Hier, sur son blogue publié sur le site du Journal de Montréal, l’omnicommentatrice Lise Ravary signait une sorte de brûlot pour dénoncer le financement de trois longs métrages par la SODEC. Un texte d’une rare insignifiance cousu de sottises et de méchancetés auquel il m’apparaît important de répondre en quelques mots. Bien sûr, on se demande toujours si le silence n’est pas la meilleure réaction face au vide de l’opinion minute. Mais non, je ne m’y résous jamais. En matière de financement de la culture, il se dit tant de niaiseries menant à la désinformation pure et simple – sur des tribunes pourtant bien en vues – qu’il faut répliquer coup pour coup.
Lise Ravary donc, sur la base de courts synopsis résumant les scénarios des films – seule littérature qu’elle semble avoir fréquenté pour cerner son sujet – s’emploie à démolir le travail non encore accompli de quelques cinéastes qui ont eu la chance de voir leur projet accepté. Je la cite :
« Voici les trois derniers projets de films approuvés par la SODEC. Qui vont recevoir des fonds publics. Trois flops sont en production, grâce à l’argent des contribuables.
Si un de ces films connait un succès au box-office, je mange mon écran. Surtout Le cœur de madame Sabali : je mange alors l’écran et le clavier. »
Remarquez au passage le champ sémantique. Ce sera trois flops, c’est certain (puisqu’elle l’écrit…) et comble du malheur qui nous guette, ces productions n’atteindront pas le ciel du box-office.
Et puis quoi encore?
L’annonce du financement de ces trois films par la SODEC était pourtant on ne peut plus claire : ils ont été choisis dans le cadre du « programme d’aide en production longs métrages de fiction secteur indépendant ». Ce secteur indépendant, dans le vocabulaire de la SODEC doit être distingué du « secteur privé » dont les productions sont « généralement diffusées selon une structure de distribution commerciale ». C’est dans cette catégorie qu’on pourra retrouver d’éventuels blockbusters.
Le secteur indépendant, de son côté, s’inscrit dans une toute autre forme de mise en marché. Citons la définition de la SODEC au long (c’est moi qui souligne):
« La production indépendante est une forme de production où le créateur jouit non seulement d’un contrôle créatif complet, mais également et principalement d’une indépendance éditoriale dans la production qui fait généralement abstraction des contraintes normalement liées à la distribution et à l’exploitation commerciales des œuvres. Très souvent, le créateur agit à plusieurs titres : scénariste, réalisateur et même producteur. La distribution des productions indépendantes est généralement assurée par des réseaux différents de ceux de la production privée, soit les centres d’artistes et les distributeurs dits indépendants. Enfin, les budgets de production sont généralement modestes, et le financement est souvent complété par voie de subventions et de différés. Cette définition ne s’applique qu’aux projets de fiction (court, moyen et long métrage). »
Il suffit de trois clics sur le site de la SODEC pour consulter les documents relatifs aux programmes de financement. N’importe qui sachant lire et armé d’un ordinateur branché au web peut y parvenir. Quiconque a déjà dit bonjour à un cinéaste sait tout cela.
Et hop! Magie! Ben oui… Voilà. Il suffit ainsi de trois clics pour se rendre compte que Lise Ravary n’a jamais lu le commencement d’une ligne en matière de financement de la culture. Si elle l’avait fait, elle se serait rendu compte qu’en dénonçant ces impossibles blockbuster, elle ne faisait qu’induire ses lecteurs en erreur en se complaisant dans ses rêveries solitaires qui ne reposent sur rien, sinon ses lubies. Les films « indépendants » financés par la SODEC sont spécifiquement choisis parce qu’ils ne sont pas conçus pour être des blockbusters et ne le seront jamais. Ils pourront avoir du succès, ou pas. Certains de ces films passeront à l’histoire, d’autres seront oubliés. Rien de bien exotique au sein d’un écosystème culturel.
Certes, il pourrait être intéressant de discuter des enjeux inhérents au financement de la culture et même de critiquer, en tout ou en partie, nos politiques culturelles. C’est un sujet vaste et relativement complexe qui mérite une réflexion constante. Je ne suis pas de ceux qui considèrent que toute critique des mécanismes de subvention doit être balayée du revers de la main sous prétexte que ces acquis pour les créateurs représentent quelque chose de sacré.
Mais il y a toujours bien des torvisses de limites à sauter dans ce débat avec comme seul bagage l’insignifiance et l’inculture qui ne font qu’alimenter le mépris et la méprise. Et c’est ce qui arrive le plus souvent. Ce genre d’intervention revient périodiquement dans les médias sous la plume de scribes qui n’y connaissent rien, comme le mauvais temps et les camions qui vident les fosses septiques quand elles sont pleines.
