Lorsque surviennent des événements assez marquants pour rompre le cours normal de la couverture de l’actualité, comme ce fut le cas lundi dernier à Saint-Jean-sur-Richelieu et le lendemain à Ottawa, il se produit un phénomène qu’on pourrait comparer à une sorte de bulle médiatique.
D’une part, la demande pour l’information monte en flèche, très rapidement. Chacun allume son téléviseur ou sa radio, se branche sur le web pour multiplier les recherches, consulter les sites des grands médias et les diverses interventions sur les plateformes sociales. On ne sait pas ce qui se passe, mais on veut savoir, le plus vite possible.
D’autre part, les informations, elles, demeurent très rares pendant une assez longue période de temps. On sait qu’il s’est passé quelque chose, mais sans plus. L’offre est pour ainsi dire nulle. Les patrons des rédactions pressent leurs troupes et envoient des journalistes en mission, sur le terrain, sur les médias sociaux, partout où il sera possible de trouver quelques pépites d’actualité. On questionne les passants, les voisins, on scrute les profils Facebook, toutes les pistes sont bonnes.
En somme, dans ces moments d’incertitude, qui peuvent durer plusieurs heures, voire même quelques jours, la demande surpasse l’offre, et de loin. Même l’information la plus banale peut alors prendre une valeur démesurée et trouver preneur. Les titres sont hautement volatiles, pour ainsi dire, et le temps compte. Tous se bousculent sur le parquet de la bourse de la nouvelle, comme des vendeurs à la criée: « Moi j’en ai, moi j’en ai, qui en veut? Moi j’en ai! ». La demande est tellement grande qu’on est même prêt à acheter du toc. Si ça brille un peu, c’est sûrement de l’or. Si on le dit.
À qui sert cet empressement? À cette question, on aime traditionnellement faire valoir le devoir d’informer et le droit à l’information. Sans doute, mais ça ne suffit pas. Car l’important, dans ces premiers instants de breaking news, c’est de profiter de ce rapport entre l’offre et la demande qui favorise ceux qui ont quelque chose à vendre.
C’est dans ces moments qu’il faut, en tant qu’acheteur d’information, être prudent. Attendre, quitte à manquer quelque chose de potentiellement sensationnel. Cesser d’acheter, carrément. Lundi soir, à 20h00, La Presse diffusait sur son site web un titre-choc: Acte terroriste à Saint-Jean: Martin « Ahmad Rouleau » affilié au djihad islamique. Une affirmation sans équivoque qui ne laisse aucun doute. Pourtant, l’article coiffé de cette certitude ne relatait qu’une série d’hypothèses non confirmées, et rien sur la notion confuse de djihad. À 20h45, ce même article changeait de titre. Martin « Ahmad » Rouleau devenait subitement -et plus sobrement- inspiré par l’islamisme radical. Disparu, le djihad et, aussi, l’affiliation. Tant mieux, ce sont des notions peu commodes à expliquer en 700 mots. Les titres sont volatiles, comme je disais.
Combien de lecteurs entre 20h00 et 20h45 ont investi dans ce titre qui s’est effondré en quelques minutes? Nul ne le sait. Ce qui est certain c’est que si on modifie un titre, c’est qu’il n’est pas tout à fait juste, qu’il y a erreur sur l’étiquette, dans les ingrédients, dans le nom du produit. C’est qu’on se rend compte que ce qui brille comme de l’or n’est peut-être qu’un caillou peint. En tout cas, il y a maldonne, sinon on ne changerait rien.
Ce n’est qu’un exemple. Il y en a mille.
On dira peut-être qu’on joue sur les mots. Mais avons-nous autre chose que des mots pour se comprendre?
De l’impossibilité de se faire rembourser
Le consommateur d’information qui voudrait tenter de remonter le fil des événements afin de comprendre à quel moment on lui a vendu tel ou tel titre peu fiable, et pour quelle raison, n’a que bien peu de moyens à sa disposition.
Il est désormais impossible de consulter les toutes premières nouvelles, publiées sur le web dès les premières minutes des événements, et de remonter ainsi le cours du récit médiatique. Les premiers textes diffusés dans les médias, rapportant les faits connus dans les premières minutes, sont sans cesse modifiés par la suite. On y fait des ajouts et des changements substantiels, sans jamais expliquer pourquoi.
