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Éric Duhaime: Entre Luka Magnotta et Manu Militari

Chroniqueur de droite assez connu, Éric Duhaime s’est transformé depuis quelques semaines en analyste vidéo, défendant dans un cas la diffusion de certaines images circulant sur le web au nom de la liberté d’expression et la réprimant dans un autre sous prétexte que d’elles impliquaient des sommes payées par les contribuables.

En effet, il y a quelques semaines, Duhaime défendait la diffusion libre du crime de Luka Magnotta en s’appuyant sur la liberté d’expression. Selon lui, il fallait montrer ces images afin que le public puisse comprendre l’ignominie des gestes posés.

Il y a quelques jours, cependant, lors d’un passage à l’émission de Brian Lilley sur Sun News, il condamnait la vidéo de Manu Militari en prétextant –ce qui est un mensonge (et il le sait)- que le rappeur y glorifiait le terrorisme taliban sur le bras des contribuables.

http://youtu.be/odfamsvO75Y

Suite à l’écoute de ces deux positions, reprenons, pour autant qu’il soit possible de le comprendre, le raisonnement d’Éric Duhaime.

[1] La vidéo de Luka Magnotta, démembrant un pauvre quidam innocent, devrait être diffusée librement, envers et contre toutes les législations en vigueur, car elle permet de montrer l’antihumanisme de son protagoniste, exposant à tous l’odieux de son geste.

[2] La vidéo de Manu Militari, bien qu’elle ne contrevienne à aucune loi, va beaucoup trop loin. Mettant en scène un Afghan qui défend à tort ou à raison, dans une logique de conflit politique, son territoire, elle choque les familles des militaires et pourrait bien être diffusée si et seulement si elle n’était pas produite à l’aide de fonds publiques.

La synthèse de ces deux positions peut se résumer comme suit:

On peut diffuser n’importe quoi, même les crimes les plus inhumains, si et seulement si des fonds publics ne sont pas engagés dans cette opération.

Reste donc, purement et simplement, au moins en apparence, la question de fonds publics…

…Et la tension essentielle entre la fiction et la réalité. Car le crime de Magnolta tenait de la réalité rude, empirique, sans aucune mise en scène, sinon celle de la folie pure. Entre un déjanté qui encule un tronc démembré, préalablement découpé, invitant même son chien à en bouffer des bouts, et une fiction qui met en scène un Afghan qui fait exploser un convoi militaire canadien, Éric Duhaime choisira la réalité de l’abominable démembrement.

Pourquoi? Pour une seule raison. Magnotta a produit sa vidéo sans l’aide de subventions et sans remettre en question les forces de l’ordre politiques et la morale militaire.

Risquons une hypothèse: L’éthique de Éric Duhaime se trouve en quelque sorte mesurée sur la balance des fonds publics. Un crime réel, gratuit, odieux et inhumain, mériterait d’être diffusé sur une vidéo sans que personne n’intervienne, mais une fiction pouvant choquer les familles de militaires produites grâce à des fonds publics devrait être retirée sur le champ pour la simple et bonne raison que des contribuables paient des taxes et des impôts.

Il convient au moins de rappeler une chose: Que des artistes puissent bénéficier d’une aide financière pour permettre ainsi la diffusion de leurs choix artistiques est une décision politique et économique. On peut certes remettre cette décision en question, la dénoncer, mais il n’en demeure pas moins qu’un tel débat se mène dans l’arène de la légalité et des choix de société.

Mais qu’un fêlé du bocal décide de mettre en ligne une vidéo mettant en scène un crime odieux, ça, ça ne découle d’aucun choix «contribuable» et démocratique. Il s’agit purement et simplement d’une dérive d’un individu fou.

Qu’est-ce à dire? Que dans l’esprit d’Éric Duhaime, la folie individuelle et abominable vaut mieux que les choix conscients et collectifs? Qu’il vaut mieux, pour la forme, s’opposer à l’intervention de l’État pour permettre le visionnement d’un crime pur et simple mais l’encourager afin de faire taire un créateur qui met en scène, en toute légalité, une situation sous prétexte que certains contribuables, choqués, ont payé pour ça?

N’en déplaise à Éric Duhaime, les fonds publics ne sont pas publics simplement parce qu’ils proviennent de la poche de contribuables. Ils sont publics parce que, collectivement, nous avons pris des décisions, bonnes ou mauvaises, mais publiques tout de même. Nous avons choisi de contribuer, d’élection en élection, au travail de certains artistes et autres travailleurs (c’est vrai dans presque tous les secteurs de notre économie). On peut bien remettre en question ces décisions, mais il n’en demeure pas moins qu’elles ont été prises pour favoriser la diversité d’opinion et la libre expression.

Attaquer cette libre expression d’un point de vue légitime et légal tout en défendant celle d’un désaxé, voilà qui laisse pour le moins songeur. L’éthique d’Éric Duhaime semble ne reposer que sur la dénonciation d’un choix collectif au profit des dérives personnelles les plus folles. Est-ce donc là les limites du débat droite-gauche auquel ce gentleman nous convie depuis quelques mois?