Un peu ennuyante sur le terrain, la campagne électorale qui se terminera demain mets en scène une polarisation à laquelle nous n’étions pas ou peu habitués, notamment grâce à deux nouveaux joueurs, Québec Solidaire etla CAQ, qui ont su se situer dans un nouveau marché idéologique où transigent désormais les valeurs politiques.
La CAQ demeure le véhicule le plus concret de l’idéologie des «lucides» comme nous les avons appelés depuis quelques années. Elle représente l’aboutissement politique du manifeste bien connu, Pour un Québec lucide, publié en 2005 et signé par diverses personnalités (Bouchard, Facal, Pratte, etc). Alliant des positions diverses, notamment en ce qui concerne la question nationale, ce discours, qui présuppose une sérieuse remise en question du modèle québécois, concerne principalement la performance et l’optimisation des structures étatiques. Il s’agit purement et simplement d’un pari gestionnaire. Les inégalités sociales ne seraient pas tant le fruit d’une répartition de la richesse déficiente que le résultat d’une mauvaise gestion des fonds publics.
À l’opposé, c’est Québec Solidaire (qui donnait la réplique aux lucides, à l’époque, en publiant son propre manifeste, Pour un Québec solidaire) qui incarne le mouvement global des «indignés», selon l’expression désormais en vogue. Amir Khadir marche dans les rues, interpelle et défie les forces de l’ordre quand ce n’est pas le parlement lui-même, lance des souliers contre Bush, se fait menotter dans une manifestation. Bref, il occupe, au sens propre et avec un succès certain, l’espace politique, au même titre que les divers mouvements d’occupation campent sur les places publiques. La position des solidaires est en apparence diamétralement opposée à celle des lucides: Les inégalités ne sont pas simplement causées par une mauvaise gestion, mais bien plutôt par l’appétit trop vorace des puissants qui contrôlent l’ensemble des institutions politiques.
Cette opposition, entre les «lucides» et les «indignés» n’est plus qu’une simple anecdote. Il faut la constater. Elle est désormais le moteur de tous nos débats et dépasse de loin nos frontières. Elle a éclaté au grand jour, ici, à l’automne 2011 pour atteindre son apogée au printemps dernier.
Minimiser cette polarisation du discours ou douter de son existence n’est plus possible. Elle donne lieu à des regroupements idéologiques qui pourraient sembler saugrenus dans un autre contexte mais qui nous apparaissent désormais comme allant de soi.
Or, c’est sur ce marché idéologique que les deux grands partis traditionnels, le PLQ et le PQ ont échoué. Car au lieu de prendre bonne note de ces nouvelles mouvances, ils ont persisté à se situer sur un axe désuet du débat public.
Le PLQ s’est tout simplement vautré dans la défense des institutions et de la constitution, ce en quoi il est devenu un parti conservateur soft assez éloigné de l’essence même du libéralisme. On se serait attendu que des libéraux puissent entendre à la fois l’entreprise des lucides et l’indignation des solidaires. Cela n’est jamais arrivé, ni pour les uns ni pour les autres, mais surtout pour les autres.
De leur côté, les péquistes se sont barricadés dans une sorte d’identitarisme tiède, sans jamais comprendre que les indignations les plus profondes, désormais, ne concernent que très peu la question nationale au sens strict. Dans toute l’effervescence des mouvements d’occupation, jusqu’au manifestations du printemps dernier, le débat constitutionnel a été mis complètement de côté. Des nationalistes plus motivés –et plus folkloriques aussi- ont bien tenté de profiter de cette grogne populaire, mais leurs quelques essais se sont soldés en échecs. Plus personne, ou presque, n’a envie de porter le vieux manteau identitaire.
Est-ce dire que le débat constitutionnel, en tant que tel, est désormais désuet, voir mort de sa belle mort? Non pas, mais il faut bien saisir l’ampleur cette nouvelle dynamique politique qui change considérablement la nature des débats auxquels nous avons pris part depuis la révolution tranquille.
Jean-Martin Aussant a bien compris cette nouvelle donne et distille ainsi un discours souverainiste en se situant constamment, à coups d’arguments économiques, sur l’opposition lucides/indignés et en évacuant presque complètement l’aspect identitaire du débat constitutionnel, ce qui semble d’ailleurs beaucoup plus plaire aux jeunes. Il faut lui donner ce mérite d’avoir bien saisi l’air du temps, mieux en tout cas que le parti qu’il a quitté.
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Mon souhait électoral le plus cher serait que, mardi soir, l’Assemblée Nationale soit le lieu où pourront se tenir ces débats qui nous occupent assez bruyamment depuis plusieurs mois. C’est donc dire que j’espère voir les entrepreneurs lucides et les indignés solidaires s’affronter, enfin, sur le terrain parlementaire et non plus dans la rue.
