J’ai soupiré à quelques reprises cette semaine. D’abord dimanche soir dernier, devant ce grand moment de télévision où Oprah Winfrey tenait un discours qui a de bonnes chances de passer à l’histoire. Pas à cause d’Oprah. À cause de ce vague sentiment d’absurdité que je ressens lorsque j’envisage que le sort du monde pourrait se régler dans un gala télévisé. Lorsque tout le monde est unanimement heureux, je me sens con et je soupire. Pourquoi pas moi, que je me demande?
Ensuite, il y a eu cette lettre, parue dans le journal Le monde, signée par 100 femmes qui se proposaient d’ébranler les fondations du mouvement #metoo en défendant la liberté d’importuner essentielle, selon elles, à la liberté sexuelle. Là, j’ai soupiré deux fois. La première en y lisant quelques conneries et la seconde en voyant se dresser une colère unanime à l’endroit des auteures. Ça n’a pas duré. Je me suis dit que ces femmes venaient de briser, elles aussi, une forme de silence et qu’elles allaient manger une solide volée. J’en ai parlé 5 minutes à la radio et je suis retourné faire mes petites affaires. J’ai passé le reste de la semaine à vous lire.
Et j’ai soupiré quelques autres fois en lisant et en entendant, au gré des prises de position, un argument qui, par son audace, est de nature à me faire sourciller.
Pour réprimander ces femmes, on a voulu avancer que le mouvement #metoo n’avait jamais concerné les rapports de séduction, qu’il visait strictement les rapports de pouvoir. Une idée clairement exprimée par Aurélie Lanctôt dans Le Devoir, je la cite :
Rappelons que jamais depuis le déclenchement de l’affaire Weinstein il n’a été question de rapports de séduction. Il a été question de rapports de pouvoir. Les gestes dénoncés ne visaient pas à stimuler chez l’autre le désir et l’amitié, mais bien à asseoir une domination.
C’est là que j’ai soupiré. Jamais? Vraiment?
C’est une question toute conne que je me pose. Au pire vous me traiterez de con, mais permettez-moi.
CBS rapportait en octobre 2017 que #metoo avait rejoint 85 pays avec 1,7 millions de tweets. Tout ça après que l’actrice Alyssa Milano eut demandé « If you’ve been sexually harassed or assaulted write ‘me too’ as a reply to this tweet. »
Parmi ces centaines de milliers de tweets qui se sont bousculés dans le grand flux de l’indignation, il n’y en avait même pas un petit, un seul, qui aurait pu être l’histoire d’un pauvre con qui ne savait pas comment s’y prendre? Même pas une petite intrigue à propos d’un boss qui, par illusion ou maladresse, souhaitait user de ses charmes? Même pas un collègue qui avait cru que, mais finalement non, allez quoi, pousse-toi gros cochon?
Dans tout ça, donc, comme vous le dites avec certitude, il n’était jamais question de rapports de séduction?
Et surtout, jamais, dans toutes ces histoires, nous ne pourrions imaginer que ce qui s’est joué entre deux individus dépendait plus d’une profonde incompréhension que d’une soif de domination? Même pas une petite fois?
À tout cela, à vous lire, on doit répondre non, jamais. Pas « peut-être ». Pas « faudrait voir, il y a quand même 1,7 million de tweets envoyés par des personnes inconnues dans 85 pays et j’ai le souper à faire ». Non. Jamais.
On n’a pourtant pas à chercher bien loin pour trouver quelques élans plutôt exotiques dans la marée. Suffit d’ouvrir son iPad pour lire Martine Delvaux dans La Presse qui, après avoir vu Blade Runner 2049, trouvait dans ce film un motif à écrire #moiaussi, encore une fois, dans une lettre ouverte en forme de critique cinématographique. C’était son titre : « #Moiaussi, entre Harvey Weinstein et Blade Runner 2049 ».
