BloguesLe blogue de Dalila Awada

Les femmes musulmanes doivent être sauvées

Impossible de faire semblant plus longtemps. Les femmes musulmanes ont réellement besoin d’aide. D’une chose en particulier : L’instrumentalisation tout azimut de leur couvre-chef.

Ce débat sur la Charte des valeurs s’enlise depuis plusieurs mois déjà et quand bien même nous répétons que tous les signes religieux «ostentatoires» sont visés par le projet de loi, cette fixation sur le foulard des femmes musulmanes relève de l’obsession et révèle tant.

Elles sont oppressées disons-nous. Ce n’est pas faux. Elles le sont d’abord par les clichés qui leur collent à la peau et par les amalgames douteux qui sont faits entre un habit porté et les valeurs inhérentes des individus qui le porte. Un exemple tout simple, mais qui est revenu souvent dans le contexte actuel, celui de l’homosexualité. Le 15 janvier dernier, lors de la commission parlementaire, le ministre Drainville a repris un exemple fictif stipulant qu’il serait embarrassant pour un jeune homosexuel rejeté par sa famille musulmane de se retrouver face à une infirmière voilée. Cet exemple sous-entend qu’il existe un parallèle inévitable entre le fait d’afficher sa religiosité et le fait d’être frileux face à l’homosexualité.

N’est-il pas venu à l’idée du ministre que cette infirmière n’est peut-être non seulement pas homophobe pour deux sous mais qu’en plus elle peut être une militante assidue qui œuvre au sein de sa communauté religieuse et culturelle pour une mouvance positive de certains mœurs et l’acceptation de la diversité sous toutes ses formes?

En ce sens, j’ajouterais que le fait qu’elle porte son foulard, connait la réalité religieuse, et tend la main à ce jeune homme, fait en sorte qu’elle est pertinemment outillée pour intervenir dans ce genre de cas. Ni plus ni moins qu’une autre intervenante. En fait, tout employé a un bagage d’expériences différent et cela n’ampute en rien l’objectivité ainsi que le professionnalisme de leur démarche. Au contraire, pourquoi ne pas voir cette diversité chez les fonctionnaires, même visible, comme un atout supplémentaire à l’institution dans laquelle ils œuvrent et non pas comme une lacune qu’il faut gommer à tout prix? Car le problème n’est pas dans l’employée en question, mais bien dans les préjugés que nous nourrissons à son égard.

Les femmes musulmanes ont aussi besoin d’être sauvées des milles et une opinions formulées quotidiennement à leur endroit. Pratiquement tout le monde, spécialistes ou pas, a un avis sur le voile et sur celles qui le portent. Nous faisons collectivement de la «pop-théologie» à outrance en malmenant les concepts, les idées, et en amalgamant tout et son contraire. Ce qui n’est pas sans laisser des éparpillements, qui deviennent écrasants pour celles qui les subissent au quotidien dans les réseaux sociaux, dans les médias, et maintenant même à l’assemblée nationale.

Pendant ce temps, les principales concernées doivent se tenir silencieuses et écouter l’avalanche de propos prémâchés sur le pourquoi ou le pourquoi pas de leur absence de chevelure. Mais si elles ont l’audace d’aborder elles-mêmes la question, on dit qu’elles mentent ou qu’elles dorment au gaz.

Il n’y a aucun doute: ce n’est qu’une question de temps avant qu’elles ne se réveillent de cet obscur délire qu’est le port du voile. Ironiquement, le nombre exponentiel d’experts autoproclamés voient leur propos légitimés et même encouragés, mais celles qui le portent sont souvent perçues comme étant des ingénues, rétrogrades et aveugles. Sait-on jamais, peut-être que le voile entrave aussi les connections de neurones dans le cerveau.

Évidemment, tous ne sont pas si fermés à l’égard de leur propos, mais ceux et celles qui parlent le plus fort, volontairement ou pas, nient l’autonomie des femmes portant le voile. Aliénées, manipulées, intégristes et hypocrites, tous les qualificatifs y passent. Ils sont même souvent exprimées par des femmes, qui au nom de leur vision du féminisme, se donnent le droit de discréditer d’autres femmes.

En somme, les femmes musulmanes doivent surtout être sauvées de tous ceux et celles qui veulent les sauver.

De ceux qui du jour au lendemain ont fait du combat des femmes en Arabie Saoudite leur propre combat. Qui, depuis l’arrivée de cette charte, sont devenus hantés par l’idée d’être solidaires envers les femmes voilées partout dans le monde, même si cela implique de ridiculiser leurs croyances, même si cela implique de les infantiliser. Elles vont perdre leur emploi? Pas de problème, c’est pour leur bien, la fin justifie les moyens.

Si le but d’une telle charte est de remettre de l’avant la question de la laïcité et de la neutralité de l’État, pourquoi est-ce si important d’émettre autant d’opinions sur la signification même du voile? À ce stade-ci, il est nécessaire de recentrer le débat pour en ressortir un tant soit peu grandi comme société. De même que la démystification du voile revient d’abord aux femmes qui le portent. Elles devraient être celles à qui nous accordons le plus de crédibilité quand vient le temps d’en parler.

Pour l’instant, ce voile est un gigantesque fourre-tout, le punching-bag de la charte et de sa laïcité tronquée. Si le sort des femmes musulmanes était vraiment la priorité de ces sauveurs présumés, ils cesseraient d’utiliser ces dernières, comme bouclier et comme arme à la fois.