Or, en remettant les clés du gouvernement à un PQ majoritaire, par stratégie ou par dépit, nous fermerions en quelque sorte le couvercle sur un débat en pleine ébullition pour simplement le remettre à plus tard. Il y a quelques semaines nous étions occupés à danser la claquette dans le métro, à jouer de la casserole dans les rues, à s’engueuler entre carrés verts et carrés rouges, à marcher toutes les nuits en défiant la loi. À l’automne dernier, c’était les campements sur les places publiques, à l’instar des indignés partout en occident et ailleurs dans le monde. C’est cette plaie, cette déchirure dans le tissu social entre les lucides et les indignés, qui apparaît désormais au grand jour. On peut certes vouloir l’oublier quatre ans de plus en y mettant un pansement, mais ce serait courir le risque d’une infection généralisée à moyen terme.
Afin d’assumer pleinement les positions exprimées ces dernières années et de faire en sorte que ce fameux printemps ne se transforme pas en vague souvenir d’un festival de camping urbain et de concerts d’ustensiles de cuisine, je souhaite que nous choisissions des membres de Québec Solidaire et de la CAQ pour continuer ce débat, urgent, au sein des instances parlementaires, tout en invitant Jean-Martin Aussant d’Option Nationale à se joindre à cette nouvelle conversation. Ce serait là, à mon humble avis, la carte la plus fidèle du territoire politique que nous habitons désormais.
Un texte intéressant par sa vision claire, et je dirait lucide sur le nouveau paysage socio-politique du Québec. Parlant de lucidité…de grâce! Cessez d’appeler les néolibéraux-conservateurs « les lucides »! J’ai des vomissements à chaque fois! 🙂 Je sais d’où vient cette appellation, mais on ne peut pas jouer leur jeu, leur donner ce nom, ce serait odieux. C’est comme si les « indignés » s’auto-baptisaient « Ceux qui possède la vérité » et qu’on les désignaient comme ça ensuite sur toute les tribunes. … « Ceux qui possèdent vérité ont affirmé aujourd’hui que… » 😀
Je partage ton souhait. Je suis QS à 100%. Bien que politisé, je n’avais jamais voté avant l’arrivée en scène de QS. En 2007, j’ai non seulement voté mais je me suis impliqué comme un damné pour que ce parti embarque dans la game politique/médiatique de façon crédible et solide. Moi j’étais bien fier de nos 4%. Je savais qu’on avait lancé Amir en orbite et préparé la table pour Françoise.
Je voyais le premier élu en 2011 et la deuxième, si tout allait bien, en 2015. Et ça me satisfaisait. Au moins, j’avais maintenant une voix au chapitre. J’ai aussitôt débarqué de la patente et je me contente aujourd’hui de voter pour eux.
Faut savoir que je ne suis qu’un prolo bas de gamme peu diplômé. Dans la chaîne alimentaire moderne, je me situe à peine au dessus du BS… Le PQ me traite comme de la merde mais il semble vouloir préserver les services publics collectifs. Le PLQ, ça me fait mal de le dire, est plus généreux et plus reconnaissant de mon labeur(regardez juste l’augmentation du salaire minimum ces dernières années vs l’inflation et vous verrez que Jean Charest, concrètement, c’est loin d’être le grand Satan pour les pauvres. Mais côté services publics, c’est les coupures et la privatisation. Sans parler des magouilles et de la corruption, pour vous qui payez pas mal plus de taxes et d’impôts que moi.
Au final, c’est kif-kif. Aucune issue. C’est juste pas vrai qu’en étant honnête, persévérant et travaillant, tu vas t’en sortir et t’épanouir. Il faut de la compromission pour réussir dans la vie. Pas seulement des compromis, de la compromission. L’exemple est donnée en haut lieu, depuis toujours, pour les 40 ans et moins…
J’ai regardé le débat à la SRC avec deux jours de retard. C’était la première fois de ma vie que je me tapais l’exercice. On disait beaucoup de bien de la prestation de Françoise alors j’ai succombé à mon résidu de chauvinisme.
Françoise était très bien. Rien d’étonnant pour ma part. Fidèle à ce que je connais d’elle depuis 1995.
C’est le pathos de Pauline et Charest qui m’a frappé. J’étais sincèrement gêné pour eux. Malgré mon souverain mépris à leur endroit.
Legault a au moins eu le mérite d’être clair et net. Non seulement il va me traiter comme de la merde mais il va couper en plus dans les services. Une fusion de ce qu’il y a de pire chez le PQ et le PLQ, pour ma « classe », ma caste. Mais au moins lui, il me le dit d’avance. Il n’essaie pas de gentiment me racoler pour mieux me la mettre.