Comment disait-elle déjà? Ah oui, voilà : « Le film m’exclut. Il me jette, moi aussi. Il me consomme, comme les hommes de cette dystopie non seulement consomment les femmes qui les entourent, mais les créent de toutes pièces. »
Vous ne voyez pas, même pas un peu, qu’une telle envolée tient plus du voyage astral que de la dénonciation d’un rapport de pouvoir? Bon, écoutez, si vous y tenez.
C’est justement le propre d’un mouvement de masse d’être incontrôlable et imprévisible. On sait pour quelle raison un tremblement de terre se produit et personne n’ira remettre en question la force d’un séisme, mais c’est une autre paire de manches que d’aller dire avec certitude que le tsunami qui s’en suit obéit sans broncher à une trajectoire morale.
Il y a longtemps, un pêcheur thaïlandais rencontré sur une plage m’avait raconté qu’en cas de tsunami, il fallait se retirer sans hésiter, paqueter ses affaires au plus sacrant et fuir vers les montagnes.
Bon. Ce n’est pas vrai. Je dis ça pour détendre l’atmosphère. Il me parlait en fait de la recette de pad thaï de son cousin qui avait un resto pas loin. Tu dois absolument goûter ça qu’il me disait. Mais reste que c’est vrai. Lorsqu’une grande vague passe, elle emporte tout avec elle : les requins, les ménés, les châteaux de sable sur la plage, tout. Vaut mieux se tasser et se méfier du type qui tentera de vous dire que jamais au grand jamais son motel ne sera emporté.
Et voyez-vous, c’est cette absence de doute, cette certitude absolue, la main sur le cœur, affirmative face à ce flot des choses indénombrables, qui me fait soupirer. Ah, madame, dans le cosmos, il n’y a jamais autre chose que ce que vous avez vu et entendu?
Je vous envie cette certitude. Pour ma part, le silence implacable de ces tweets infinis m’effraie encore un peu. Juste un peu. Je n’en fais pas un fromage, mais il m’arrive de regarder le ciel en me disant que je suis bien peu de chose et en me demandant si tel ou tel point qui scintille est une boule de glace ou une étoile qui brille.
Et en silence, à part moi, habité par le doute, je me dis que peut-être, peut-être, le jeune con ne sait pas comment séduire et que c’est précisément pour ça qu’il est un con avant d’être une brute.
***
Mais n’allez pas en faire une affaire. Je sens qu’on pourrait se fâcher et ça me rendrait fort triste alors que, somme toute, globalement, il semble que nous soyons sur le bon chemin pour discuter un peu sans nous crier des noms. Sur le fond, je comprends tout ça et cette lettre des 100 femmes qui a fait tant de bruit a au moins le mérite de brasser l’unanimité et la certitude. Pour ça, il faudra quand même les remercier lorsqu’on aura terminé de les traiter de vielles réacs d’un autre siècle.
D’autant plus que cette lettre arrivait quelques jours après ce fameux discours d’Oprah Winfrey aux Golden Globes. « Their time is up » lançait-elle aux agresseurs qui mènent le monde avec leur queue. Tant mieux, évidemment. Comment ne pas être charmé par cette perspective? Célébrons, donc! Allez, ovation.
Mais faut-il célébrer pour autant, avec cette même unanimité déconcertante, l’idée qu’elle puisse devenir présidente des États-Unis? C’est là que je ne vous suis plus. Je vous voyais, vraiment convaincus, saoulés au rêve américain, crier qu’il faudrait impérativement se la fermer devant cette femme noire partie de rien qui a su bâtir un empire. Vos gueules, les hommes blancs, vous qui parlez du haut de vos privilèges depuis le 7e jour de la création, disiez-vous en substance, gluants de bonnes intentions. Taisez-vous, pour une fois!
Pardon? Il vous arrive d’estimer que le pauvre nono dans son salon devrait se taire devant Oprah Winfrey, cet immense moulin à parole de calibre industriel, alors que la terre entière tweet qu’elle devrait être sur-le-champ nommée présidente par acclamation?
Eh bien, permettez-moi de vous céder le pas. Allez-y, puisque vous y tenez, taisez-vous et montez le son de votre téléviseur. Ça fera un bon spectacle. Silence, on tweet.