BloguesCyber-boom!

Manifeste du chroniqueur moyen et solitaire pour un Québec humaniste

Plusieurs amis, contacts et lecteurs m’ont demandé depuis quelques jours pourquoi je m’oppose si drastiquement à cette charte des valeurs québécoises. J’ai tenté bien des réponses intelligentes, plus ou moins réussies. Je suis un type sans manifeste –comme ma génération sans doute. Permettez-moi ce soir de publier un texte plus personnel, peut-être moins «pragmatique» et sans doute un peu plus décousu, en faisant fi des techniques de la chronique. 

Je viens d’une école de pensée qui postule que l’être humain areligieux n’existe pas. Enfin bon, je vois mes semblables un peu comme des champignons. Quelque chose qui a poussé rapidement, un peu au hasard, au gré des imprévus et des rencontres. Les champignons ont de grosses têtes, mais de si petites racines. Qui suis-je, d’où viens-je, où vais-je?… Vous connaissez la comptine… L’univers ne répond pas à ces questions. Alors on se raconte des histoires, on se donne des raisons de continuer. Elles sont politiques, idéologiques, religieuses, économiques. Il faut s’habiter soi-même, chasser le vide, ne jamais laisser le rien occuper de l’espace. Et la tête grossit, car le rien est immense.

L’humain est ainsi un être qui croit. C’est mon biais anthropologique, si je peux dire les choses ainsi. Il re-questionne toujours, il déplie et replie l’existence. Dès les premières minutes de solitude, il se crée un espace sacré à occuper. C’est ce que j’appelle «le religieux», cet espèce de domicile des aspirations humaines que diverses institutions s’emploient à investir. Ce sont les religions.

Est-ce que les religions instrumentalisent ce sentiment religieux? Oui, sans aucun doute. La religion, comme institution, est, aussi (mais pas seulement), un levier de pouvoir et de domination. Comme le sont, et au même titre, la publicité, les idéologies politiques, les médias, les relations publiques et tant de choses encore. Tout peut potentiellement servir de levier institutionnel afin de combler, pour le meilleur ou pour le pire, les aspirations humaines.

Or voilà, pour cesser cette instrumentalisation, pour permettre aux humains de vaquer en toute liberté à leurs aspirations profondes, lutter contre tel ou tel symbole, ou tel ou tel message précis, localisé et limité, ne donne absolument rien.

Ce qu’il faut, c’est donner les outils intellectuels aux individus afin qu’ils puissent s’immuniser contre ce genre d’instrumentalisation de leur potentiel croyant. Il faut leur donner les moyens de penser librement. C’est un travail long, patient, minutieux qu’il nous faut, pas une formule magique conçue pour régler un problème «une fois pour toutes».

C’est donc de rencontres et de dialogues dont nous avons besoin. Car on ne remettra pas la pâte dentifrice dans le tube. L’occident, et plus précisément le Québec, ne peut plus simplement revendiquer une unité identitaire. Nous sommes confrontés à des problèmes de diversité religieuse, de diversité idéologique, de diversité ethnique et nous devons poser le projet d’une réconciliation d’aspirations diverses. Plus jamais nous ne serons «identiques». Ce problème de la diversité est là pour demeurer. Et c’est tant mieux. C’est un beau problème. La monoculture tue les écosystèmes. Il en va de même pour les aspirations humaines. Il est certes plus facile d’arroser des rangs de légumes identiques que de veiller à la survie d’une forêt où tout peut arriver. C’est pourtant ce défi que nous devons relever.

En aparté, puisqu’à ce titre on parle tant des nouveaux arrivants, j’aimerais dire au passage que quelqu’un qui arrive ici, c’est d’abord et surtout quelqu’un qui quitte un ailleurs.

Il est illusoire et contreproductif de penser qu’il serait seulement possible, en tout cas pour une masse critique de ces «nouveaux quittants», d’intégrer à court terme dans leurs personnalités des valeurs qui leur sont étrangères et nouvelles. Un individu, un vécu humain, c’est un système vaste et complexe, forgé par une somme magistrale de faits, d’odeurs, de choses vues, entendues et ressenties, de réflexions secrètes, de pensées, accumulées depuis des milliards de secondes depuis l’enfance. Nous ignorons nous-mêmes les origines de nos pensées, apparues dès les première secondes après la naissance. Nous ne nous en souvenons même plus. De gros sabots législatifs et politiques ne peuvent rien sur ces sentiers sinueux aux détours imprévisibles. C’est du temps qu’il faut. Du temps et du dialogue. Mais du temps surtout. Et peut-être même un peu de silence. Ça ne ferait pas de tort.