Il faut avoir du front tout le tour de la tête pour venir s’attaquer, armé d’ignorance, à une poignée de cinéastes en qualifiant leur travail qu’on n’a jamais vu de flop assuré. C’est pire encore quand on les accuse presque de dilapider les fonds publics alors qu’on ne possède aucune notion en matière de gestion et de financement de projets culturels.
Faut-il insister? Un divan n’est pas un appareil adéquat pour analyser les politiques publiques. Lise Ravary devrait en prendre bonne note.
Pour finir, j’aimerais cependant l’inviter à respecter l’engagement périlleux qu’elle a pris envers ses lecteurs: « Si un de ces films connait un succès au box-office, je mange mon écran. Surtout Le cœur de madame Sabali: je mange alors l’écran et le clavier.»
Eh bien… Comme il semble acquis que ces films ne visent aucunement un succès au box-office, on ne peut qu’encourager madame Ravary à dévorer tout de même ses outils de travail.
Je me permets humblement d’exprimer un souhait : qu’elle commence par le clavier.
ah! lise ravary. une autre qui vit au-dessus de ses moyens intellectuels. de tels propos sont dommageables pour la société québécoise. elle s’est lâchée lousse cette semaine en participant au traditionnel sabotage du québec dans le national post: http://tinyurl.com/kmb7853 .
une prédiction: elle dira qu’on l’attaque personnellement, ce qui est faux en partant puisque tu démolis son propos, parce que l’on est pas d’accord avec elle. parce qu’elle écrit des « vérités » qui dérangent. oui, ça dérange, lise, la niaiserie me dérange en %$/%.
Réduits à quelques mots, ces synopsis ont presque toujours l’air de distiller un ennui certain. La forme ne permet pas tellement la vente de quoi que ce soit qui voudrait supposer que les choses se passeront plus dans dans les nuances des relations humaines que dans la quête en zigzag entre les bombes d’un quelconque diamant mauve aux pouvoirs magiques.
Voici le synopsis de Vic et Flo, film qui est loin de nous avoir fait honte:
«Victoria est en libération conditionnelle. Florence a terminé de purger sa peine et retrouve celle avec qui elle a partagé plus de dix ans d’intimité en cellule. Recluses dans une cabane à sucre en forêt, elles réapprennent à vivre et à apprivoiser leur liberté. Guillaume est agent de libération conditionnelle. Il écoute et observe la réinsertion des deux femmes aux ambitions et tempéraments de plus en plus différents. Traquée par des fantômes du passé, la liberté des deux femmes est gravement mise en péril.»
Incidemment, dans le débat récent sur la chute des assistances à nos films en salles, il a été particulièrement mesquin de faire porter l’odieux du phénomène aux seuls scénaristes. Ce sont les brebis d’un trop facile sacrifice (rien de neuf ici). Si on accepte cette prémisse, on doit aussi admettre que toute la chaîne de développement et de production, institutions comprises, manque de discernement et ne sait pas plus reconnaître un bon scénario que le scénariste lui-même. Dans une logique commerciale, par ailleurs, prenons acte que le film aux dents en or cette année est « Gravity » et que, pour brillante que soit sa réalisation, ce film s’est fait avec un scénario dont René Homier-Roy dirait que s’il était plus mince, on verrait au travers. La supposée panacée des «script doctors» est de l’homéopathie. Si on peut admette qu’un scénario gagne souvent à la réécriture, le bienfait des apports extérieurs qu’on lui donne ne tient pas à une «expertise en scénario», mais plus au seul fait qu’une réflexion partagée et plus profonde amène souvent le texte à plus d’universalité , ce que les auteurs souhaitent en général. Si on lit les ouvrages d’influents script doctors, on se rend vite compte qu’ils ramènent tout le monde à une variante plus ou moins personnelle d’une sauce magique qui a presque toujours les allures de la structure en trois actes qui vaut depuis Aristote. En dehors de ça, nous sommes dans le domaine indiscutablement valable d’une forme moins encadrée de la création filmique. Au chevet de ce «patient» pas toujours malade, le «docteur» ne peut qu’amener à l’auteur, comme tout le monde autour du lit, que plus d’imagination.
2 magnifiques passages dans votre texte que j’utiliserai souvent comme références ( en vous citant, évidemment ):
1. » Le silence est la meilleure réaction face au vide de l’opinion minute . »
2 . » L’Insignifiance et l’inculture qui ne font qu’alimenter le mépris et la méprise « ,
dixit – Simon Jodoin
Que cela vous plaise ou non monsieur Jodoin, madame Ravary pose le doigt sur un gros bobo sensible : les films québécois coûtent cher aux contribuables et ne rapportent que des pinottes au box-office.
Comme contribuable, je ne suis pas plus intéressé de payer pour ces productions, pas plus que je ne suis intéressé de payer indirectement le salaire d’artistes de votre genre via des subventions.
