : Nous étions libres, nous ne le sommes plus, nous devons nous racheter ou périr.

Martineau, depuis quelques années, s’emploie aussi souvent qu’il peut à dénoncer la pensée magique religieuse et les diverses mythologies qui infectent la gestion d’un État qu’il voudrait purement laïc.

Dommage que ce faisant il n’arrive pas à identifier ce qui, de son côté, n’est plus simplement un mythe, mais bien un dogme soutenu par une église idéologique comme l’IEDM.

Quand ceux qui s’autoproclament libres penseurs n’arrivent pas à saisir les mythologies sous-jacentes à ce qu’ils appellent leurs réflexions, inquiétez-vous.