Et c’est là que je m’oppose avec véhémence à cette charte bâtie à coup de pictogrammes et de spin idiot. Car c’est du bruit. Cette initiative ne donne à personne les moyens de se défendre intellectuellement, elle maintient les individus dans l’idiotie. Penser par vous-mêmes? Apprendre? Dialoguer? Allons donc! Nous n’avons pas de temps à perdre! Il y a péril en la demeure! Voici une série de petits dessins conçus comme des panneaux routiers! Ça devrait suffire.

Cette charte est une charte de l’idiotie, de la pensée en kit, une campagne publicitaire qui nie l’autonomie de pensée au profit des relations publiques. C’est un programme politique, comme il existe des programmes informatiques: insérez le CD, cliquez sur installer, ensuite «j’accepte» et ensuite «Ok», et encore «Ok» jusqu’à ce que vous voyez le message «installation terminée».

Mais je suis désolé. Les touches CTRL-ALT-DEL n’existent pas sur les claviers des consciences individuelles. On ne redémarre pas un individu. On le prend avec sa mémoire occupée et des processus actifs qu’on ne peut tout bonnement supprimer.

Qu’on me comprenne bien cependant.

Est-ce que l’État Québécois peut et doit inscrire formellement dans un texte fondamental qu’il est laïc. Je le crois sincèrement. Je signerai à deux mains cette déclaration. Il s’agit d’un phare dans le brouillard: «Regardez, ici, les lois, l’exercice de la vie parlementaire et politique ne dépendent pas des croyances de tel ou tel ou tel groupe ou ne tentent pas d’exploiter indûment le potentiel croyant des individus. Ils doivent demeurer libres de croire ce qu’ils veulent». Ce serait donc dire que le pouvoir n’a pas à leur imposer des «valeurs», qu’il lui est suffisant de statuer sur ce qui est «juste» et non sur ce qui est «bien».

Mais est-ce que l’État Québécois doit amalgamer cette proclamation de principe en sommant les citoyens à son emploi –et tous les citoyens en fait, puisqu’il s’agit de «valeurs québécoises» et non de laïcité étatique- de se fondre dans une identité commune, sous peine d’être hors la loi? Non. Jamais. D’aucune manière on ne saurait légitimer cette embuscade au sein des consciences individuelles pour défendre des murailles idéologiques.

Où aller ensuite? Il faut écrire, parler, écouter, entendre. Il faut que les enfants jouent, il faut des livres, des activités, des jeux, des places publiques, de la parole. Pas des interdictions ou des panneaux publicitaires! Nous avons un peu de fric et d’énergie à mettre pour envisager la problématique de la diversité religieuse? Investissons dans la permission! Permettons des lieux de rencontre, permettons des moments de pause, de dialogue, permettons des repas en commun, permettons de la création, permettons de rêver un peu. Permettons des programmes scolaires avec des échanges, des sorties en commun, permettons des créations, des correspondances entre les élèves.

Permettons-nous de l’inconnu au lieu de nous complaire dans l’interdit trop facile du méconnu.

Suis-je moi-même un naïf idiot utile de l’Islam ou d’un quelconque intégrisme confessionnel, comme on a pu le dire pour d’autres?

Non, je ne suis qu’un chroniqueur moyen, un peu con peut-être, mais pas idiot. Je suis profondément laïcisé, dé-ritualisé, je ne mise ma foi sur aucune institution, je tente moi-même de m’habiter et de vaquer à mes aspirations. Je doute de presque tout, surtout de moi-même. La seule chose que je sais, c’est que je ne sais à peu près rien de celui qui se tient devant moi et que je n’en sais guère plus sur celui que je vois dans le miroir tous les matins.

Et je suis convaincu que ceux qui me gouvernent, eux, n’en savent strictement rien et qu’ils n’ont pas à le savoir.

Comprenez que je ris, pour ne pas pleurer, devant leur certitude.

L’humain est le terreau de l’incertitude. De ça, je suis certain.