Tout d’abord que je précise que, même de nom, je ne connais aucunement Lise Ravary. Peut-être ai-je déjà lu son nom quelque part une fois – ici même sur Voir possiblement – mais autrement rien. Une totale inconnue, en ce qui me concerne.
Je viens donc tout juste d’aller lui regarder la binette sur internet. Et je confirme que la vue de sa binette ne ramène pas un iota de souvenir à la surface.
Quant à la Sodec, le nom de cet organisme m’est vaguement familier mais sans plus. Moi, c’est principalement la Socan que je connais, puisque que je suis membre de la Socan depuis avant même que la Socan ne s’appelle Socan… Soit depuis 1972.
Je suis (entre autres) notamment musicien et auteur-compositeur-interprète. Actuellement j’ai quelques chansons datant d’il y a 40 ans qui jouent à la radio à l’autre bout du monde. Au Viêt-Nam. Là où je ne connais personne… Et j’ignore par quel chemin étrange certaines de mes compositions ont fini par aboutir aussi loin d’ici.
Tout ça pour en arriver à ceci:
À ce que je comprends des divers volets de contribution auxquels participe la Sodec, celui concernant les productions indépendantes ne comporte aucune obligation de résultats financiers ni contraintes de forme ou de contenu. Ce volet permettrait ainsi l’expérimentation pure, la créativité tous azimuts. Comme l’exprime bien le titre d’une chanson de la formation 10CC «Art for Art’s Sake». Soit l’Art pour l’Art, tout simplement.
En musique, le domaine artistique à l’égard duquel je m’entends, j’ai de temps à autre moi-même écrit des trucs complètement disjonctés. Sachant en les écrivant, puis en les enregistrant, que ces pièces bizarroïdes et souvent pas écoutables ne visaient nullement le succès. Plutôt, ces assemblages sonores étaient des laboratoires. Des expériences. Et que des idées pourraient un jour en sortir pour se retrouver sous une forme utile. Et du coup venir activement contribuer à l’écriture de nouvelles chansons qui viseraient, pour leur part, un éventuel succès commercial.
Tandis qu’en musique on peut habituellement y aller d’expériences créatives très facilement, sans frais, en n’ayant besoin que de notre ingéniosité pour aller de l’avant, je soupçonne qu’il en va très différemment en matière de production cinématographique. Car des coûts viendront inévitablement s’inviter dans le processus. Et, par conséquent, pas de financement disponible pour l’expérimentation, moins d’adrénaline côté créativité future.
Il faut pouvoir mélanger le contenu de plein d’éprouvettes, des plus inoffensives aux plus toxiques, et les agiter fébrilement. Passer le tout au brûleur Bunsen et observer tout au long de l’exercice les développements puis le résultat en bout de ligne.
Par la suite, équipé de ces nouvelles connaissances, le créateur cinématographique pourra passer à la phase suivante, soit la phase commerciale si c’est son objectif. Il sera mieux outillé pour traduire sur un écran ce qui n’aura tout d’abord été qu’une idée requérant précision.
Enfin, peut-être même que ce volet concernant les productions indépendantes, ne visant aucunement la réussite commerciale, s’avère en fait le volet le plus important auquel peut s’intéresser la Sodec. Puisque, en s’y intéressant, celle-ci contribue fort probablement à attiser le feu sacré de nos plus brillants cinéastes de demain.
Mr. Jodoin, c’est drôle de vous voir insulter délicatement Lise Ravary quand vous avez complètement manqué LE point : Nous finançons des films qui n’ont aucune chance d’être rentables.
Que ça soit le parrain du fils du 4e petit boss de la SODEC qui finance en étant la « division indépendante » ou que la subvention vienne de la division générale de la SODEC importe peu, ça reste des fonds publics utilisés tout croche. C’était ce que Lise Ravary a écrit, et vous vous enfargez dans les fleurs du tapis en essayant de rectifier un fait.
Si vous voulez vraiment répliquer à Ravary, faites-le donc en justifiant les fonds utilisés pour faire des films pseudo-intello de cégépiens que personne veut voir. Pis non, nous faire « rayonner » à l’international, pour moi c’est pas une bonne raison. Si je suis pour te prêter du cash, je veux que ça me revienne en cash, pas en rayons de soleil.
Une question pour Simon Jodoin.
À partir de quel montant la dette du Québec sera devenu trop élevée pour que l’on puisse subventionner le hobby « cinéastes indépendants » ?
Il doit bien avoir une limite à partir de laquelle on se dit que l’on devra choisir où on dépense notre argent.
le commentaire suivant n’est pas d’un « dreamer » québécois, amateur des films de Carle et des autres . Il est du Dr C . Epstein, directeur , affaires culturelles, Concordia :
» sans la culture nous n’avons rien pour nous définir . »
Certains ont certainement de la difficulté à savoir qui ils sont …