Une simple recherche sur le web nous montre qu’il y avait bien un article intitulé Homme tué par des policiers à Saint-Jean-sur-Richelieu publié par le Journal de Montréal à 12h21 le 20 octobre.
Mais ce dernier a été édité à 23h31 le même jour et porte désormais le titre : Saint-Jean-sur-Richelieu: Martin Couture-Rouleau a appelé au 911 et dit qu’il «agissait au nom d’Allah
Même chose du côté de La Presse. On trouve bien via Google un article intitulé Deux militaires happés par un fuyard à Saint-Jean-sur-Richelieu, publié le 20 octobre à 12h55.
Mais il est désormais impossible de le consulter dans sa forme originale, le lien pointe maintenant vers l’article que je citais plus haut : Acte terroriste à Saint-Jean: Martin «Ahmad» Rouleau inspiré par l’islamisme radical.
C’est pourtant ces premiers titres qu’on a mis en vente. Où sont-ils aujourd’hui?
Par quels procédés ces récits médiatiques ont-ils été construits? Avec combien de corrections plus ou moins importantes? Au prix de quelles confusions? Quelle est la différence entre être « affilié au djihad » et être « inspiré par l’islamisme radical »? Peut-on nous l’expliquer? Le lecteur qui se dirait: « j’avais pourtant bien lu ça quelque part » en cherchant un titre qu’il aurait acheté plus tôt se trouverait bien désemparé. C’est un peu comme si on modifiait, à son insu, son portefeuille d’investissement. Il ne peut, en fin de compte, que consulter un récit parfait, parachevé, et s’en contenter. « À ce moment-là, vous m’aviez pourtant dit que… », « C’est ce que j’avais acheté, pourquoi n’est-ce plus la même chose? » et autres interrogations du genre ne sont tout bonnement plus possibles. On vous fournit un rapport final, ne vous souciez pas des transactions effectuées dans votre compte pour y parvenir.
Les petits revendeurs
Dans tous les cas, lorsque que les titres du breaking news s’enflamment, ceux dont il faut se méfier en premier lieu, ce sont les petits revendeurs. Ceux qui ont acheté des petits lots d’informations dès les premières minutes et tentent de se faire un petit pécule en les revendant à la pièce, rapidement, à quelques acheteurs naïfs et mal informés. Ces derniers travaillent le plus souvent pour leur profit personnel. Ils peuvent vous passer n’importe quoi. Ils ont aussi quelques vieilles breloques qu’ils n’ont pas réussi à écouler la dernière fois que la bourse s’est enflammée et sont bien enclins à saisir l’occasion pour vous les passer au rabais.
Les plus connus sévissent dans des médias reconnus. Ce sont les plus dangereux, car cette affiliation leur permet de se dissimuler parmi des agents fiables qui même, parfois, les protègent. Dans les quelques heures qui ont suivi les événements de Saint-Jean, par exemple, une chroniqueuse du Journal de Montréal pouvait dresser un portrait en cent mots de Martin Couture-Rouleau, tirant des conclusions sur ses motivations. Au nom d’Allah, affirmait-elle, et ça suffisait pour raconter en cinq phrases l’histoire d’un type qu’elle n’avait jamais vu et sur laquelle elle ne reviendra jamais. Un autre, qui manie au sein du même média le porte-voix avec la finesse d’une scie mécanique criait sur tous les toits: « Ce qui s’est passé à St-Jean-sur-Richelieu est un ATTENTAT TERRORISTE COMMIS AU NOM DE L’ISLAM. Point final. » Remarquons ici le « point final » à la fois suffisant et triomphant, du genre: « n’allez rien acheter ailleurs surtout, j’ai de la coke coupée 14 fois à vous vendre et JE VOUS JURE QU’ELLE EST BONNE ». Un autre s’employait à tenter de faire valoir son expertise en géopolitique en dénonçant l’incubateur à djihadistes qu’est devenu le Québec, ce qu’il savait depuis longtemps, certainement. « Tôt ou tard, cela devait arriver », nous expliquait-il en toute confiance tout en appelant en premier lieu à « une révision et un resserrement de nos politiques d’immigration ». Malheureusement, ceux qui ont acheté cette herbe de mauvaise qualité auraient mieux fait d’acheter du persil. On savait déjà, au moment où il écrivait ces lignes, qu’il n’y a pas de douane entre le Canada et… le Canada.
