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Étudiants et policiers : Les forces du désordre

Le 7 mars dernier, je me suis rendu dans le centre-ville de Montréal suite à quelques appels passés sur les médias sociaux par des étudiants qui désiraient tenir une vigile pour Francis Grenier, ce jeune qui a reçu dans l’œil un fragment de je ne sais trop quoi alors qu’il participait à une manifestation étudiante.

Ce soir là, j’avais mon manteau du Voir, je me tenais sur le trottoir, Iphone à la main. Je photographiais et tweetais un peu. Je suivais les étudiants. Pas journaliste, simplement un travailleur des médias, un chroniqueur. On m’avait demandé de parler de l’utilité des manifestations à l’émission Bazzo Tv et j’ai choisi d’aller prendre le pouls. L’occasion était bonne et, bien franchement, aussi, savoir qu’on en est rendu à exploser la gueule de nos jeunes à coups de machins inventés je ne sais trop par qui pour faire peur au monde, ça me rend curieux. Un accident, sans doute, mais un une gueule explosée quand même.

À un moment donné, quelques dizaines d’étudiants ont pris la direction du quartier latin, rue Saint-Denis. Ils ont remonté la rue à partir de Sainte-Catherine. Pas violents. Sans doute en infraction au code de la route puisqu’ils marchaient dans la rue et ne respectaient pas les feux rouges, mais rien d’extravaguant. Des jeunes, habillés en jeunes, avec des têtes de jeunes. Certains auraient pu jouer du djembé ce qui, j’en conviens, est très grave. Je suis personnellement contre le djembé. Mais ce soir là, personne n’en jouait.

Un peu après Ontario, ils étaient pris en souricière. Un peloton de policiers habillés pour ne pas se faire mal a bloqué l’intersection. Au nord, un autre peloton avec le même genre de costume bloquait aussi l’issue rue Sherbrooke. J’étais donc, moi aussi, pris au piège. Comme à peu près tous les quidams qui sortaient des restaurants et des commerces, à la fois amusés et éberlués. Les jeunes se sont mis à chanter du Harmonium, du genre qu’on a mis quelqu’un au monde et qu’on devrait peut-être l’écouter. En retrait sur le trottoir, je prenais des photos et tweetais quelques messages. Je suis comme ça. Si vous chantez du Harmonium dans la rue, je ressens le besoin de dire à mes amis que je vous trouve drôle.

Je me disais tout bonnement que les agents allaient simplement s’avancer pour nous demander de circuler. Mais non. Ce sont eux qui se sont mis à jouer des percussions finalement, en frappant sur leur bouclier avec leurs matraques ou je ne sais trop quoi. Ça faisait Tac Tac Tac. Rien de mieux que du djembé si vous voulez mon avis mais à ce moment là, mon avis importait peu. Quelques rythmes plus tard, j’avais 14 policiers devant moi et je tâtais du bouclier. Le type en uniforme qui s’est retrouvé directement en face mon humble personne devait bien faire 7 pieds. Ça m’a rappelé mon primaire quand les toxons nous plaquaient dans les cases. Je me suis tassé un peu pour les laisser passer, mais non, monsieur 7 pieds insistait. Son bouclier arrivait à la hauteur de ma tête et j’en ai bien mangé 5 ou 6 coups.

Vous me connaissez, je suis à la fois gentleman et diplomate.

-Excusez-moi monsieur, je ne suis pas un manifestant, je suis chroniqueur au Voir et je ne fais que me documenter.

-Trop tard, avance par là.

-Euh… C’est que je ne veux pas aller par là. Je suis un chroniqueur je vous dis.

-Trop tard, t’es dans mes jambes.

-Si je peux me permettre monsieur, c’est vous qui êtes dans mes jambes.

C’était une réponse de trop. Ça m’arrive parfois. Le type s’est arrêté, immobile devant moi. Pas l’air content. Il a été rejoint par trois de ses collègues, tous de la même grandeur. C’était comme un mur. Je n’étais pas à l’aise.

-Bouge par là sinon je t’arrête.

-Sous quel motif monsieur? Je vous dis que je souhaite simplement vous laisser passer et demeurer sur le trottoir où je suis. Je ne suis qu’un observateur.

Lui et ses trois camarades m’ont poussé à l’intérieur d’une terrasse d’un commerce. « Reste là et bouge pas» qu’ils m’ont dit.

Ils ont continué leur concert de percussion pour matraque et bouclier en avançant vers les étudiants et je me suis retrouvé sur cette terrasse comme un con avec d’autres cons. Un type à côté de moi, un Torontois de passage à Montréal m’a demandé ce qui se passait. Je lui ai expliqué l’affaire brièvement et je suis sorti.

C’est une histoire toute bête. Le genre d’aventure que je ne raconte pas systématiquement pour me faire croire que je suis victime de violence policière. Je faisais mon travail, les policiers faisaient le leur. Business as usual.

Mais c’était violent. Pendant quelques instants, oui, aussi banal que ça puisse avoir l’air, mon droit de me trouver sur un trottoir pour observer un phénomène social a été violé. Durant quelques secondes, la loi du plus fort a eu raison de mon argumentation de citoyen et travailleur des médias qui a tout à fait le droit de se trouver sur un trottoir et de documenter une situation d’ordre public. Le policier devant moi mesurait 7 pieds, il était armé, protégé et, surtout, il le savait. « Niaise moi pas sinon je t’arrête »… La force avait raison.

Je vous raconte cette histoire parce que ça m’a fait un peu rire de lire le patron de la Sûreté du Québec, monsieur Richard Deschesnes, faire valoir aujourd’hui que la police n’avait pas eu recours à une force excessive envers les étudiants. Ce soir là, ils chantaient du Harmonium dans la rue et personnellement, ex-étudiant que je suis, je tweetais peinard sur le trottoir.

Je comprends qu’il est très important de respecter la signalisation et de ne pas marcher dans la rue pour laisser passer les voitures, mais je considère que de recevoir quelques coups de bouclier et d’être confronté à des géants habillés en gladiateurs et éduqués en robots qui refusent d’entendre un argument valable, c’est de la force excessive.

Oui oui, vous avez raison… La loi et l’ordre, l’état de droit et tous ces machins, c’est fondamental. Je comprends. Je le dis sans aucune forme d’ironie. Mais justement, à quel moment l’application de l’ordre devient-elle une certaine forme de désordre ?

Et ce que je vois depuis quelques jours, avec ces professeurs qui se font arrêter, ces étudiants qui reçoivent systématiquement des contraventions parce qu’ils bloquent la voie publique, tous ces cas isolés comme ma banale aventure que je viens de raconter, tout cela mis bout à bout, entériné par des politiciens justement représentants de l’état de droit, ces bousculades et ces foires d’empoigne commanditées à même le bien public dans les plus hauts lieux de notre savoir collectif, n’est-ce pas une certaine forme de désordre?

Serait-il possible que, d’une certaine manière, les forces de l’ordre deviennent peu à peu des forces du désordre ?

En aparté, on peut reprocher aux étudiants de brasser de la marde. J’en conviens. On peut même trouver Gabriel Nadeau Dubois un peu comique lorsqu’il revendique le sacro-saint mandat de ses membres pour dénoncer un sac de brique dans le métro ou telle ou telle vitrine brisée. Il fera un bon politicien, j’en suis persuadé.

Mais pour brasser de la marde, encore faut-il qu’il en existe une marmite bien pleine…

Et cette marmite, désolé, mais ce ne sont pas les étudiants qui l’ont mise au feu… La recette, pour ainsi dire, était déjà prête à servir.

Qui était le cuisinier ?