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Le scandale comme carburant médiatique: et si tout n’allait pas si mal?

Le 20 mai 2011, l’agence Reuters rapportait que Dominique Strauss-Khan était plus fort que Ben Laden dans les médias français. Nous étions au commencement de ce qui allait devenir « l’affaire DSK », alors que que le populaire politicien était accusé d’agression sexuelle par une femme de chambre dans un hôtel Sofitel de New York.

Il vaut la peine de relire ensemble ce que disait la nouvelle rapportée par Reuters à l’époque. Je vous retrouve juste en bas de la citation.

Strauss-Kahn plus fort que Ben Laden dans les médias français

LES MAGAZINES D’INFO FONT UN CARTON

Selon Mediamétrie, le magazine, qui avait pour thème « DSK, l’heure de vérité », a réuni plus de 1,7 million de téléspectateurs en moyenne entre 17 h 50 et 18 h 55, soit 14,9 % de parts d’audience.

France 5 était alors la deuxième chaîne la plus regardée en France, talonnant même la chaîne star TF1, puisque seulement 200.000 téléspectateurs séparaient le magazine d’Yves Calvi et la série « Les Experts : Miami », souligne le site spécialisé OZAP.

Plus tard, le journal de 20 h de Laurence Ferrari sur TF1, en baisse depuis plusieurs mois, a retrouvé une forte audience.

L’édition spéciale DSK, prolongée de 40 minutes pour suivre l’audience à New York, a réuni en moyenne près de 7 millions de téléspectateurs (28,3 %), selon Mediamétrie.

Mais l’émission spéciale de France 2 « DSK : et après… » jeudi soir a très bien fonctionné, réunissant en moyenne près de 4,7 millions de téléspectateurs dans la soirée.

Au début de la semaine, l’affaire DSK avait surtout gonflé les audiences des magazines d’information.

« Ce Soir (Ou Jamais!) » de lundi soir sur France 3, avait ainsi enregistré son meilleur score depuis la création de l’émission, avec 1,1 million de téléspectateurs et une part d’audience de 12,3 %.

« Mots Croisés », diffusé sur France 2, affichait sa meilleure audience de l’année, avec 2,1 millions de téléspectateurs et 15,3 % d’audience.

Source: http://fr.reuters.com/article/topNews/idFRPAE74J0I520110520?pageNumber=2&virtualBrandChannel=0

 

Il n’y avait là rien de bien neuf, mais d’aussi loin que je me souvienne, c’est à la lecture de cette nouvelle que j’ai pris conscience d’un fait médiatique de première importance: Le scandale, c’est payant.

Certes, il y avait bien des exemples. Notamment dans notre culture populaire locale, ces fameux trois S fondateurs du Journal de Montréal : Sexe, Sang, Sport. Remarquez que tout ça est un peu passé dans le folklore. On retrouve un peu partout, même en Europe, ces références à ces fameux « S », auxquels on ajoute parfois un 4e, le Showbizz. Quoi qu’il en soit, acceptons au moins que le scandale domine tous les S du champ sémantique économique des médias comme nous pouvons l’entrevoir dans l’affaire DSK. Grâce au scandale, les journaux et magazines augmentent leurs tirages, les émissions télévisées augmentent leur part de marché. Bref, ça se vend bien, c’est un produit payant.

Et c’est ainsi qu’une question apparaît : Et si tout n’allait pas si mal?

C’est une question qui pourra sembler triviale, mais acceptons au moins de risquer l’hypothèse suivante: dans un contexte économique et technologique où les médias traditionnels peinent à conserver leurs parts de marché (quand ce n’est pas leur modèle d’affaires qui est tout bonnement remis en question), se pourrait-il que le scandale soit désormais un produit qui se fabrique à la chaîne? Se pourrait-il qu’il faille chaque jour en vendre un nouveau, comme on propose le rabais quotidien ou l’aubaine de la semaine dans certains commerces? Se pourrait-il qu’on soit même tenté d’en inventer, un peu?

Au moins, deux idées permettent une réflexion à ce sujet.

D’abord, la culture du « débat ». La recette est simple: on propose à un chroniqueur de se prononcer rapidement sur une question trouvée la veille ou au petit matin. Plus il est campé idéologiquement dans ses certitudes, meilleurs seront les retombées, comme les premiers fruits qu’on ramasse mûrs. Un autre, issu du camp adverse, tout aussi habité par ses convictions, devra aussi se prononcer sur le même sujet. Par ce genre d’antagonisme, on distille un élixir d’une grande valeur qu’on appelle « débat de société » que chacun doit consommer dans l’urgence, avant même de prendre connaissance des faits qui permettent d’aborder un phénomène social ou naturel. Ceux qui s’abstiendraient de boire cette absinthe de la polémique seraient suspectés de se désintéresser de la chose publique, la res publica, ce qui devrait les obliger à renoncer à leur participation à la conversation démocratique. Quoi, vous n’avez pas entendu Lise Ravary contre Gabriel Nadeau-Dubois ce matin? Mais comment pouvez-vous alors prendre part au débat qui nous occupe?

Ensuite, il faut considérer ce que j’appellerais l’économie du « like », ou la bourse des médias sociaux. Alors que les relations sociales deviennent « médias », tous doivent choisir quotidiennement le scandale au goût du jour afin de s’inscrire dans cette nouvelle empreinte médiatique. Un jour, ce sera telle ou telle bévue policière, un autre, ce sera tel ou tel mot mal placé par un politicien, la veille, c’était la révolte masquée dans un corridor d’un établissement dont on a oublié le nom, le lendemain il sera question de l’anarchisme-utérin qui se dévoile la poitrine devant tel ou tel discours d’une ministre — qui disait quoi au juste? Après-demain, ce sera autre chose. Nous sommes devenus un carburant qu’il suffit d’allumer. Et les médias l’ont bien compris. Il ne suffit plus d’augmenter le tirage, il faut susciter le partage et la participation à l’indignation soudaine.

Bref, nous sommes tous désormais des ingrédients actifs du scandale. Nous devons nous vendre à titre personnel, se mettre en valeur, prendre position aussi souvent que possible, par un like, par un statut, par un partage, tout en moussant un scandale médiatique au goût du jour, sans réel engagement. Tout se passe en surface, sur la toile.

Il faudrait sans doute considérer d’autres aspects de notre vie médiatique, mais ces deux idées, la culture du débat quotidien et sa transposition dans la sphère médiatique sociale, sont aujourd’hui les carburants du moteur à explosion du scandale : d’un côté, on allume le débat, de l’autre, on l’alimente.

Tout ceci considéré, une question se pose tout de même: à qui profite toute cette énergie déployée? Est-ce vraiment le véhicule démocratique qui est en marche ou sommes-nous devant une machine médiatique qui tente de simuler le mouvement perpétuel? Quand réfléchissons-nous vraiment? À la lumière de quels faits exposés et expliqués pour que nous puissions les comprendre?

Encore une fois, nous n’avons qu’une saisie médiatique du monde. Et si cette dernière n’est que l’effet d’une économie du scandale, se pourrait-il que la réalité ne soit pas si scandaleuse qu’on nous les présente? Osons au moins la question: et si tout n’allait pas si mal?