À la suite de ces revendeurs viennent les petits pushers du coin de la rue. Ceux qui n’ont pas le budget pour acheter de grandes quantités, mais tentent de survivre en revendant quelques grammes achetés pour consommation personnelle au profit de leur personal branding. Ils se tiennent dans les lieux publics, prêts à retweeter et repartager tout ce qu’ils trouvent. Certains ont des blogues, d’autres retweetent en masse ou tapissent leur page Facebook de tout ce qu’ils trouvent. Là, c’est comme au parc, l’important est d’être le premier à interpeller le passant avide de sensations fortes. Pour éviter d’être assailli par les revendeurs de camelote, vaut mieux éviter ces endroits.
Quand la tempête se calme
Ceux qui auront été assez prudents pour ne pas bousiller leur fortune dès les premières heures pourront éventuellement faire de bonnes affaires très rentables. C’est que le temps passant, la demande d’information devrait baisser tandis que l’offre, elle, augmentera.
Nous y arrivons lentement, d’ailleurs. Le public acheteur d’information a déjà considérablement détourné son attention vers d’autres sujets et nous disposons de plus en plus d’informations pour offrir certaines garanties. Déjà, samedi soir, nous pouvions en savoir un peu plus sur les motivations de Michael Zehaf-Bibeau pour ce qui concerne la fusillade à Ottawa. De quoi relativiser, un peu, le complot terroriste. De même, dans les derniers jours, on a pu dresser un portrait plus complet de Martin Couture-Rouleau et comprendre un peu mieux son adhésion à l’idéologie islamiste et sa détresse personnelle. La valeur des analyses devrait considérablement augmenter, mais plus lentement.
Les jours qui suivront seront un bon moment pour investir dans le récit médiatique. Ceux qui n’ont pas gaspillé tous leurs sous, et leur salive, dans des affaires risquées s’en féliciteront. Les autres risquent de faire faillite, comme disait le poète.
Pour avoir tenu des chroniques dans quelques publications durant des années, je sais qu’un titre est un élément fondamental. Ce qui coiffe le propos se doit d’annoncer la suite, de susciter l’intérêt immédiat. Un titre doit être «accrocheur» mais pas «racoleur», et encore moins «menteur».
Or, s’il y a une chose qui me fatigue énormément dans les médias – et cela depuis toujours – c’est l’incompétence ou le laxisme de trop de titreurs. Ce n’est pas nécessairement le journaliste qu’il faut pointer du doigt lorsque l’emballage est mal étiqueté.
De bons titreurs, voilà ce dont il nous faudrait davantage. Mais il s’agit à mon avis d’une denrée rare. Et cette pénurie est un peu le talon d’Achille de médias mal gréés à cet égard.
le récit de radio-canada: http://tinyurl.com/n47zx7v
« Tout s’est passé très vite et Zehaf-Bibeau, pourchassé par des policiers et des gardiens, a pu se rendre, sans échange de coups de feu, jusqu’au bout du corridor. (…) Dans un geste héroïque, M. Vickers s’est jeté par terre et, en tournant sur lui-même, a fait feu à quelques reprises sur le suspect. Michael Zehaf-Bibeau est tombé au sol, M. Vickers a fini de vider son chargeur sur lui. »
le récit du même événement, dans le devoir: ttp://tinyurl.com/kn8xsjo
« Michael Zehaf Bibeau a poursuivi son chemin sur plusieurs mètres dans le hall d’honneur malgré les nombreuses balles qu’il encaissait. Une fois arrivé tout près de la porte de la bibliothèque du Parlement, le tireur s’est blotti derrière une colonne. C’est là qu’il a été finalement atteint mortellement par M. Vickers. Son corps avait alors déjà été criblé de balles. On ignore précisément comment il a pu rester debout malgré les blessures infligées par les gardes de sécurité. »
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au moins une des deux histoires est fausse. laquelle? celle qui provient d’un media dont la mission est de promouvoir les institutions canadiennes ou bien celle qui provient d’un journal indépendant?