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Rapport Payette sur l’information à Québec: Un exercice raté

Je ne reviendrai pas sur tout ce qui a été dit sur ce fameux rapport sur les médias de Québec, L’information à Québec, un enjeu capital, publié cette semaine par Dominique Payette à la demande de Pauline Marois. Ma position sur la démagogie et les propos à l’emporte-pièce de quelques animateurs de radio de la capitale est connue et la désinvolture naïve de certains commentateurs qui jouent à ma gauche pisse plus loin que ta droite ne m’étonne plus, au point de me lasser. De manière générale, les opinions publiées par Paul Journet et Yves Boisvert à La Presse rejoignent suffisamment le fond de ma pensée pour qu’il m’apparaisse inutile de répéter leurs propos.

Cependant, il me semble qu’au chapitre des recommandations qu’on trouve dans ce rapport, quelques points méritent d’être soulignés et débattus. Plusieurs problèmes semblent avoir été négligés par Dominique Payette, ce qui remet en question la crédibilité de son étude et le sérieux de son travail.

La mission et les pouvoirs du Conseil de presse du Québec

Parmi les recommandations énoncées en conclusion, on en trouve deux en particulier qui concernent le Conseil de presse du Québec (CPQ). La première voulant que l’adhésion à ce dernier soit obligatoire pour toutes les entreprises de presse, la seconde proposant que l’organisme soit habileté à donner des sanctions assorties d’amendes « suffisantes pour modifier les attitudes et les propos en ondes ».

Comment peut-on proposer de telles solutions sans prendre en compte les problèmes inhérents au Conseil de presse lui-même et sans mentionner les nombreux doutes quant à son impartialité qui ont été pointés pas plus tard que cette année, alors que Mme Payette était occupée à rédiger son rapport.

Il est pourtant connu qu’en mars 2015, le journaliste Daniel Renaud, membre du comité d’appel à titre de représentant de la fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) démissionnait de son poste au CPQ, en questionnant l’impartialité du processus de traitement des plaintes.

« La dernière séance, tenue le 25 mars, écrivait-il dans une lettre qu’on peut toujours trouver sur le site de la FPJQ, a confirmé un constat que j’avais commencé à dresser depuis les derniers mois; que l’on cherche parfois à prendre les journalistes et les médias en défaut, à laver plus blanc que blanc, sans s’arrêter uniquement aux faits, et que le processus de traitement d’une plainte en appel peut être biaisé et partial, le rendant ainsi futile (…) » [Lettre de démission de Daniel Renaud au CPQ, 30 avril 2015]

Du même souffle, il dénonçait les interventions de Guy Amiot, secrétaire général du CPQ, qui interviendrait à toutes les étapes du processus. Ces propos méritent ici d’être rapportés.

« (…) je m’interroge également sur la part active que prend notre directeur général, M. Guy Amyot, à la discussion. Ce dernier n’a pas droit de vote, pourtant il s’exprime régulièrement plus activement que des membres des comités, pouvant influencer leur décision ou carrément contaminer le processus en appel puisqu’il a déjà fait tout l’exercice en première instance. (…) »

« Je comprends que les membres du comité d’appel doivent baser leur décision sur la preuve principalement recueillie avant le jugement de première instance. Cependant, on ne devrait pas retrouver à la table de discussion du comité d’appel une personne, d’autant plus si elle est influente, qui a pris part aux discussions de première instance. On se plaît souvent à comparer la structure du Conseil avec celle des tribunaux. On ne verrait jamais un juge de la Cour du Québec prendre part aux réflexions de ses homologues de la Cour d’appel en cas de contestation de son jugement. »

Il faut quand même voir ici un problème de fond, soit qu’un membre représentant de la FPJQ a jugé que le processus de plainte du CPQ ne permet pas de garantir l’impartialité et peut même parfois reposer sur des « idées préconçues » et des « préjugés ». Notons aussi qu’avant de siéger à la commission d’appel, Daniel Renaud était membre du conseil d’administration du CPQ en tant que représentant journaliste de la FPJQ.

Toujours en mois de mars, c’est Radio-Canada qui remettait en question, dans une tout autre affaire, l’impartialité du secrétaire général, qui serait intervenu dans le traitement d’une plainte à propos d’un reportage d’Enquête sur le financement illégal du Parti Québécois par le mari de Pauline Marois, Claude Blanchet. Or, la sœur de Guy Amyot, France Amyot, était à l’époque directrice de cabinet de Stéphane Bédard, chef par intérim du Parti Québécois. Sans se prononcer spécifiquement sur cette affaire, on peut constater une situation d’apparence de conflit d’intérêts qui serait inadmissible dans le cadre d’un tribunal auquel les médias seraient obligatoirement soumis et passibles d’amendes dissuasives.

