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À mes amis travailleurs culturels: Où est Charlie?

C’était le 7 janvier dernier.

Je vous ai tous vu, à cette occasion, arborer le logo #hashtag de la liberté. #JeSuisCharlie disiez-vous. Contre un ennemi facilement identifiable, foncé et bougnoule, il n’y avait aucune discussion possible. La liberté, vous disiez, la presse libre, le droit fondamental de ne pas obéir, de ne pas se soumettre. C’était le gros truc : Le droit d’écrire ce que l’on veut, le droit de dessiner, le droit de dire, le droit de publier. C’était le slogan de l’heure.

La semaine suivante tout était revenu à la normale. C’était vous, mes contacts relationnistes, habitués de ma boîte vocale et de mon courriel, spinneux culturels de la relation médiatique qui recommenciez le même boulot. Il vous fallait la première page, un article au minimum, votre artiste en entrevue. Vous étiez sans aucune timidité dans votre discours. Je vous cite, texto ou presque : « nous aimerions faire la promotion de notre production dans vos pages, pourriez-vous parler de nous? »

Je sais ce que je vous ai répondu. Je le sais par cœur. Je vous disais que la promotion de votre cossin, je comprends. Je vous disais qu’on pourrait même jouer ce jeu, mettons, que nous sommes liés dans une sorte d’écosystème de la survie. Je comprenais que vous aviez besoin de nous pour parler de vous. Je vous disais que nous avions besoin de vous pour parler de vous. Je vous disais que la presse indépendante, une équipe de rédaction, encore faut-il avoir les moyens de la payer. Cette idée semblait vous étonner au plus haut point. Ben quoi? C’est pas gratuit?

Et nous parlons ici de théâtres et de créateurs très à gauche, même pas timides de me répondre que puisque nous mettions leur production en première page, il ne leur semblait pas judicieux d’acheter de la publicité. On parle ici d’étiquettes de disques très très à gauche, qui insistent pour qu’en faisant jouer un vidéoclip sur notre site, nous utilisions le machin de YouTube, propriété de Google, monopole médiatique mondial qui, du coup, peut placer à l’œil de la publicité qui se paie à la cenne sur nos plateformes. Je vous ai expliqué que ce machin de Youtube/Google n’écrivait pas des articles sur vous, ne mettait pas des milliers de dollars en salaire de journalistes pour parler de vous. Vous n’y aviez pas pensé et ça vous laissait de glace. Ouais, bon, mais c’est du gratuit.

Je passe sur tout le reste. Vous m’avez dit que si vous ne faisiez pas la première page du Voir, vous alliez retirer vos publicités. Vous m’avez aussi dit que comme vous étiez en première page, vous n’alliez pas faire de publicité. J’ai entendu toutes les variantes de ces discours jusqu’à plus soif. Du gratuit, encore.

Pourtant, je ne rêve pas. Vous aviez bien le logo de la liberté d’expression et de presse en pleine face pour faire le machin sensation de l’heure dans l’actualité. #JeSuisCharlie que vous disiez. Vous en étiez devenus tous pareils, tous unis pour une fois. Contre des assassins, ça marche. Mais qui, au juste, nous assassine?

Le machin logo comme image de profil, vous tous, attachés de presse, artistes, producteurs, diffuseurs, vous étiez unanimes : Il faut défendre la liberté!

Et le lendemain, vous faisiez quoi? Vous achetiez comme d’habitude votre pub sur Facebook ou sur Google en me gossant pour avoir la page couverture et en envoyant presque promener nos représentants des ventes. Comme si c’était gratuit.

Comme si tout était gratuit.

Comme si la liberté était gratuite.

Comme si nous étions gratuits.

La liberté, répétez après moi, c’est gratuit. Qui veut payer pour ça?

Je ne suis même pas fâché. Je sais. Ce qu’on a appelé la crise des médias, de manière un peu égoïste, c’est une crise de la culture. Notre liberté de dire est peut-être aussi menacée que la vôtre. Nous avons tous la chienne. En ce platte pays qui est le mien, où deux empires médiatiques convergent l’un contre l’autre, que vaut au juste une presse alternative?

Et je sais, parce que vous me le dites tous les jours, que le peu de financement que vous pouvez retirer de l’État, vous l’obtenez parce que vous pouvez soumettre des dossiers de presse où, encore une fois, nous parlons de vous. Ce genre de financement, je le défendrai toujours, mais nous, nous n’y avons pas droit.

Mais bon, c’est gratuit.

Mais je vous le demande, amis, travailleurs culturels.

Charlie, que vous portiez comme un écusson à la mode, il est où maintenant?

Est-il caché dans une publicité Google ou Facebook?

Dites-moi… Parce que moi, je ne le vois plus et j’aimerais jouer avec vous à le trouver.