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Élections Québec 2012: Lucidité et indignation

Un peu ennuyante sur le terrain, la campagne électorale qui se terminera demain mets en scène une polarisation à laquelle nous n’étions pas ou peu habitués, notamment grâce à deux nouveaux joueurs, Québec Solidaire etla CAQ, qui ont su se situer dans un nouveau marché idéologique où transigent désormais les valeurs politiques.

La CAQ demeure le véhicule le plus concret de l’idéologie des «lucides» comme nous les avons appelés depuis quelques années. Elle représente l’aboutissement politique du manifeste bien connu, Pour un Québec lucide,  publié en 2005 et signé par diverses personnalités (Bouchard, Facal, Pratte, etc). Alliant des positions diverses, notamment en ce qui concerne la question nationale, ce discours, qui présuppose une sérieuse remise en question du modèle québécois, concerne principalement la performance et l’optimisation des structures étatiques. Il s’agit purement et simplement d’un pari gestionnaire. Les inégalités sociales ne seraient pas tant le fruit d’une répartition de la richesse déficiente que le résultat d’une mauvaise gestion des fonds publics.

À l’opposé, c’est Québec Solidaire (qui donnait la réplique aux lucides, à l’époque, en publiant son propre manifeste, Pour un Québec solidaire) qui incarne le mouvement global des «indignés», selon l’expression désormais en vogue. Amir Khadir marche dans les rues, interpelle et défie les forces de l’ordre quand ce n’est pas le parlement lui-même, lance des souliers contre Bush, se fait menotter dans une manifestation. Bref, il occupe, au sens propre et avec un succès certain, l’espace politique, au même titre que les divers mouvements d’occupation campent sur les places publiques. La position des solidaires est en apparence diamétralement opposée à celle des lucides: Les inégalités ne sont pas simplement causées par une mauvaise gestion, mais bien plutôt par l’appétit trop vorace des puissants qui contrôlent l’ensemble des institutions politiques.

Cette opposition, entre les «lucides» et les «indignés» n’est plus qu’une simple anecdote. Il faut la constater. Elle est désormais le moteur de tous nos débats et dépasse de loin nos frontières. Elle a éclaté au grand jour, ici, à l’automne 2011 pour atteindre son apogée au printemps dernier.

Minimiser cette polarisation du discours ou douter de son existence n’est plus possible. Elle donne lieu à des regroupements idéologiques qui pourraient sembler saugrenus dans un autre contexte mais qui nous apparaissent désormais comme allant de soi.

Or, c’est sur ce marché idéologique que les deux grands partis traditionnels, le PLQ et le PQ ont échoué. Car au lieu de prendre bonne note de ces nouvelles mouvances, ils ont persisté à se situer sur un axe désuet du débat public.

Le PLQ s’est tout simplement vautré dans la défense des institutions et de la constitution, ce en quoi il est devenu un parti conservateur soft assez éloigné de l’essence même du libéralisme. On se serait attendu que des libéraux puissent entendre à la fois l’entreprise des lucides et l’indignation des solidaires. Cela n’est jamais arrivé, ni pour les uns ni pour les autres, mais surtout pour les autres.

De leur côté, les péquistes se sont barricadés dans une sorte d’identitarisme tiède, sans jamais comprendre que les indignations les plus profondes, désormais, ne concernent que très peu la question nationale au sens strict. Dans toute l’effervescence des mouvements d’occupation, jusqu’au manifestations du printemps dernier, le débat constitutionnel a été mis complètement de côté. Des nationalistes plus motivés –et plus folkloriques aussi- ont bien tenté de profiter de cette grogne populaire, mais leurs quelques essais se sont soldés en échecs. Plus personne, ou presque, n’a envie de porter le vieux manteau identitaire.

Est-ce dire que le débat constitutionnel, en tant que tel, est désormais désuet, voir mort de sa belle mort? Non pas, mais il faut bien saisir l’ampleur cette nouvelle dynamique politique qui change considérablement la nature des débats auxquels nous avons pris part depuis la révolution tranquille.

Jean-Martin Aussant a bien compris cette nouvelle donne et distille ainsi un discours souverainiste en se situant constamment, à coups d’arguments économiques, sur l’opposition lucides/indignés et en évacuant presque complètement l’aspect identitaire du débat constitutionnel, ce qui semble d’ailleurs beaucoup plus plaire aux jeunes. Il faut lui donner ce mérite d’avoir bien saisi l’air du temps, mieux en tout cas que le parti qu’il a quitté.

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Mon souhait électoral le plus cher serait que, mardi soir, l’Assemblée Nationale soit le lieu où pourront se tenir ces débats qui nous occupent assez bruyamment depuis plusieurs mois. C’est donc dire que j’espère voir les entrepreneurs lucides et les indignés solidaires s’affronter, enfin, sur le terrain parlementaire et non plus dans la rue.

Or, en remettant les clés du gouvernement à un PQ majoritaire, par stratégie ou par dépit, nous fermerions en quelque sorte le couvercle sur un débat en pleine ébullition pour simplement le remettre à plus tard. Il y a quelques semaines nous étions occupés à danser la claquette dans le métro, à jouer de la casserole dans les rues, à s’engueuler entre carrés verts et carrés rouges, à marcher toutes les nuits en défiant la loi. À l’automne dernier, c’était les campements sur les places publiques, à l’instar des indignés partout en occident et ailleurs dans le monde. C’est cette plaie, cette déchirure dans le tissu social entre les lucides et les indignés, qui apparaît désormais au grand jour. On peut certes vouloir l’oublier quatre ans de plus en y mettant un pansement, mais ce serait courir le risque d’une infection généralisée à moyen terme.

Afin d’assumer pleinement les positions exprimées ces dernières années et de faire en sorte que ce fameux printemps ne se transforme pas en vague souvenir d’un festival de camping urbain et de concerts d’ustensiles de cuisine, je souhaite que nous choisissions des membres de Québec Solidaire et de la CAQ pour continuer ce débat, urgent, au sein des instances parlementaires, tout en invitant Jean-Martin Aussant d’Option Nationale à se joindre à cette nouvelle conversation. Ce serait là, à mon humble avis, la carte la plus fidèle du territoire politique que nous habitons désormais.