Donc, j’aimerais moi aussi voir le PQ et le PLQ disparaître de la carte. Je serais l’homme le plus heureux sur terre avec deux députés QS et trois troisième place vs une majorité caquiste.
Vraiment dommage pour Aussant, qui a gagné mon profond respect ces derniers mois, mais qui ne sera vraisemblablement pas de la danse parlementaire cet automne. Option Nationale enlève probablement des votes à QS mais je m’en tape. C’est une voix de plus vers l’intégrité et c’est toujours ça de gagné.
Longue vie au futur, à l’avenir et à l’évolution. Longue vie à QS, Amir, Françoise, Serge Roy, Manon Massé, François Saillant et tous les autres. Longue vie à Option Nationale et Jean-Martin Aussant, lâchez pas la patate. Si vous le faites, les gens viendront, c’est Kevin Costner qui le dit alors c’est forcément vrai.
Et puisqu’il le faut bien, bonne chance à la CAQ. Je vous souhaite de réussir aujourd’hui pour mieux vous voir vous planter demain. Qu’on passe finalement à autre chose. Qu’on réalise finalement que l’ensemble est aussi vulnérable que le plus faible maillon de la chaîne…
Cette intervention de votre part, Monsieur Patry, est tout à fait remarquable!
Cohérente, de grande qualité, respectueuse malgré les reproches qui la traversent, et fort bien écrite.
Toute chaîne dont le plus faible maillon serait tel ne saurait qu’en être une de très grande résistance. Je suis très impressionné – comme d’autres le sont certainement aussi à vous lire.
Cela étant, je ne comprends pas du tout ce qui pourrait vous maintenir si près du sol… Oubliez Icare. Et n’ayez pas la moindre crainte de vous brûler les ailes.
Si l’on veut vraiment favoriser des rapprochements socialement gratifiants entre les «lucides» et les «indignés», et tous les autres, alors il faut vivement espérer que le nouveau gouvernement qui sera élu demain (4 septembre 2012) en sera un qui sera minoritaire.
Sa couleur importe peu. Minoritaire.
Car un gouvernement minoritaire obligera tout le monde à la collaboration.
Il y a beaucoup de «raccommodage» à faire afin de remettre le tissu social dans un état présentable. Ce tissu qui a été si inconsidérément déchiré par quelques – quelques mais déjà trop – idéologues clanistes n’ayant rien à cirer du bien commun et du respect à l’égard des autres.
Et s’il faut encore faire du bruit et encore pousser des hauts cris, qu’on le fasse là où cela se fait depuis des décennies: à l’Assemblée nationale. La rue, c’est pour les véhicules, les vélos, les piétons et… les nids-de-poule.
Cher monsieur Perrier,
Je ne peux que me ranger du côté de votre analyse, à savoir qu’un gouvernement minoritaire poussera les forces en place à collaborer entre elles, ce qui est très bien.
J’aimerais cependant souligner que les hauts cris et le bruit n’ont jamais été l’apanage des Assemblées constituantes. Ils ont même d’abord et avant tout été l’apanage de la rue, celle qui a permis depuis 3 siècles et même au delà, non seulement de créer les conditions de la démocratie mais aussi de faire connaitre les revendications du peuple une fois celle-ci en place.
La démocratie ne s’est jamais limitée à mettre un bulletin dans une urne. Elle s’exerce à chaque instant, auprès de chaque citoyen qui s’engage dans la vie de la Cité. Comme son nom l’indique, elle représente la « souveraineté du peuple » et présuppose un équilibre des pouvoirs entre, d’un côté, une classe dirigeante privilégiée, et de l’autre les citoyens auxquels elle est supposée devoir rendre des comptes.
Réalisez-vous que ça fait 10 ans que le PLQ nous endort avec ses discours éculés et ses préoccupations prosaïques ; et même prosaïque est un mot trop beau pour qualifier leurs propos. Imaginez éduquer des enfants en ne leur parlant que des finances de la famille et des tâches ménagères. Ça fait du monde gris-pâle en tabarnouche (et la CAQ est du même acabit que le PLQ) Il-y- a autres choses dans la vie et on doit en parler. Quand on élit un gouvernement on s’attend d’emblée à ce qu’il fasse une bonne gestion des affaires courantes, alors on n’a pas à nous casser les oreilles avec le pipi-caca. La meilleure façon d’élever le discours c’est la diversité des voix, en ce sens, je suis d’accord avec vous, Simon. J’aimerais voir Québec solidaire et Option Nationale au parlement. Quant au PQ minoritaire, il aura malheureusement les mains liées pour quatre ans. Mais cela servira peut-être à édifier notre vision de la politique et à s’affranchir des discours stériles et populistes des gérants d’estrades radiophoniques. À quand des séances d’information sur la désinformation ?