Le 22 avril, comme plusieurs d’entre vous, j’irai marcher dans les rues.
Je n’y serai pas contre la droite. Parce que je ne sais plus très bien de quoi vous me parlez. La droite? Qu’entendez-vous par là? De la liberté, j’entends.
La droite donc, un mouvement qui, à force de revendiquer purement et simplement l’idéal de la liberté, a su créer des conditions inégales d’existence où la liberté est justement remise en question. Je ne suis pas libre parce que je ne suis pas égal. Lorsque vous clôturez une source d’eau potable qui, en-soi, n’appartient à personne, je ne suis pas libre d’y accéder. Et je ne suis pas égal non plus, puisque je suis moins costaud que vos agents de sécurité, armés, qui la protègent. Vous êtes libres, pas moi.
La gauche alors? L’égalité, dites-vous. Ça non plus, je sais plus trop ce que c’est. Vous me parliez de quoi déjà? Des corporations syndicales, des mouvements ouvriers, qui, grâce à leurs luttes, qui permettent désormais de tabasser quiconque ne pense pas comme eux, ont su créer un monde de complète inégalité? Lorsque vous luttez pour les seuls intérêts de vos membres, quitte à museler les travailleurs et petits entrepreneurs autonomes et indépendants, en vous appropriant tout le terrain du débat politique, je ne suis pas égal. Je ne suis pas libre non plus quand vous débarquez avec vos gros sabots de l’égalité. Vous êtes égaux, mais pas moi.
Vous voyez où j’en suis. Je suis fourré avec la liberté. Je suis aussi fourré avec l’égalité. À droite ou à gauche, je ne suis ni libre ni égal. Que me reste-t-il, au centre, pour nourrir mon indignation…? Je ne sais pas. Quelque chose comme la fraternité, peut-être. Quelque chose comme le vague sentiment que je dois quelque chose à mes semblables. Je leur dois, certes, de combattre pour la liberté, tout en constatant que les inégalités minent les fondements même de cette liberté. Je leur dois aussi l’égalité, tout en étant conscient que, revendiquée à outrance, l’égalité nie la liberté.
D’abord et avant tout, je dois aux humains qui m’entourent, j’en ai l’intime conviction, la fraternité. Je leur dois, au fond, de les retrouver comme des semblables. Elle est peut-être là, la principale carence. C’est seulement en retrouvant cet idéal de fraternité qu’il sera possible de résoudre, autant que faire se peut, le dilemme entre liberté et égalité. Sans ce pari fondamental de la fraternité, l’égalité et la liberté ne sont peut-être que des vices, ou des mirages.
J’appelle ça, souvent, le vertige du centre. Je dois jongler avec trois balles. Liberté, égalité et fraternité. Je n’envie pas ceux qui font des prouesses à une balle, de la main droite ou de la main gauche. Ils me font un peu rire, en fait. Regardez, je jongle avec une seule balle d’une seule main! C’est amusant, mais un tel exercice ne mène nulle part… Le réel objectif, pour autant qu’on veuille jongler, est de jongler avec trois balles en utilisant ses deux mains… Essayez ça, pour voir…
Je serai donc dans les rues, moi aussi, le 22 avril. Pas contre la droite, pas contre la gauche. Non. J’y serai pour jongler à trois balles. J’y serai, oui, pour la liberté et pour l’égalité. Mais j’y serai, surtout pour la fraternité… Car sans cette valeur fondamentale, la liberté et l’égalité ne sont que des chimères qui font des humains des êtres captifs et inégaux, qui font des humains des bêtes.
Le 22 avril, donc… Ce sera le jour de la terre. J’irai vous dire, en marchant avec vous, que je suis un terrien, tiens. Pas de droite, pas de gauche… Juste un terrien. Comme vous.
…Et c’est peut-être ça que nous avons oublié… La fraternité.
Nous aurons l’occasion d’en reparler.
La liberté de ne pas porter une étiquette droite, centre, gauche, et la liberté de ne pas comprendre pourquoi le titre dit le contraire de la première et dernière ligne d’un texte.
Quoi donc? Mardi sera l’occasion d’une marche boiteuse plus ou moins synchronisée? Les uns marchant pour les uns, tandis que les autres marcheront pour les autres… ensemble?
