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Des philosophes liberticides qui renient le droit à la liberté de conscience

Le droit de ne pas être heurté par les croyances religieuses des fonctionnaires existe bel et bien.

L’automne dernier, le groupe Québec Inclusif dénonçait le projet de loi sur la laïcité du Québec en le qualifiant de « charte liberticide ». Ses membres y voient « une attaque frontale envers les libertés individuelles en général et la liberté de conscience et de religion en particulier » (1).

Voici que des professeurs de philosophie proches de Québec inclusif, Georges Leroux, Jocelyn Maclure et Michel Seymour ‑ rédacteurs ou signataires du premier texte des « inclusifs » ‑,  nient l’existence du droit à la liberté de conscience. Dans leur réplique au mémoire présenté par Guy Rocher en commission parlementaire sur le projet de loi 60, Georges Leroux et Jocelyn Maclure écrivent ceci :

« Lorsque M. Rocher affirme que les droits des employés ont présentement priorité sur ceux des ‘’clientèles’’, il est difficile de ne pas conclure qu’il soutient implicitement que les usagers ont un droit fondamental à ne pas être exposés à l’appartenance religieuse d’autrui. […] Le malaise que certains ressentent à la vue d’un hidjab, d’une kippa ou d’un turban ne saurait toutefois justifier l’obligation pour celui qui le porte de choisir entre le respect de ses convictions profondes et un poste dans un organisme public. Les malaises des uns ne justifient pas la restriction des droits fondamentaux des autres. »

Oui, MM Leroux et Maclure, il existe un droit à ne pas être exposé à l’affichage ostentatoire des convictions religieuses d’autrui lorsque autrui est un fonctionnaire ou un enseignant qui exerce sa profession dans un organisme public qui se veut laïque. Ce droit s’appelle la liberté de conscience, une liberté fondamentale reconnue par nos chartes. Ne pas en tenir compte conduit à laisser ces employés de l’État nous dire ce qui est bien en matière de religion et de morale, ce qui viole la liberté en question.

Les deux philosophes réduisent l’atteinte à ce droit à un simple « malaise » alors qu’ils élèvent l’affichage des convictions religieuses en tout temps et en tous lieux à un droit fondamental ne pouvant souffrir d’aucun malaise ou restriction. L’ex-juge de la Cour suprême du Canada Claire L’Heureux-Dubé a répondu à cette vision débridée de la liberté de religion en précisant que ce qui était en cause dans le port de signes religieux relève plutôt de la liberté d’expression et que tout employé de l’État est soumis à des restrictions concernant l’expression de ses convictions.

Des droits contradictoires

Plus loin, les auteurs écrivent que «la liberté de religion des employés doit s’harmoniser avec l’exigence de neutralité des institutions publiques et avec les droits des usagers ». De quel droit des usagers s’agit-il sinon de la liberté de conscience? Et comment harmoniser des droits contradictoires? Ils refusent l’interdiction du port de signes religieux parce que cela hiérarchiserait les droits en présence sans réaliser que l’autorisation de porter ces signes conduit elle aussi à hiérarchiser des droits.

Dans un tel contexte, c’est l’approche de Guy Rocher qui doit s’appliquer, c’est-à-dire le principe du respect des convictions des usagers pour qui travaillent les employés de la fonction publique. Permettre l’affichage ostentatoire des convictions religieuses de ces employés est liberticide de la liberté de conscience des usagers, alors que l’interdit de ces signes ne brime pas leur liberté de religion.

Michel Seymour est encore plus explicite que ses collègues sur la négation de la liberté de conscience. Après avoir présenté en commission parlementaire un mémoire d’une confusion tous azimuts entre société civile et employés de l’État, entre communautarisme de la vie religieuse et emploi dans la fonction publique, entre multiconfessionnalité et neutralité, ente neutralité à l’égard des religions et neutralité de l’État, il affirmait ceci dans un débat à Radio-Canada (à la 15e minute de l’émission) : « Il n’existe pas de droit de ne pas être dérangé par des symboles religieux ».Dans le contexte en question, oui un tel droit existe. Le nier conduit à une position liberticide.

Dans son jugement sur la prière à Saguenay, la juge Michèle Pauzé, du Tribunal des droits de la personne, a reconnu que la présence de symboles religieux tels une statue du Sacré-Cœur et un crucifix conférait un caractère religieux aux enceintes où se tiennent les assemblées municipales et, entre autres pour cette raison, demandait leur retrait (par. 244). Si cela vaut pour des symboles fixés aux murs, ça vaut aussi pour des symboles portés par les employés.

Récemment, le professeur Louis Rousseau assimilait, dans un texte du Devoir, le port de signes religieux à un rituel religieux. Si tel est le cas, il s’agit là d’un motif très fort légitimant l’interdit de ces signes dans les organismes publics qui ne sauraient devenir les lieux des pratiques rituelles des employés.

Une règle tacite à formaliser

Vous viendrait-il à l’esprit, messieurs les professeurs, de débuter et de terminer chacune de vos cours ainsi : « Je m’appelle Georges Leroux, Jocelyn Maclure ou Michel Seymour, et je suis athée/catholique/juif/protestant/musulman/etc. »? Le langage du signe visuel ne porte pas moins à conséquence que le langage verbal. Bien au contraire, le fonctionnaire ou le professeur qui porte un signe ostentatoire nous tient son discours non verbal pendant toute la prestation de son travail.

Vous pourrez répondre que vous n’avez pas envie de vous afficher de la sorte, ce qui est votre devoir de réserve. Mais d’autres personnes à la religiosité plus forte (pensons au maire de Saguenay ou au geste de la députée Rita de Santis) pourraient fort bien le faire et être imitées par les autres croyants jusqu’ici discrets ainsi que par les athées.

L’un des acquis de la modernité est la séparation des religions et l’État et une règle tacite s’est imposée voulant que l’on n’affiche pas ses convictions religieuses au travail, tant dans le domaine privé que public. Cette loi informelle est rendue inopérante par des fondamentalistes qui la refusent. Il faut donc la rendre explicite et c’est ce que propose le projet de loi sur la laïcité en interdisant le port de signes religieux ostentatoires.

1. Notons que ce texte de Québec inclusif réduit la liberté de religion et de la liberté de conscience à une seule liberté, comme le fait la charte canadienne, alors qu’il s’agit de deux libertés comme l’établit le libellé de la charte québécoise. La liberté de conscience inclut toutes les convictions profondes, dont la croyance religieuse et l’incroyance. La liberté de religion, qui est en fait la liberté de culte, est l’un des aspects de la liberté de conscience qui est donc une catégorie plus large que la liberté de religion (rapport Bouchard-Taylor, page 144).