Si on peut très bien comprendre que le public s’intéresse peu à ces querelles internes, on peut certainement sourciller lorsqu’une chercheuse universitaire, experte dans le domaine des médias, lance tout bonnement de telles recommandations sans souligner nulle part dans son rapport que le CPQ, avant qu’on lui confie quelque pouvoir supplémentaire que ce soit, devrait lui-même être soumis à un sérieux examen sinon à une restructuration de fond en comble.

Définition du journalisme

Autre problème important, Dominique Payette semble vouloir soumettre à ce genre de tribunal, sans proposer aucune distinction, toute personne qui traite de l’actualité sur les ondes d’une station de radio, comme en témoigne le passage suivant de son rapport :

« Le Conseil de presse du Québec continue de recevoir les plaintes que les auditeurs lui adressent concernant le traitement de l’actualité dans ces médias comme dans le reste de la presse québécoise, et sur la même base, que ces médias soient membres ou non. “Nous ne sommes pas des journalistes”, répliquent souvent les animateurs des radios de Québec. Pourtant, traiter d’actualité sur les ondes d’une station de radio, c’est du journalisme. Si on le fait sans respecter les codes et guides de déontologie de la profession, c’est du mauvais journalisme, mais c’est encore du journalisme. Journalisme d’opinion, commentaires, éditoriaux, toutes ces activités sont des genres journalistiques, définies, encadrés et régis par le Conseil de presse du Québec. » [L’information à Québec, un enjeu capital, P. 28]

« Traiter d’actualité sur les ondes d’une station de radio, c’est du journalisme. » Cette phrase apparaît même en exergue, bien en vue, à la page 28 de son rapport. Voilà qui est pour le moins curieux et semble faire fi d’un débat de fond qui occupe les observateurs des médias depuis plusieurs années.

C’est faire bien rapidement l’économie de toute une problématique et éviter un état de la question qui serait long à dresser. Il suffit de penser au débat sur Jean-René Dufort et Patrick Masbourian qui, en 1998 alors qu’ils œuvraient à La fin du monde est à sept heures, se voyaient refuser le statut de membre à la FPJQ. Infoman, incarné aujourd’hui par ce même Jean-René Dufort, a hérité du même problème qui est encore apparu pas plus tard que l’an dernier dans un conflit avec l’ombudsman de Radio-Canada. Information ou divertissement? Et à tout prendre, que faut-il faire des joyeux drilles de La soirée est encore jeune, qui traitent semaine après semaine d’actualité? Et Laflaque? Et tel ou tel animateur radio qui fait une blague sur l’actualité entre deux chansons? Du journalisme encore? Dans quelle case faut-il ranger les chroniques en chanson de Mononc’ Serge, traitant elles aussi de l’actualité que nous diffusons sur voir.ca? Il n’y a pas de réponse simple à ces questions. Or, Dominique Payette semble considérer que 12 mots suffisent pour trancher la question.

On ne peut éviter toutes ces discussions en statuant, tout bonnement que « traiter d’actualité sur les ondes » suffit pour identifier la spécificité du journalisme et que, ainsi, tous ceux qui s’adonnent à cette pratique devraient être jugés par la même instance à l’aune des mêmes statuts et règlements.

Envisager les choses ainsi, c’est tout bonnement du simplisme et on aurait été en droit de s’attendre à autre chose d’une étude chèrement payée et exécutée par une chercheuse dans un cadre universitaire. Il y aurait toute une thèse à faire à ce sujet avant de risquer de pareilles avancées qui ne reposent sur aucun état de la question et qui ne formulent aucune hypothèse digne de ce nom.

En conclusion, en ce qui concerne ces recommandations et la définition du journalisme, ce rapport ne fait au fond que défoncer des portes ouvertes tout en en refermant d’autres derrière lesquelles se cache une vaste problématique qu’il faudra bien affronter un jour. Sans compter que plusieurs autres questions ne sont même pas abordées. Constatons, par exemple, que cette étude qui promet de traiter de l’information dans la capitale n’aborde nulle part le phénomène des plateformes numériques, des médias sociaux et des nouveaux monopoles médiatiques mondiaux qui sont pourtant au cœur de bien des chamboulements qui modifient considérablement le rapport à l’actualité et la réalité socio-économique des médias locaux.

En somme, je crains que ce travail remis par Dominique Payette ne soit d’aucune utilité pour la compréhension des enjeux médiatiques contemporains et retourner à la table de travail ne sera pas suffisant. Il faudra en produire un autre, car celui-ci m’apparaît raté.