C’est bon? Nous avons terminé? L’été peut commencer? Avec le printemps qu’on a eu, ce n’est pas trop tôt.
La fête nationale est une façon de commencer la période estivale et, surtout, de clore la saison des débats. Platement. Une manière de faire valoir, presque par obligation, quelque chose de rassembleur. Là, on va se mettre en groupe et chanter. Nous avons de quoi être fiers! Tous ensemble! Allez quoi! C’est la Saint-Jean! Oublions nos divisions et nos querelles! Ce soir, nous sommes tous Québécois!
C’est dans cette intention que la fête nationale n’est pas bleue, elle est beige. Beige pain, beige saucisse. L’occasion de manger un bon hot-dog un peu mou en criant quelque chose d’inaudible.
Pour ma part, j’ai fêté la veille donc le 24 je me reposais. Je n’ai plus vingt ans, que voulez-vous. Dans ma ruelle, nous avons une tradition de quartier qui a peu à voir avec le cousin de Jésus ou les aspirations profondes de la nation. Ou peut-être que si au fond. Peut-être que dans nos désirs communs, enfoui quelque part, le bon voisinage fait partie de nos grands exploits, sorte de prise de la Bastille tranquille.
Pour le reste, je ne sais s’il existe quelque chose de plus plate que le grand spectacle événementiel de la fête nationale à Montréal, grande opération de nostalgie qui est à la fierté nationale ce que le respirateur artificiel est à la santé.
Dites-moi, lorsqu’ils étaient habités par le désir du pays, Vigneault, Leclerc, Deschamps, est-ce qu’ils nous servaient des medley du Soldat Lebrun pour se crinquer le drapeau? Ils n’avaient que leurs mots comme effets spéciaux et nul besoin d’un comédien parachutiste pour animer la soirée ou d’un Charlebois décoré en costume des Expos pour nous brasser la nation-souvenir. La nostalgie, encore, que je vous dis. Une manière de crier : regardez tout ce que nous ne sommes plus.
Bon, inutile de vous embêter avec ça, je trouve ça plate et, vous avez raison, je suis de mauvaise foi. Je n’y crois pas. Ou j’y crois mal. Je voulais simplement le dire. Vivement ma fête de quartier où je ne vais jamais anyway, mais que j’entends toujours, de mon bureau, la fenêtre ouverte, car justement l’été commence. C’est à quelques mètres, pas très loin, sur la rue de Castelneau, qui est un peu comme un village. J’aime cette rumeur de scène bruyante dans l’air ambiant. Le jour, les rues sont fermées, les familles de piétons déambulent en mangeant une crème-glacée achetée chez Les givrés ou s’assoient sur les multiples terrasses qui embrassent les trottoirs pour discuter tranquillement. Une vie de quartier, quoi.
D’ailleurs, vous m’expliquerez ça un moment donné, cette idée que ce jour-là, précisément, il faudrait être fier de quelque chose, être habité par un grand surpassement collectif, d’une sorte d’héroïsme historique. Je lisais hier quelques chroniqueurs se demandant où était passée notre fierté nationale, nos grands exploits dignes de mention.
C’est que, puis-je le dire? Puis-je souligner que la principale discussion à propos de l’identité nationale depuis quelques années consiste à mâcher du turban et à s’essuyer les larmes avec du niqab? L’autre grand projet consiste à tasser Couillard du pouvoir. Comprenez donc que, le soir de la fête venu, nous ne soyons pas très guillerets pour faire autre chose que de boire de la bière flat dans un verre en plastique en chantant Quand les hommes vivront d’amour dans ce trou béant d’urbanisme qu’est le Quartier des spectacles. Comprenez que le bon voisinage, dans ce contexte, est un combat de tous les jours autrement plus important. Rien n’est plus difficile et urgent, en cette époque, que de militer pour la bonhomie. Ne riez pas.
Je vous jure que dans ma ruelle, en sirotant une belle bière de chez Pit Caribou tout en chantant du Men at Works avec mes voisins, je n’ai pas l’âme à construire la Baie James. Bon, pas que du Men at Works. Il y avait aussi des chansons d’Émile Bilodeau qui résonnaient dans les haut-parleurs. Des mots, lui, il en a des jolis. Des solides. Ça grafigne. Cet été, en voiture, c’est lui que j’écouterai en roulant lentement. J’en ai plein mon cass / De l’hiver, de ta mère, des nids de poule / Et de tous nos rêves qui s’écroulent… Voilà, très exactement, de la poésie contemporaine. Son album, Rites de passage, cessez de faire ce que vous faites en ce moment, soit lire cette chronique, et allez l’écouter. Oui, c’est un poète. Peut-être ce qui nous manque le plus par les temps qui courent. En tout cas, écoutez-le, ce Bilodeau… J’en ai plein mon cass / De la guerre, pis de toutes les autres affaires / Qu’un artiste se doit de dénoncer / Quand y va chercher son trophée.
Parlant de poésie, je ne sais si vous avez remarqué, mais c’est bien la première fois qu’on entend parler de ce fameux défilé de la fête nationale. J’avais même oublié jusqu’à son existence. Voyons, un peu, des chars allégoriques qui défilent dans les rues, avec Annie Villeneuve, telle une prêtresse de l’ennui, chantant une version remastérisée de Vigneault, Mon cher Québec, c’est à ton tour, juchée sur un truc roulant poussé par quatre jeunes blacks habillés en beige, l’air de sortir d’un champ de coton, eux-mêmes entourés de dames toutes de blanc vêtues et livrant une chorégraphie qui se situe entre la technique Nadeau et la méditation tantrique. Vous voyez l’affiche…
Mais qui pense à des trucs pareils?
Oubliez le scandale. Débarquez de vos grands chevaux avec le racisme allégorique. Le vrai scandale, ici, est de bout en bout esthétique. C’était laid. Ça suffit de le dire. D’ailleurs, si vous me permettez une réflexion, on ne s’indigne pas assez à propos du laid. On devrait. Le vrai crime, dans toute cette histoire c’est la laideur à laquelle se joignent la platitude, le grotesque et l’insignifiance. On nous dit que ce cortège doit être carboneutre, socialement responsable, pédagogique, inclusif, égalitaire, poli, festif, mais jamais beau. La vraie discrimination dans ces machins du genou, c’est celle qui concerne la poésie qui, elle, n’est jamais invitée à défiler dans la rue. Alors, vous n’allez pas nous reprocher de la trouver comme on peut en interprétant tout croche des trucs vides de sens comme ce char allégorique qui ne disait rien de plus que rien du tout, au fond.
Avec un peu d’audace, on aurait pu organiser une grande partie de football entre ces jeunes de l’école Louis-Joseph-Papineau dans St-Michel et les sympathisants de la Société Saint-Jean Baptiste, s’ils sont encore assez nombreux pour former une équipe. Avec Joël Legendre comme arbitre, tiens, et Jean-Paul Daoust comme commentateur! Ça le ferait solidement. On aurait même pu demander à Galaxie, Keith Kouna et Les Vulvets de faire de la musique entre les manches. Vous ne connaissez pas les Vulvets? Ça viendra sans aucun doute… et quand ça arrivera, croyez-moi, vous ne demanderez plus à Charlebois de vous rocker le québécois.
En tout cas, ça ferait un bon show et là, on pourrait croire que tout est encore possible.