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Jour 3 du débranchement… Le rédacteur en chef et le politicien

Je suis directeur au sein d’une petite entreprise médiatique. Enfin, elle est peut-être moyenne, mais bon, anyway, je suis directeur. Depuis peu, je dirige conjointement deux départements, le développement des nouveaux médias et la rédaction. J’ai ainsi quelques collègues à ma charge dont je suis le supérieur immédiat. Une équipe moyenne. Une quinzaine de personnes en comptant les pigistes. Peut-être plus, ça varie.

Le temps passe vite entre les voyages dans les métros bondés. On ne voit pas les minutes passer. Chacun vaque à sa tâche, on travaille. Je côtoie une poignée de directeurs d’autres départements qui sont devenus ce que j’estime être des amis, dans une sorte de monde à part où ne pénètrent pas la famille et les soucis du quotidien. Aucun tentacule de notre vie sociale ne s’aventure dans cet écosystème où tout est toujours urgent et n’importe quoi peut, naturellement, arriver. La confiance n’est pas pour nous un atout, c’est une obligation. Tous, sans même nous parler dans la plupart des cas, livrons à toutes les semaines un journal. Ça pourrait être des pédalos ou des tracteurs, ce serait la même chose.

Évidemment, tout se bouscule, nous rions assez pour que ça en vaille la peine. Pas toujours, mais assez. Assez pour que ça puisse nous sembler beaucoup.

C’est tout. Le soir, comme mes collègues, comme vous, je rentre chez moi pour enligner le shift familial. Au nombre de balles que je dois frapper par jour, j’en échappe sans aucun doute quelques unes. Le cas échéant, on avise. On y revient en soirée. La nuit même. On travaille en dormant.

Ça roule au poste, en somme. Nous ne manquons jamais un jeudi. Les journaux sont là, imprimés, livrés. Je pourrais vous parler de poireaux ou de melons, ce serait la même chose. Ils sont là, comme par magie. Mieux encore, c’est gratuit. Vous n’y pensez pas. Vous lisez ou non. Comme vous mangez du melon, ou non.

Je ne dis pas ça pour me vanter ou pour vous émouvoir. Enfin, oui, mais c’est une tactique de communication. Elle consiste à vous préciser au passage que je ne vous dis pas ça pour me vanter. Ça peut-être vrai, ou pas, mais ça vous divertit, si bien qu’en quelque sorte, vous aimeriez y croire, ou vous y croyez déjà.

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Je ne voulais pas vous parler de moi, ni de mon travail… Je pensais au politicien. Remarquez que je viens d’écrire ce mot au singulier. Le politicien… Ce type qui rentre chez lui le soir, à poil, dans son lit.

Je pense surtout à mon pays, ou ma province… En tout cas, cette foutue grosse entreprise qu’il faut gérer. Je sais, vous n’aimez pas le mot «entreprise»… Vous m’en trouverez un autre, je l’utiliserai à l’avenir. Cet «organisme», disons… Une grosse patente, avec des ministres, des sous-ministres, des directeurs, des sous-directeurs, des hauts fonctionnaires, des bas fonctionnaires, des secrétaires, des commis, des préposés, des réceptionnistes et tous ces machins qui se rendent jusqu’à vous, citoyens usagers.

Tout peut arriver. Tout… S’il m’est difficile de gérer tout ce qui se passe dans un journal culturel indépendant, si je dois faire confiance à mes collègues pour livrer la marchandise, qu’en est-il de lui, ce politicien?

Un matin, on se réveille… Quelqu’un dont on ne sait même pas le nom a dit une connerie. Une grosse. Un viaduc vient de tomber. Un mort, deux morts, dix morts… Un type dans son équipe s’en est mis plein les poches. Le politicien le savait peut-être, ou peut-être pas. Mais chose certaine, il devait le savoir. Il n’a pas le choix. C’est lui qui ultimement devra répondre de toutes les couilles du hasard et des mauvaises décisions. Les siennes et celles de ses collègues, même ceux dont il ignore le nom.

Au bout du fil, 7 millions de lecteurs pas contents.

Oh punaise! Je ne voudrais pas être à sa place!

Il y a des soirs comme ça où dans mon esprit, il n’y a plus de politiciens. Que des hommes et des femmes nus dans leurs lits…

Avec leurs rêves et leurs cauchemars.

Ça pourrait être des pédalos ou des tracteurs, ce serait la même chose…