Une marche qui ne mènera évidemment nulle part. Comme toutes les marches précédentes. Une marche de «m’as-tu-vu-je-marche» comme nous avons depuis toujours l’habitude d’en croiser de temps à autre, au détour d’une cause-prétexte pour sortir prendre un peu l’air en scandant des slogans niais de circonstance.
Heureusement, comme je sors toujours très tôt marcher quelques pâtés de maisons dans le voisinage, avant l’aube, je n’encours aucun risque d’être confondu avec un des pedibus dehors pour l’occasion. Et puis, comme je ne scande jamais rien lors de mes promenades matinales, je devrais comme à l’habitude passer inaperçu…
Mais je n’ai plus le temps de m’étendre davantage sur le sujet: il est l’heure d’enfiler mon manteau et de porter mon chapeau…
À la prochaine!
« Une marche qui ne mènera évidemment nulle part. »
Évidemment, c’est évident…
Encore une autre idée avec laquelle je suis fourré. Ça ne mènera nulle part, donc je vais rester chez moi à composter mes restes de table. Le soir, je verrai à la télé les leaders d’on ne sait trop qui crier dans des portes-voix, et je pourrai me dire « encore les mêmes avec les portes-voix qui font du m’as-tu-vu »…
On se sort de là comme on peut…
«Évidemment, c’est évident..» tout ça.
Comme vous le dites si bien, Monsieur Jodoin!
Et voilà! Je suis sorti faire quelques pas à l’extérieur – brrr… pas chaud ce matin – et déjà rentré.
Ni vu ni connu.
Bonne journée!
claude!
quand même paradoxal la fierté que tu sembles retirer de l’humilité de ta marche matinale versus le besoin que tu as de venir en faire la manchette d’un site internet grand public.
Ce n’est pas avec des balles que vous jonglez, mais avec des concepts flous, mal définis qui au final ne veulent rien dire — surtout «gauche», «droite» et «centre».
Mais c’est ce que font tous les idéologues (et au premier chef, les journalistes), alors vous êtes pardonné d’office, je suppose.
Idéologue? Journaliste? J’ajoute ça à la liste! Merci!
C’est vrai, j’oubliais, vous n’êtes pas journaliste, mais théologien. My bad.
Tant de concepts flous et mal définis…
1 février 2012 · 10h13 Jean-Serge Baribeau
*****«Comme il est, encore une fois, question de l’antagonisme gauche-droite, je vais me permettre de proposer un texte que j’ai souvent «commis» en ce qui concerne ces vieux concepts:
Lorsque je veux déterminer sommairement à quoi riment les vieux concepts de droite et de gauche, je commence toujours par parler de la droite et des droites. Pourquoi donc? Parce que, grosso modo, c’est cette engeance qui a le pouvoir et qui dirige et gouverne, même si les ténors de cette coterie chafouine ne cessent de râler et de se plaindre en prétendant que la maudite gauche est toujours au pouvoir, qu’elle a mis en place l’État dit providentiel et qu’elle a imposé une société «socialiste», mot sale, répugnant et sordide.
J’ai aussi une vieille manie de radoteur un tantinet sénile. Chaque fois que je m’intéresse à la droite et que je veux en parler et en discuter, je parle de «la mirobolante et magistrale» Margaret Thatcher qui a été «premier ministre» du Royaume-Uni de 1979 à 1990. Et je ne cesse alors de penser à ses brillants propos lorsqu’elle a affirmé que la société n’existe pas. Alors, allons-y avec la mère Thatcher. À TOUT SEIGNEUR TOUT HONNEUR!
Je me permets donc de citer une fois de plus les propos de la mère Thatcher sur l’inexistence des sociétés :
*****Epitaph for the eighties? « there is no such thing as society »
Prime minister Margaret Thatcher, talking to Women’s Own magazine, October 31 1987
« I think we’ve been through a period where too many people have been given to understand that if they have a problem, it’s the government’s job to cope with it. ‘I have a problem, I’ll get a grant.’ ‘I’m homeless, the government must house me.’ They’re casting their problem on society. And, you know, there is no such thing as society. There are individual men and women, and there are families. And no government can do anything except through people, and people must look to themselves first. It’s our duty to look after ourselves and then, also to look after our neighbour. People have got the entitlements too much in mind, without the obligations. There’s no such thing as entitlement, unless someone has first met an obligation. »*****
Madame Thatcher m’a appris au moins quatre choses.
