BloguesLe blogue de Dalila Awada

Indignation à deux vitesses

Beaucoup d’encre et de sang ont coulé, générés par des groupes extrémistes qui ponctuent l’actualité d’épisodes violents. Plus loin, en Occident, certains se font reprocher de ne pas assez condamner ces persécuteurs, qui pourtant persécutent leurs «semblables». C’est à ne rien comprendre.

Je suis restée relativement silencieuse sur le sujet jusqu’alors, pas parce que «votre silence témoigne de votre approbation» comme a dit un tel, ni parce que «on voit bien que vous n’avez pas le droit de critiquer d’autres musulmans» comme a dit une autre, mais simplement parce que bien souvent les conjonctures politiques au Moyen-Orient me laissent ahurie. Des fois, l’absurde et l’horreur se passent de mots.

Il y a la lassitude de voir le Proche-Orient et ses environs qui s’effritent de par les guerres et les interventions militaires mises sur pied pour soi-disant contrer la violence, pour instaurer une démocratie, ici et maintenant, American style. Tant pis s’ils repartent en laissant le pays à feu et à sang, tant pis si la démocratie est encore plus fragile qu’auparavant. Tant qu’à dénoncer, profitons-en pour dénoncer les puissances occidentales et leurs complices qui tirent profit de ces situations et qui les alimentent depuis plusieurs années.

Dénonçons aussi le statu quo. Aujourd’hui on parle de l’Irak, mais demain ce sera déjà oublié, tout comme la Syrie, dont le décompte des morts a franchi le cap des 170 000.  Quatre ans plus tard, il ne reste presque rien de l’indignation initiale, ce n’est qu’un pays de plus sur l’échiquier, qui plonge à son tour dans un sombre chaos, se réduisant comme une peau de chagrin.

Souvent, nombreux vont s’indigner brièvement, le temps de dire aux autres qu’ils ne s’indignent pas assez, alors que l’injustice n’a pas le luxe d’être éphémère. Par quelle issue sortira maintenant l’Irak enlisée dans une spirale de violence, faisant des victimes de toutes confessions confondues? Ou l’Afghanistan, la Libye et autres pays en ruine? Ces terres où il ne reste que les traces de l’impérialisme sauvage, signature des grandes puissances qui se drapent de vertu avec leurs missions. La violence est caméléon et n’est pas l’apanage de groupes particuliers, mais peut-être qu’on tend à l’oublier, parce qu’en cravate, ça passe toujours mieux.

Indignation sélective quand tu nous tiens.

Et quels mots seraient mieux que le silence, quels mots seraient assez puissants pour parler de l’impuissance qui te résonne dans chaque recoin du corps? Quelques faits en vrac peut-être? Pour répéter ce qui, au mieux, sonnera cliché, ou au pire, sera ignoré : les victimes des actes terroristes sont en grande majorité les populations locales. Ou encore, entre 2001 et 2006, tout juste après l’intervention en Afghanistan, le Moyen-Orient a connu une hausse des crimes violents qui se chiffre à 560%, les victimes de la région, elles, étaient en hausse à 2219%*. Données vertigineuses qui manquent à la conception populaire de cette réalité. Mais dénoncez donc plus fort, on ne vous entend pas.

Quels mots peuvent faire taire la rage, quels mots dit-on aux amis qui perdent des membres de leurs familles dans des attentats à la bombe? Quels mots dit-on à la famille restée au pays, qui voit la montée de l’extrémisme ébranler leur quiétude au quotidien, à coups de voitures piégés et d’exécutions arbitraires? C’est un peu un affront à chaque fois qu’on leur dit que s’ils ne condamnent pas publiquement ces troupes, c’est qu’ils approuvent les atrocités commises par ces derniers. Rien de moins.

D’ailleurs, quand est-ce qu’on demande à d’autres de se dissocier incessamment de chaque épisode violent perpétré par un pair qui partage un drapeau, une couleur, un trait, quelques mots et quelques terres? Des fois, nous ne sommes bons qu’à entendre ce qu’on veut bien entendre. Condamnez et il n’en restera que de frêles échos, demain on vous fera encore porter le même chapeau.

En réalité, l’initiative #NotInMyName, aussi éloquente qu’elle puisse être, a ça de décourageant, c’est encore aux mêmes individus de se justifier. Aucune alternative n’est complètement gagnante, car garder le silence serait complice, mais parler confirmerait l’idée qu’il y a des raisons d’exiger une dissociation. Ce n’est surtout pas à ceux qui y participent qu’il faut en vouloir, anéantir les préjugés est un travail qui exige constance et innovation, mais c’est plutôt à ceux qui exercent une pression, à ceux qui en font une nécessité. En parallèle, ceux qui devraient avoir des comptes à rendre s’en sortent indemnes, encore une fois, même si tout a été fait #InTheirName.

Quand des musulman(e)s condamnent les actes de l’ISIS ou de tout autre groupe extrémiste, ça ne devrait pas être dans le but de prouver quoi que ce soit ou dans une tentative désespérée d’attendrir une image rudoyée. Si tu es musulman(e), fais le par humanité, au moment où ça te tente et de la façon qui t’interpelle le plus. Parce que tu n’es pas un robot qui devrait toujours être prêt à mettre sa switch à on. Prêt à condamner sur commande, pour satisfaire les autres, ne voyant pas qu’ils grattent une plaie déjà béante.

Non, ce n’est pas en mon nom, surtout pas en mon humanité.

 

 

*(START,  National Consortium for the Study of Terrorism and Responses to Terrorism)