BloguesCyber-boom!

Beachclub et Pokémon

Moi, vous savez, le Beachclub, c’est cool. Pas de trouble. Ça ne me dérange pas que ce soit un repaire de douchebags. Je suis zen avec ça. D’ailleurs, j’aime autant savoir où ils sont et j’apprécie qu’ils soient tous au même endroit, au même moment, tous ensemble, sans moi. S’ils pouvaient y passer l’année, ce serait super. J’espère qu’ils prévoient des activités d’hiver. Je leur conseille la raquette.

Même chose pour les Pokémon. L’autre gros truc qui vous allume cette semaine. Cette application qui vous permet de chasser des machins dans une sorte de réalité augmentée avec vos téléphones portables. C’est cool. Vous prenez votre pied? Ca vous branche, c’est ok. Je vous en félicite.

C’est comme le patin à glace. Je m’en tords la cuisse, mais bon, chacun ses loisirs. Vous me trouvez plate avec mes plants de courgettes et, je dois l’admettre, aucune application ne permet de chasser les cèpes dans les bois. Ce qui n’est pas pour me déplaire. Mais bon, vous ne voudriez pas passer 15 minutes en ma compagnie quand je suis dans un sentier ou dans mon jardin. Je suis cool, mais je suis seul.

Mais vous lire, mes amis… Vous lire! Vraiment, sur cette nouvelle manière de se connecter entre humains, cette réalité augmentée qui permettrait de créer des liens que la réalité sans augmentation ne permettait pas, sans blague, ça me ride la nuque. Oh, c’est béton armé! Je suis allé dans le Vieux-Port et j’ai marché un kilomètre! Quel effet positif! Enfin on bouge! Je suis sorti de chez moi! Je découvre le monde! J’ai discuté avec un inconnu que je n’avais jamais vu en chassant un cossin apparu sur mon portable!

J’ai même lu, à quelques reprises, le mot « révolution » évoqué avec enthousiasme.

Risquons une hypothèse : hier, la réalité, c’était regarder votre cellulaire sans but. Vous partiez donc à-10 dans la réalité et dans votre quête du plaisir. Vous rendre à 0 avec un gadget est une forme de progrès. Je comprends votre enthousiasme. C’est un grand bond en avant.

Il y a tout de même ça, dans ce phénomène. Cette idée que la « réalité » était tellement plate, vaseuse, qu’il nous fallait une « augmentation ». Les yeux, les sens, ne nous suffisaient plus. Il nous manquait, dans notre vision du monde filtrée par les appareils, une quête, un but commun.

Les liens sociaux non plus ne suffisaient plus. Depuis tout ce temps que je vous entends parler des « amis » sur les médias sociaux, de réseautage, de réseau, de relations, de contacts, de discussion, d’authenticité et de transparence… Et là, voilà, tenez-vous bien, rencontrer un inconnu dans un parc et lui parler d’une bébelle qui n’existe pas, c’est une révolution! Du jamais vu!

C’est dire tout le vide qui tisse ce filet social numérique, ces liens qui n’ont jamais été noués au fond et cette mobilisation globale qui n’a jamais eu lieu, quand on constate que chasser des machins virtuels sur son écran peut être qualifié de révolution, quand on laisse entendre que de rencontrer un inconnu et lui adresser la parole est un aboutissement qui pourrait changer le monde des communications.

Est-ce avouer que nous ne communiquions pas vraiment? Et que nous ne communiquerons pas plus avec ce nouveau gadget à la mode. On s’amusera tout au plus. Ce sera un divertissement. Et il y a fort à miser qu’on nous présentera sous peu cette révolution comme une nouvelle manière de s’informer et de communiquer. Tout cela va commencer avec la réclame publicitaire. Des commerçants utilisent déjà le leurre Pokémon pour « informer » leurs clients. Les médias devraient suivre.

Elle est vieille l’idée que dans nos sociétés modernes, l’information sert surtout à distraire. Ignacio Ramonet disait déjà au début des années 90 que les bulletins d’information télévisés offraient plus un moyen de se divertir que de s’informer. Nous avons fait un pas de plus avec les médias sociaux. Ce divertissement est devenu un jeu de rôle. Chacun peut jouer, avec son like ou son retweet, avec son commentaire ou son statut, au grand jeu de l’information. D’un divertissement passif, nous sommes passés à un divertissement actif. Nous avons l’illusion de prendre part au spectacle et même de l’influencer.

Tout laisse croire que dans cette nouvelle réalité augmentée qu’on nous présente comme une révolution médiatique — une autre! — il faudra sortir dehors et courir au coin de rue pour dénicher la nouvelle récompense. Les likes ne suffisent plus. Il faudra trouver un Pokémon. Et avec un peu de chance, nous croiserons un humain qui nous dira bonsoir et avec qui nous pourrons partager cette nouvelle passion.

ac#TOD#riov#TA#niodojs