Premièrement, étant sociologue depuis plus de 40 ans, j’ai appris, grâce à une intellectuelle de calibre supérieur, que, toute ma vie durant, j’ai tenté d’étudier le néant, l’inexistant et le vide. Alors, je vais devoir demander aux universités de mettre en place une faculté de «néantologie» ou, pourquoi pas, une faculté de «sociophobie».
Deuxièmement, j’ai appris que les êtres humains appartiennent à un agrégat social plutôt qu’à des groupes ou à une société. Alors, pourquoi pas une faculté d’«agrégat-logie»?
Troisièmement, j’ai appris que la droite (ou les droites?) a toujours raison contre les rêveurs et les «moumounes» du socialisme, soient-il gentiment «étatisants», «autoritaires» (cela existe et a souvent existé) ou plutôt libertaires. Imitant sans grand talent le grand Yvon Deschamps ou Elvis Gratton, je pourrais crier : «eux-autres (la droite), ils l’ont l’affaire».
Quatrièmement, la Thatcher m’a appris que la guerre, c’est une bonne chose (je pense ici à la guerre des Malouines) et que le brave général Pinochet qui a gouverné le Chili en appliquant «une démocratie musclée» avait éminemment raison.
Quoi qu’il en soit, si je me permets d’être sérieux, je dirai à ceux et celles qui, éventuellement me liront, que s’ils veulent comprendre un peu mieux le «harperisme», ils devraient lire et relire ce fameux et historique discours de la Thatcher. Ce qui existe, c’est d’abord et avant tout l’économie. Je ne dis pas que Thatcher et Harper, c’est totalement la même chose. Mais il y a de nombreuses ressemblances et passerelles entre la pensée de Thatcher, de Harper, de Bush Fils et de nombreux politiciens européens.
Étant un tantinet fainéant, je vais proposer une définition de la droite en m’inspirant de Vincent Cespedes qui a écrit :
*****«DROITE : Ensemble des mouvements politiques ayant des positions conservatrices et révolutionnaires. Privilégiant les classes privilégiées, la droite prône l’ordre et l’autorité, le capitalisme et les privatisations, la réduction de l’impôt sur le revenu et l’abolition de l’impôt sur la fortune, le culte de l’uniforme, de la nation, du terroir (…)»*****
Le même Vincent Cespedes définit ainsi la gauche :
*****«GAUCHE : Parti ou pensée politique soutenant des opinions progressistes –ou révolutionnaires pour l’extrême gauche—qui privélégient l’intérêt des plus faibles et la réduction des inégalités sociales. »*****
Pour ceux et celles qui pensent, en toute sincérité, que la distinction «droite-gauche» est surannée et dépassée, je souligne que Cespedes propose une citation du philosophe Émile Cioran :
*****« DROITE et GAUCHE, simples approximations dont malheureusement on ne peut se dispenser. Ne pas y recourir, ce serait renoncer à prendre parti, suspendre son jugement en matière politique»*****
Je termine en me demandant, en vous demandant si Albert Brie a raison lorsqu’il écrit :
*****«On naît à gauche, on meurt à droite»****
Je remercie Normand Baillargeon et à Simon Jodoin d’avoir proposé un thème aussi essentiel en cette période où il est beaucoup question de la vague orange et ènepédiste.»*****
JSB, sociologue des médias et citoyen partisan d’une gauche libertaire, tolérante et démocratique
Mrs Thatcher, vous dites, cher Monsieur Baribeau?
De la même engeance que l’ex-président américain Bush fils!
Une «évidence évidente» – comme pourrait l’écrire notre hôte Simon Jodoin…
@claude
claude!
tu n’as pas saisi l’ironie de la boutade de simon??
“Si tu n’es pas de gauche à 20 ans, c’est que tu n’as pas de coeur. Si tu es encore de gauche à 40 ans, c’est que tu n’as pas de tête. Faut croire que j’ai pas de tête.” Normand Baillargeon concluait ainsi une entrevue radio, il y a une dizaine d’années.
Je crois que Baillargeon vise beaucoup plus juste que Brie dans son questionnement.
