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Jours 6-7-8-9-10-11 du débranchement: Le jeu de rôle du citoyen dans les médias sociaux

Eh oui… Alors que je prévoyais écrire des billets quotidiennement sur mon blogue, ma réalité de citoyen débranché semble avoir un effet sur le sentiment d’urgence que je ressens, en temps «normal», à intervenir au sein de l’actualité.

C’est peut-être le premier effet de mon débranchement: La perte du sentiment d’urgence, de l’obligation factice de devoir toujours réagir dès que l’information est portée à mon attention.

À un point tel que je me demande si les «crises» que nous prétendons vivre de manière constante depuis quelques temps ne sont pas des créations médiatiques. Coquin de sort! Peut-être que cette fameuse crise des médias dont on parle tant depuis quelques années n’est en fait qu’un effet médiatique…!

Je surfe donc tranquillement, au gré des sujets qui attirent mon attention.

Ne vous inquiétez pas, tout va bien!

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Au bas d’un article trouvé au hasard sur le Huffington Post Québec, j’ai remarqué une section consacrée aux médias sociaux qui permet de lire les derniers tweets relatifs à un sujet.

Il s’agit d’une commande qui permet de retrouver certains mots-clés utilisés sur twitter, d’afficher les messages qui les contiennent et de faire la liste des «principaux influenceurs» les ayants diffusés. Ici, pour un article à propos «chantal landry isabelle jean mutées», on retrouve Radio Canada, Pierre Duchesne et la CAQ en tête de liste.

Pour trouver et classer ces influenceurs, on utilise le score «klout», un service web qui permet de mesurer le taux d’influence de certains intervenants. Comme on peut le voir dans l’image affichée plus haut, Radio Canada a un score Klout de 73. C’est ce que signifie le petit [>k 73] qu’on peut apercevoir. La presque totalité de l’humanité ignore ce dont il est question. Dans les faits, ce chiffre est totalement insignifiant. On peut s’imaginer qu’il s’agit d’un algorithme qui calcule la portée d’un message transmis sur twitter. Un lien diffusé par Radio Canada, par exemple, sera consulté et rediffusé par des milliers d’abonnés. Radio-Canada est donc plus influent qu’un autre usager qui, après tout le monde, le diffusera à une poignée de personnes.

Ce classement est en quelque sorte similaire aux cotes d’écoute et au lectorat utilisés par les médias traditionnels. Ainsi, comme il semble désormais acquis que tout un chacun est un média, dans la mesure où nous tissons des liens sur la toile, nous sommes automatiquement classés dans un palmarès engendrant inévitablement une hiérarchie et, donc, une forme de compétition.

Ce score étant ici intégré dans le fil de l’actualité, le rapport à l’information se présente comme une jeu, une quête où on peut gagner des points et éventuellement atteindre la tête d’un classement. Il s’agit en quelque sorte d’une grande partie d’un jeu de rôle auquel le citoyen branché participe.

L’enjeu inhérent au suivi de l’actualité n’est plus de se tenir informé mais bien de jouer et d’espérer gagner quelque chose. Le citoyen numérique cherche d’abord à se divertir, comme il le fait en jouant à des jeux vidéo et peut-être pour les mêmes raisons. En s’informant et en diffusant des informations, il peut gagner des points et monter les échelons d’une certaine hiérarchie virtuelle. Le score Klout n’est qu’un exemple assez caractéristique des médias sociaux. Il y en a d’autres. Le nombre de «like» qu’on obtient en partageant un lien vers un article, un montage photo ou une vidéo sur Facebook, le nombre de «retweet» sur twitter, le nombre d’ «amis» ou de «followers» qu’on peut gagner sur ces plateformes sont des scores, des pointages qui permettent de classer les joueurs qui participent, sous le couvert d’un avatar, au grand jeu de l’information en temps réel.

Au sein de cette actualité se trouvent entrelacés les photos de famille, les liens vers des contenus produits par les grands groupes de presse, des dates d’anniversaires et des opinions d’amis inconnus rédigées en quelques lignes. Les photos de mariage ou d’un nouveau né s’insèrent entre les polémiques politiques et les manchettes du jour à propos de catastrophes et de massacres. Aussi dépareillés qu’ils puissent sembler, ces divers éléments prennent place au sein d’un seul et même récit auquel prennent part l’ensemble des citoyens branchés. La présence en ligne consiste à jouer le rôle d’un personnage dans la vaste mise en scène de l’actualité. Alors qu’on bombarde tel ou tel endroit dans le monde, Jean-Paul Chose poste les photos de son chien, Monique Unetelle commente un article sur la décoration intérieure tandis que Johnny Machin annonce qu’il est en couple.

L’information était déjà présentée, en tout cas dans la forme, dans les bulletins télévisés et dans les grands médias de masse, comme une fiction dont l’objectif est surtout de divertir, et non plus simplement d’informer. Grâce aux médias sociaux, l’auditeur peut maintenant participer à cette fiction. Il est désormais question de stratégie et de pointage. Le citoyen branché joue un rôle au sein du vaste récit de l’actualité.

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Je ne suis pas convaincu que nous ayons bien saisi le rôle que nous jouons dans le fil des nouvelles du jour ni que nous ayons mesuré les retombées d’une telle frénésie sur l’esprit humain et sur la civilisation. Nous en sommes encore, pour l’instant, à discuter du pouvoir des médias et à s’imaginer que grâce à ces outils que sont les médias sociaux  nous pourrions, en prenant part à la socialisation en temps réel, le renverser. Il est possible qu’en prenant le relais des pouvoirs médiatiques, les citoyens branchés ne font que reproduire sur une base individuelle les vices inhérents à l’information spectacle.  La seule modification est peut-être que nous pouvons désormais y jouer un rôle.