Samedi dernier (16 février) La Presse publiait les résultats d’un sondage CROP portant sur les relations qu’entretiennent les Québécois avec la religion au lendemain de la démission du chef de l’Église catholique. La chroniqueuse Marie-Claude Lortie a commenté certaines données de ce sondage portant sur les accommodements religieux et la laïcité (Une drôle de laïcité) en soulignant des aspects qui lui paraissent paradoxaux.
La chroniqueuse met par exemple en opposition le fait que seulement 41% des répondants veuillent maintenir le crucifix à l’Assemblée nationale alors que 59% tiennent au « patrimoine religieux physique comme les églises ». Il n’y a pourtant aucune contradiction : la laïcité concerne les institutions publiques (celles de l’État) et non ce que je peux voir de la rue. On peut donc très bien considérer que certaines églises ont une valeur architecturale qui mérite une protection tout en considérant que le crucifix, en tant que symbole religieux, n’a pas sa place dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Considérant que seulement 16% des répondants sont d’accord avec le fait que « Les institutions publiques devraient faire une place à toutes les religions », Marie-Claude Lortie se demande (avec raison) ce que les répondants ont en tête lorsqu’ils répondent à une telle question: en ont-ils contre le message politique de symboles comme le voile islamique ou s’ils sont contre « les signes neutres comme les turbans ou les kippas ».
Ce dernier bout de phrase est très révélateur: le voile aurait donc une portée politique mais les kirpans et kippas seraient « neutres ». Comment un signe religieux peut-il être politiquement neutre? Cette distinction n’a de sens que lorsque l’on se place dans une approche féministe de la laïcité: la kippa, la croix, le turban ne sont pas chargés de valeurs inégalitaires sexuellement parlant, donc ils sont neutres.
De très nombreuses Québécoises ont pris conscience de la nécessité de la laïcité suite aux offensives des islamistes destinées à investir les institutions publiques, notamment avec le hidjab comme étendard. Tant mieux si ces circonstances ont conduit à cette prise de conscience. Mais l’argument féministe de l’égalité, tout en étant d’une importance fondamentale, est en soit fort limité. Que fait-on des prières dans les conseils municipaux? Que fait-on des subventions publiques aux écoles privées religieuses? Que fait-on des exemptions fiscales accordées aux représentants de cultes? Que fait-on du cours de culture religieuse qui incite les enfants à s’identifier à une religion? Qui voudrait d’un enseignant à col romain pour enseigner la biologie et la théorie de l’évolution à ses enfants ?
La journaliste s’étonne aussi du fait que les répondants sont très majoritairement non pratiquants alors qu’ils « tiennent à ce que la religion occupe une place prépondérante dans l’espace publique ». Pourtant, aucune donnée du sondage ne révèle une telle chose. Il est bien question de fêtes religieuses comme Noël et Pâques, de baptême et de mariage, mais rien de cela ne concerne l' »espace public » à moins que l’on confonde les institutions publiques et la société civile. En fait, on peut fort bien être un croyant, pratiquant ou non, et tenir à son identité religieuse tout en réclamant la laïcité de l’État.
Cette confusion revient à nouveau dans la dernière phrase de l’analyse de Marie-Claude Lortie: « Dans le fond, écrit-elle, les Québécois aimeraient-ils la laïcité surtout quand elle est quand même un peu catho ? Avec quelques sapins, des cocos de Pâques et la basilique Notre-Dame en toile de fond ? » Encore une fois, la laïcité concerne l’État et non la société. Je suis un militant laïque et j’aime bien les sapins de Noël et les cocos de Pâques et je trouve que la basilique Notre-Dame est un monument architectural à préserver.
S’il y a paradoxe dans les réponses, ce n’est pas à la lumière de ces faits qu’il ressort. C’est plutôt dans le fait que 49% des répondants disent que « les institutions publiques devraient faire place à certaines références à la religion catholique » alors que seulement 16% acceptent que « les institutions publiques devraient faire une place à toutes les religions ». Il y a ici manifestement une incompréhension de ce que doit être la laïcité. La laïcité ne vise pas à brimer la religion des autres, mais à séparer l’État et les religions, y compris la religion de la majorité. Le gouvernement a donc un important travail d’éducation à faire auprès du public.
À la décharge des répondants, il faut dire que les questions de ce sondage sont vagues à souhait. Qu’entendent les sondeurs par « institutions publiques » et par « faire une place à toutes les religions »? D’autres questions sur l’enseignement religieux n’ont aucun lien avec la réalité scolaire actuelle.
LE DEVOIR
lundi 7 janvier 2013
La loi avant l’esprit ou l’esprit avant la loi
7 janvier 2013 | Andréa Richard – Trois-Rivières, le 28 décembre 2012 | Québec
L’erreur en politique et en religion, c’est que les lois sont coulées dans le ciment. Or l’esprit devrait passer avant la loi.
Aujourd’hui, l’esprit de la société, en général, c’est que la religion et l’État doivent être séparés. Par conséquent, le crucifix, comme l’avait proposé la commission Bouchard-Taylor, ne devrait pas figurer à l’Assemblée nationale. Sa place, en tout respect pour l’esprit du passé, serait au Musée des religions, à Nicolet.
Évoquer la fidélité à nos origines me semble exagéré, il y a bien plus important qu’un crucifix représentant une religion imposée. L’enlever serait faire preuve de notre liberté et de notre appartenance au temps présent.
Notre principale identité, ce n’est pas d’être catholiques, mais citoyens et citoyennes d’une nationalité. Le drapeau national serait donc de mise et suffisant.
Andréa Richard – Trois-Rivières, le 28 décembre 2012
Madame Lortie a-t-elle répondu ? J’en serais heureux car cela signifierait qu’elle a lu ce billet. Elle qu’elle y a réfléchi, au moins un peu.
J’aimerais pouvoir lire un débat Baril/Lortie sur ce sujet. Un vrai débat qui creuserait profond, qui permettrait de mettre en lumière les erreurs de logique d’un côté ou de l’autre. Un débat, avec obligation de s’entendre donc un débat dans lequel la bonne foi serait présente derrière tous les arguments.
J’ai envoyé le même commentaire, dans une forme légèrement différente, à la page de commentaires de La Presse, mais mon texte n’a pas été publié, ni dans l’édition papier ni sur le site de La Presse. Marie-Claude Lotie ne m’a pas fait connaitre sa réaction non plus. Il est rare que La Presse publie des critiques sur ses journalistes et encore plus rare que les journalistes nous répondent.