BloguesLe blogue de Dalila Awada

Dis-moi qui tu es, je te mettrai dans une case

Pour ce premier billet, je ne parlerai pas de charte…ou presque.

Parce que le tumulte des derniers mois a mis en évidence une réalité que je pensais connaître. Celle des catégories. Celles que nous prenons pour acquises et celles que nous découvrons. Celles sur lesquelles nous avons porté des jugements, mais dont nous réalisons un jour qu’elles nous habitent également. À ce qu’on dit, les « contradictions » je les collectionne.

Si j’ai déjà eu de la difficulté à composer avec ça, je le vois aujourd’hui comme un éventail de facteurs auxquels je n’ai pas besoin d’échapper.

Elles sont le fruit de la rencontre de plusieurs univers, aux idées qui se confrontent, s’embrassent, se repoussent, et s’amourachent à nouveau. Comme un clash d’identités, que nous observons naître dans le bassin d’une société de plus en plus cosmopolite. Normal que nous soyons parfois inquiets et déstabilisés par tant d’images floues. Lors d’une séance de maquillage, une cliente transsexuelle, qui l’assume depuis peu, m’a dit: «T’sais, aux yeux des autres, plus tu sembles déroger aux catégories, plus on voudra te catégoriser. Trouve  l’erreur».

Oui, il est probablement plus aisé de construire des petites cases, où, pour se sentir en parfait contrôle de ce que nous observons, nous pouvons étiqueter et classer. Passer au prochain dossier. Mais il y a de ceux qui rentrent difficilement dans une case, qui resteront bloqués dans le cadre de porte; les antagonismes trop volumineux pour dépasser l’entrée. Ils la fracassent, pour être plus libres quand ils tendent les bras et l’esprit.

Nous le savons bien, les frontières s’effilochent à la vue de cette jeune femme, anneau au nez, cigarette aux lèvres, foulard à la tête. Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres, mais celui-ci semble flagrant et brasse pas mal de cases ces temps-ci. Tantôt trop libérale, tantôt trop conservatrice, dans les deux cas, elle a le culot de jouer du coude avec les moules.

Même son de cloche avec le nouveau projet de loi. Le débat s’éternise et continue de déteindre sa grossièreté sur le quotidien de trop de gens. Il y a un autre type de case que nous voudrions imposer aux fonctionnaires, soit le moule de plus en plus serré des bons travailleurs qui laissent leur foi sur un cintre dans le fond du garde-robe,  ils seront ainsi plus neutres parce qu’ils ont enterré, le temps d’un quart de travail, qui ils sont vraiment. Comme si le fonctionnaire idéal devait entrer dans la case «Dépourvu d’habits religieux». Alors qu’il en est rien, tu es neutre ou tu ne l’es pas, avec ton habit ostensible, ou pas.

Chercher à tout prix l’uniformisation des individus est un premier pas pour une fracture collective.

Et ce, même si l’exercice mental qu’est la catégorisation est en quelque sorte indispensable pour schématiser les différences qui nous entourent. Nous y avons tous recours. Ces schèmes peuvent être complètement stéréotypés mais, lorsque concrétisés par nos actions, devenir réducteurs dès l’instant où nos interactions avec les autres sont déterminées par ces catégories.

Quand le stéréotype l’emporte sur l’individualité réelle, nous avons franchi le seuil de l’acceptable.

Dans d’autres cas, elles sont aussi inévitables pour appréhender une partie de la réalité. Dans les études sociologiques, par exemple, elles n’ont pas le choix d’être pour mener à bien une recherche. Nous te demandons si tu es une femme ou un homme,  l’âge que tu as, ou à quelle religion tu appartiens ou n’appartiens pas. Ça c’est la théorie.

Le soir, quand le fichier Excel est fermé, les tableaux statistiques dégringolent et les données  s’entremêlent. Un peu comme quand nous voyons au loin, ce bloc monolithique que semble être un groupe culturel ou religieux, pour finalement découvrir les individus qui le composent et tomber sur des électrons libres qui nous ressemblent vachement plus que nous l’aurions cru.

Peu importe, certains continueront de les mettre dans la case «Exception».

Nous sommes probablement tous catégorisés dans l’esprit de ceux qui nous croisent. Ces catégories sont parfois parfaitement cohérentes et parfois en apparence invraisemblables. Si nous voulons les qualifier de contradictoires, soit.  Créons alors la case : «Individu qui assume sa palette identitaire complexe». Parce que l’incompatibilité ne réside que dans le regard des autres. Aussi, ne soyons pas étonnés après, qu’à force de taper sur le même clou, de voir un groupe minoritaire se réapproprier les stigmates et en faire leur plus grande fierté. Le point d’appui même de leur identité. Si c’est le foulard qui dérange, il sera de moins en moins facile à décoller tant il se fait pointer du doigt et tant son image est figée.

Même si nous voulions balayer du revers de la main ces catégories en désordre, uniformiser, comprendre (ou pas) et convaincre, l’identité est une zone grise qui ne devrait pas s’embarrasser de moules prédéfinis tous noirs ou tous blancs.

Et elle est là, comme tant d’autres, tantôt agenouillée dans son lieu de culte, tantôt chaussée d’escarpins, sur une piste de danse, se laissant aller aux rythmes ardents de ses contradictions.