BloguesCyber-boom!

Stephen Harper et la taxe Netflix

Stephen-Harper-Netflix-header

Le premier ministre Stephen Harper a fait un peu sensation mercredi soir dernier en publiant sur les médias sociaux un message et une vidéo pour annoncer que, contrairement à ses opposants, il n’allait pas imposer de « Taxe Netflix ».

Stephen-Harper-Netflix

Ce ballon a été vite dégonflé. D’abord par François Messier et Marc-Antoine Ménard à Radio-Canada. Dans les faits, aucun parti n’a proposé une telle taxe. C’est une tactique connue, « à la limite de la désinformation » comme l’a souligné Alec Castonguay sur les ondes de RDI. Parlons du sophisme de l’homme de paille: on présente une déclaration erronée, on l’attribue à un adversaire qui n’en a jamais parlé et on se pose ensuite, avec un argument facile, comme détenteur de la solution à un problème qui n’a jamais existé ou qui est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît.

Et c’est bien le cas ici. Réduit à la simple caricature, la question de la diffusion des contenus numériques telle que présentée par le premier ministre se résume au simple plaisir d’écouter Breaking Bad et de ne surtout pas payer plus cher pour ce faire.

Ce n’est pas par hasard si le premier ministre se contente de nommer deux compagnies, Netflix et YouTube (Google), allant même jusqu’à poser devant le logo géant de la première qu’on nous balance comme fond de scène pour bien marquer le coup. Ce sont certes les plus connues, très populaires auprès du public numérique, mais ce sont aussi ces deux mêmes compagnies qui se retrouvaient face au CRTC pas plus tard que l’automne dernier dans le cadre de consultations sur l’avenir de la télédiffusion.

Le citoyen-téléspectateur a sans doute plus suivi les séries comme Breaking Bad que l’actualité concernant ces consultations. Il n’est donc pas inutile de rappeler que ces deux sociétés, des géants mondiaux qui font des affaires au pays, ont tout bonnement soutenu qu’elles n’avaient pas à se soumettre aux réglementations en vigueur au Canada, et, donc, aux règles fiscales locales, et encore moins à remettre des documents permettant d’établir le nombre de leurs abonnés, leurs prévisions de croissance publicitaire et leurs plans d’investissement pour développer des productions canadiennes.

Nous sommes donc devant une situation pour le moins problématique: des compagnies détenues par des intérêts étrangers concurrencent directement des producteurs et distributeurs locaux qui, eux, doivent se soumettre aux règles en vigueur pour ces secteurs d’activité.

Aller parler de « taxe Netflix » pour résumer cette problématique complexe en la réduisant, avec une désinvolture qui frôle la bouffonnerie, au bonheur de ne pas payer plus cher pour écouter Breaking Bad, c’est tout simplement cacher volontairement des faits et manipuler l’opinion publique.

Ces questions qui concernent la diffusion numérique traversent de bout en bout le territoire médiatique local. Google est devenu un quasi-monopole mondial qui a fait fondre les revenus publicitaires des médias locaux. Netflix s’impose de plus en plus comme un joueur incontournable à l’échelle de la planète. Il en va de même pour Facebook et Amazon. C’est un sujet vaste et complexe – compliqué même – qui concerne la souveraineté culturelle, la création et la diffusion de contenus, la liberté de presse, la mise en marché de produits culturels et nos possibilités de développement dans ces secteurs d’activité. Réduire ou simplifier à outrance cette problématique, c’est choisir de mentir.

Je souligne au passage que même les sociétés d’État, par le biais d’agences publicitaires qui se graissent le coude au passage, se tournent vers ces plateformes pour annoncer, tuant à petit feu le terroir médiatique et culturel, ce qui est une honte.

S’il fallait transposer le portait de la situation médiatique et culturelle contemporaine dans le domaine des ressources naturelles, il faudrait parler de coupe à blanc sans aucun paiement de redevances, en faisant fi des écosystèmes en place. Tassez-vous, nous on pompe!

Et pour une des rares fois qu’on parlera de culture et de médias dans un contexte électoral, que vient nous dire le premier ministre Stephen Harper?

Que Breaking Bad c’est vraiment très bon et que ça ne coûtera pas plus cher grâce à lui?

Quel courage! Quel esprit d’aventure! Voilà un grand patriote qui vient de planter un drapeau étranger sur la pointe d’un iceberg en train de fondre. Un héros, vraiment.

Au fait… On a appris mardi que la Russie revendique devant les Nations unies la souveraineté sur plus d’un million de kilomètres carrés dans l’Arctique.

J’attends avec impatience la série télé pour connaître la position du premier ministre à ce sujet.