J’aimerais commencer par vous dire que je ne vous parlerai pas d’humour. C’est une précision qui me semble nécessaire, car je n’ai pas pu répondre à tout mon courrier cette semaine, à tous ces gens qui me questionnaient pour savoir ce que je pense de l’humour. Pas facile à trier toute cette littérature. Ça n’a pas arrêté. Mercredi, c’était un journaliste de La Presse qui me demandait d’urgence si j’allais répliquer à Guy Nantel avant son heure de tombée. Grosse semaine pour les enquêtes. J’ai eu à peine le loisir de lui répondre que ça m’étonnerait beaucoup.
De toute façon, il fallait laisser le temps à d’autres humoristes de se prononcer. Ça n’a pas été très long. En quelques heures, Martineau, Duhaime et Dutizac se lançaient sur la glace, prêts à scorer des buts. Grosse affiche pour un gala du rire avec mon nom comme titre du spectacle : « Jodoin traite Nantel de raciste ». Ataboy. J’espère que vous avez prévu un gros amphithéâtre parce qu’il va y avoir du monde.
Mais bon, je ne vous parlerai pas d’humour comme je vous disais. Je n’ai rien contre l’humour, bien au contraire. J’ai même plusieurs bonnes connaissances parmi les humoristes. Je le dis comme certains disent qu’ils ont un ami noir ou musulman. Ne riez pas, ce n’est pas drôle.
Je voulais simplement préciser quelque chose d’important, à savoir que le mot « raciste » est un mot qui devrait être rare, qu’on devrait économiser pour les grandes occasions. Ce n’est pas du petit change qu’on lance à n’importe qui au hasard des rues. De fait, je ne l’utilise presque jamais. Je n’ose même pas le sous-entendre. Il m’arrive même de rêver que les racistes sont peu nombreux. Je le souhaite en tout cas. Du coup, je ne sais pas qui a pu vous dire que j’avais traité quelqu’un de raciste, mais c’est sans doute un joyeux drille qui s’entraine pour faire saltimbanque dans une fête foraine à Bora-Bora. N’allez pas le croire. Quand ça arrivera, je vous le dirai.
Mais des fieffés tatas, ça, oui, je dois l’admettre et, vous le savez, j’en croise beaucoup.
Et c’est à ce moment précis qu’il me semble judicieux de vous faire remarquer une vérité essentielle qui semble vous échapper : si tous les racistes sont sans aucun doute des fieffés tatas, tous les fieffés tatas ne sont pas des racistes.
Je m’étonne de devoir le préciser, mais ça semble être passé dans les usages : dès qu’on pointe l’imbécillité qui se manifeste sans vergogne, certains comiques y voient automatiquement un appel au racisme.
C’est une sorte d’argument reductio ad hitlerum préventif et inversé qu’on vous met dans les mains, un peu comme une grenade dégoupillée. Attention, ça va sauter. Planquez-vous!
— Vos copains là, ils ne seraient pas un peu cons, par hasard?
— Ahah! Vous me traitez de raciste!
— Non, mais, vos copains là, c’est quand même des foutus nonos non?
— C’est ça, vous me traitez de raciste! Bientôt, on ne pourra plus rien dire!
Ça, c’est le gros truc. Car une fois qu’on vous a mis la grenade de l’appel au racisme inversé entre les mains, il vous faudra apprendre à jongler. Rapidement, car plusieurs autres grenades vont suivre. La seconde, c’est presque assurément la menace de censure qu’il vous faudra habilement saisir. Allez hop! On l’attrape!
— Vous êtes un censeur? Vous voulez me faire taire?
— Non non, vraiment. En tout respect, je me demandais simplement si vous n’étiez pas un peu usé de la poire.
— C’est ce que je disais! Vous voulez me censurer!
— Mais non! Si vous y tenez, vous pouvez même vous acheter un porte-voix et vous fabriquer un kit d’homme-sandwich pour scander les slogans qui vous plairont dans la rue.
Rassurez-vous. Je militerai toujours pour votre droit d’être con et à la fin, s’il n’en reste qu’un, un militant pour la cause, je précise, ce sera moi. Être contre les cons, ce serait espérer un vaste génocide et il n’y aurait presque plus rien à la télé. Je ne nous souhaite pas ça.
Au Québec, c’est le très inquiétant projet de loi 59, sur la prévention du discours haineux, qui retient notre attention. On le nomme affectueusement PL 59. Il se peut donc que la grenade qu’on vous lance porte cette marque. On vous préviendra d’ailleurs et ce sera sans équivoque.
— Vous êtes donc pour le PL 59?
Une fois que vous aurez ces deux grenades entre les mains, le racisme et la censure, il faut passer aux choses sérieuses, car on vous en lancera assurément une troisième et c’est là que commencera la vraie leçon de jonglerie.
Cette grenade se nomme Charlie. Elle est lourde. Il vous faudra du muscle.
— Ahhh! Vous n’êtes donc pas Charlie vous hein?
Ça, c’est la totale. Bien sérieusement. Qu’est-ce qu’on en a à foutre d’être Charlie? Vous êtes Charlie, vous? Je vous en félicite. Je suis pour ma part un simple citoyen de Villeray et ma ciboulette commence à pousser comme tous les printemps. C’est devenu une réelle inquisition ce gadget du coude. C’était la formule magique fumeuse de Nathalie Saint-Cricq pour capturer les bronzés suspects : « Il faut repérer et traiter ceux qui ne sont pas Charlie. » Plus drôle encore, Jean-François Lisée avec son slogan rassembleur : « Pour que le Québec soit Charlie. » Nous ne sommes jamais tombés plus bas dans la sépulture publicitaire. Des archéologues du futur qui trouveront des traces de notre époque croiront sans doute que Charlie était un prophète et que le seul fait de prononcer son nom suffisait pour provoquer une conversion spontanée ou quelque chose d’étonnant les soirs de pleine lune.
Mais elle est lourde, cette grenade, comme je vous disais. Très lourde. La grenade Charlie est pleine de kalachnikovs, de matériel à fabriquer des bombes, de sales types qui se font sauter au nom de Dieu. Elle vous pétera au visage et je vous souhaite prompt rétablissement. Vous serez bons pour les soins intensifs et la chirurgie faciale. Ce qu’on vient de vous lancer, c’est la guerre, le mal radical, le poids de morts, l’ennemi intérieur. Vous l’avez entre les mains. Sortez-vous de là comme vous pouvez. Bonne chance.
Voilà. Maintenant que vous savez jongler, vous êtes en coulisse pour le spectacle. Il ne vous manque que le costume. Ça tombe bien, il est tout propre, on vient de le laver. On va vous l’enfiler. C’est du prêt-à-porter, one size fits all et unisexe. Ne vous en faites pas, il vous fera à merveille. Celui qui le portait avant vous a été enterré hier. Un chic type.
— On sait bien! Vous êtes de la gauche inclusive multiculturaliste!
Voilà. C’est un beau costume coloré non? Avec un joli chapeau. Vous êtes paré pour le défilé. Rejoignez le reste du groupe. Allez faire le clown maintenant. Et n’échappez pas les grenades surtout. Elles doivent vous éclater en pleine gueule. C’est fait pour ça. C’est le clou du spectacle. Tout le monde vous regarde. Ils ont payé pour vous voir.
Soyez prévenus. Refusez la première grenade. Fuyez dès qu’on vous la lance. Le jardinage est un hobby plus prudent.