NOTE LINGUISTIQUE: Je ne remercie pas À Simon Jodoin. Je remercie Simon Jodoin!
JSB
N’empêche. Baser sa vision de l’univers sur le doublon gauche/droite, c’est plutôt oiseux. À ce compte là, l’horoscope est plus précis, puisse qu’il base ses «analyses» sur douze catégories plutôt que deux.
Je vais vous donner un exemple que je connais bien. Le moralisme à la con m’horripile. Je suis pour l’abolition de l’État ET de la propriété et du marché. Je préfère que ce soient les quidams plutôt que la police qui portent des armes, je pense que les prisons devraient être rasées. Je suis radicalement individualiste et anti-hiérarchies. Je crois que le concept de progrès est une farce, comme celui de tradition et je suis rigoureusement athée. Je considère la démocratie comme ce qu’elle est, rien de plus qu’un mode de gestion de l’État comme un autre et je ne vote jamais, puis qu’un tel geste ne sert qu’à donner de la légitimité au pouvoir. Où doit-on me classer? À gauche? À droite? Nulle part? Suis-je hors du débat public? Un ovni? Quelqu’un «qui ne prend pas position»? Une aliénée mentale?
Lorsqu’on présente le débat public sur un mode binaire, on ne fait que maintenir le statu quo, car la nature même de notre société est de limiter les options pour donner une impression de choix. Vous pouvez être gauche ou droite, fédéraliste ou souverainiste, égalité ou liberté, Coke ou Pepsi — et rien d’autre.
Un pendule oscille toujours de droite à gauche, mais il ne va jamais bien loin.
« N’empêche. Baser sa vision de l’univers sur le doublon gauche/droite, c’est plutôt oiseux »…
…Si je peux me permettre, c’est précisément ce que je ne fais pas dans ce billet.
Mais, enfin, bon…
Oh, désolée, je m’adressais au charmant Monsieur Perrier, je ne commentais pas votre billet.
Eh bien, chère Madame Archet, le «charmant Monsieur Perrier» – comme vous l’écrivez – attend votre commentaire…
Si j’ai dis quelque chose de bien ou quelque chose de déplacé, il me fera plaisir de le savoir. Et merci de me le faire savoir!
Chère Anne Archet, les propos de Claude Perrier sont moins abscons que les vôtres, soit dit de manière profondément respectueuse.
JSB
Texte très intéressant, encore une fois. J’aimerais, avec votre permission, et votre relecture, en faire la traduction pour le partager avec quelques amis qui ne sont pas versés dans la langue de Molière.
Les concepts deviennent flous particulièrement lorsqu’on écoute les ours qui ont intérêt à les rendre flous. La gauche et la droite existent, pourtant. Elles se déclinent néanmoins en plusieurs dimensions: nationalisme, économie, valeurs sociales, organisation sociale, spiritualité, etc. La conséquence de réduire toutes ces dimensions en une seule (gauche-droite) est de gagner en simplicité ce que l’on perd en information (principe de l’analyse en composantes principales). Mais lorsque l’on jauge l’axe gauche-droite avec les préjugés ridicules qu’héritent un côté de l’autre, on jongle.
« C’est ajouter au malheur du monde que de mal nommer les choses » – Camus
Simon, tu devrais faire un flashmob!
Il y a quand même quelque chose d’étrange avec cet article. Règle générale, c’est la droite qui utilise le « ni à gauche ni à droite » comme argument rhétorique. Ce n’est pas vrai de toutes les époques mais, en ce moment, ça l’est. Je ne veux pas trop me battre à savoir si les étiquettes gauche/droite sont ou non pertinentes, mais Jodoin prend tout de même un angle qui est celui de la gauche traditionnellement libérale, humaniste et progressiste.
Et pour Anne Archet : la notion d’Idéologue remonte à Napoléon qui l’a utilisé pour décrier les héritiers des encyclopédistes (qui préféraient les idées, d’après lui, à sa prise musclée du pouvoir) lors des événements du 8 thermidor. En fait, l’article est plutôt en phase avec l’esprit des idéologues (il met de l’avant des valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité au lieu d’un hypothétique « gros bon sens »), si vous souhaitez utiliser le terme, mais cette affirmation ne s’applique certainement pas à l’ensemble des journalistes.
Liberté, Égalité… Biodiversité!!!