Aujourd’hui, le Journal de Montréal nous annonçait qu’en prévision des perturbations sociales annoncées depuis quelques semaines par diverses associations étudiantes, certains opposants à la grève préparaient leur riposte.
« Grève étudiante : les opposants fourbissent leurs armes », pouvait-on lire en tête d’un article qui relate, grosso modo, les actions mises en place par la Fondation 1625 dont Jean-François Morasse, bien connu pour sa poursuite contre Gabriel Nadeau-Dubois, est le porte-parole. On rappelle, sans grande nouveauté, les fameux « kits d’injonctions » qui seront mis à la disposition des étudiants qui se sentent lésés par ces actions de perturbation et qui souhaitent entreprendre des actions légales pour faire valoir leurs droits.
Or, ce qui est intéressant pour le lecteur, c’est la photo qui coiffe cet article. Observons là un instant.
On y voit quelques étudiants qui manifestent. Pourquoi? Où? Allez savoir. Selon ce qu’on peut voir, il s’agit d’une manifestation qui a un certain rapport avec l’éducation, puisqu’on peut lire sur les pancartes « j’aime l’école », « on veut étudier » et autres slogans du genre. On pourrait croire que cette photo nous montre des étudiants qui font partie des opposants à la grève et qui fourbissent leur armes puisque c’est en substance le sujet de l’article qu’on nous présente.
Mais une pancarte, bien visible, au centre de l’image, affiche un slogan particulier : « On est dans le rouge ».
D’où vient donc cette photo signée « Agence QMI »? Pour répondre à cette question, on trouve un indice sur le bâtiment, derrière les manifestants. L’adresse indiquée est le 445 boul. de l’Université. Cette adresse renvoie à l’UQAT, l’Université du Québec en Abitibi-Témiscaminque, à Rouyn-Noranda.
Une photo fort semblable, manifestement prise à la même occasion, illustrait, en octobre 2012, un article de l’hebdo régional La Frontière faisant mention du piquetage d’une trentaine d’étudiants à l’UQAT qui s’opposaient à la hausse des frais de scolarité.
Or, pourquoi avoir choisi cette photo en particulier pour coiffer cet article sur l’opposition à la grève? Il existe beaucoup de photos des « carrés verts » qui manifestaient contre les « carrés rouges ». Jean-François Morasse, qu’on cite abondamment dans l’article est aussi une figure assez connue. Si on voulait illustrer les grèves étudiantes, il existe des centaines et des centaines de photos de manifestations spectaculaires. Pourquoi avoir choisi cette photo en particulier? Que nous dit-elle que d’autres photos ne nous disent pas?
On pourrait émettre l’hypothèse que le message qu’on souhaite ici véhiculer se trouve justement sur la pancarte rouge tenue par l’étudiant au centre : « On est dans le rouge ».
Or, ce message se trouve à être exactement le même que celui véhiculé par le Journal de Montréal depuis plusieurs mois à propos de la situation financière du Québec et qui coiffe la plupart de ses « dossiers » à ce sujet. Un slogan facile à comprendre, qui frappe, et qui cherche à convaincre avant même de vous informer.
Il s’agirait ainsi d’une sorte de journaldemontréalisation du débat public, un mécanisme de communication par lequel on tente de nous convaincre du bien-fondé du pari sur lequel repose la couverture médiatique du quotidien populiste bien connu. Plus encore, ce mécanisme permettrait peut-être de faire valoir que les opposants aux grèves étudiantes épousent, pour l’essentiel, les slogans du média qui rapporte l’information.
Il ne s’agit bien sûr que d’une hypothèse. Mais admettons tout de même que d’aller chercher une image aux confins des archives, mettant en scène une poignée de manifestants qui faisaient du piquetage il y a trois ans à Rouyn, ce serait un hasard pour le moins déconcertant et un drôle de choix éditorial alors que l’objectif est d’illustrer l’opposition actuelle à la reprise des contestations étudiantes.
Car un fait demeure, inaltérable: Ceux qu’on voit sur la photo, prise en 2012, n’ont rien à voir avec l’opposition actuelle aux grèves étudiantes. Bien au contraire, ils faisaient du piquetage à l’époque et s’opposaient aux hausses des droits de scolarité.
Que viennent-ils faire au juste dans cet article?
Quoi qu’il en soit, en tout cas, le lecteur inattentif sera mis devant deux messages complémentaires qu’on souhaite qu’il comprenne : « Les opposants se préparent » et « On est dans le rouge », ce qui recoupe intégralement et parfaitement le message que souhaite passer le Journal de Montréal, d’une part en rapportant une information, d’autre part en faisant valoir la justesse de son pari éditorial.
Il y a des hasards, comme ça, qu’on ne pourrait pas inventer.