Le reportage «Panser les plaies»: le journaliste Jacques Bissonnet avait répondu à une commande! Diagnostic d’un cas type.
Une semaine après l’élection du 7 avril dernier, Radio-Canada diffusait un reportage de Jacques Bissonnet intitulé «Panser les plaies» donnant la parole à des musulmans opposés au projet de loi du PQ sur la laïcité. Au Téléjournal, Pascale Nadeau ouvrait ce reportage en affirmant que «les musulmans [!] se réjouissent du retour des libéraux au pouvoir».
«Les musulmans», ce sont Dalila Awada, présentée comme étudiante en sociologie, Abdou Zirat, vice-président au Congrès maghrébin au Québec, et Samira Laouni, présidente du groupe Communication pour l’ouverture et le rapprochement interculturel. Ils disent avoir été «sérieusement offensés» et blessés par ce projet qualifié de gâchis et se disent soulagés de la défaite du PQ.
À la toute fin, le reportage donne la parole à Djemila Benhabib, ex-candidate du Parti québécois, que Bissonnet introduit en disant qu’elle «admet maintenant que son parti a commis des erreurs ». Ce qui parait confirmé par la seule phrase que le journaliste a retenue de la candidate: « Est-ce qu’on s’est trompé concernant les stratégies? Je vous dirais oui, certainement. »
Jacques Bissonnet termine son reportage en affirmant que «les 300 000 musulmans au Québec se sont massivement mobilisés pour aller voter contre la charte». Une affirmation qui ne repose sur aucune donnée. On apprendra, dans les informations afférentes à ce reportage, que cette estimation provenait de Abdou Zirat et que le journaliste l’a endossée sans autre vérification.
Quiconque n’est pas finement au courant des convictions de Djemila Benhabib aura compris qu’elle loge à la même enseigne que les trois autres opposants puisque jamais on ne précise qu’elle est une défenseure convaincue de la «charte». Quiconque connaît les convictions de Djemila a compris que son intervention avant été manipulée pour servir la cause des militants anti-charte.
Se sentant trahie, Mme Benhabib a donc porté plainte auprès de l’ombudsman de Radio-Canada affirmant que:
«ma participation à ce reportage a été totalement détournée de son sens et instrumentalisée pour accréditer une thèse dangereuse qui vise encore une fois à tromper l’opinion publique en décrivant les communautés musulmanes comme monolithiques et en défaveur de la charte. Or, il existe tout un courant d’opinion de musulmans laïques qui sont très inquiets des conséquences de l’abandon de la charte.»
Radio-Canada a reçu pas moins de 80 plaintes allant dans le même sens. L’ombudsman de l’établissement, Pierre Tourangeau, a fini par donner raison à Mme Benhabib:
«En réécoutant et en relisant le reportage, je constate que le propos de Mme Benhabib qui a été utilisé n’a rien à voir avec le message qu’elle souhaitait exprimer et pour lequel elle avait accepté d’accorder une entrevue. […] Le reportage […] n’a pas respecté les Normes et pratiques journalistiques de Radio-Canada concernant le montage, la conduite et l’utilisation des entrevues», conclut Tourangeau.
Sa réponse, que l’on peut lire à cette adresse, présente le contenu de la plainte, la réponse d’un des directeurs de l’Information, Luc Simard, le témoignage de Jacques Bissonnet et la transcription complète du reportage.
Information et… commande
Évidemment, aucun média n’a parlé de ce cas, pas même le service de l’Information de Radio-Canada malgré le «souhait» de l’ombudsman (j’y reviens plus loin). Pourtant, ce qu’il rapporte concernant le témoignage de Jacques Bissonnet révèle un détail intéressant:
«Le journaliste Jacques Bissonnet m’a expliqué que l’objectif de son reportage était de faire réagir les opposants musulmans à la charte de la laïcité proposée par le Parti québécois au lendemain de sa défaite électorale. C’est, me dit-il, ce qu’on lui avait demandé […]»
Jacques Bissonnet a donc répondu à une commande. Il serait naïf de penser que ce n’est pas la règle de base pour ce genre de «reportage». Mais un diffuseur public comme Radio-Canada se doit de donner une information la plus impartiale possible. Dans sa plainte, Djemila Benhabib demandait qu’un autre reportage soit réalisé sur les musulmans favorables à la «charte» afin d’assurer l’équilibre de l’information.
Sur ce point, Pierre Tourangeau erre en s’en remettant uniquement à l’avis de Luc Simard qui soutient, en tournant de façon experte autour du pot, avoir recensé «des dizaines d’occasions» où des musulmans ont exprimé leur préoccupations face à «l’usage de la religion à des fins politiques». On ne peut rien conclure d’un tel propos qui n’établit aucune comparaison et qui ne porte même pas sur le litige. À combien d’occasions a-t-on entendu des musulmans s’exprimer contre le «charte»? Et pourquoi, après l’élection, faire un reportage sur les musulmans satisfaits plutôt que sur les musulmans déçus???
L’objectivité de l’information ne se résume pas non plus au nombre de minutes ou de lignes consacrées à des points de vue divergents contrairement à la pratique usuelle dans les médias. À importance quantitative égale, il est fréquent que la facture d’un reportage ou les commentaires des journalistes aient pour effet de discréditer l’un des points de vue en cause. C’est ce que l’on a enduré pendant des mois.
Le reportage «Panser les plaies», dans son contenu et dans sa forme, n’est que le pointe de l’iceberg du biais affiché par Radio-Canada dans l’ensemble de la couverture du débat sur le projet de laïcité et ce tant à la radio qu’à la télé. Que 80 personnes aient pris la peine de porter plainte à propos de ce seul reportage est significatif du degré d’exaspération atteint au sein de la population sur la question. La part de subjectivité dans mon appréciation ne saurait être éliminée que par une enquête approfondie.
Le même ras-le-bol s’est exprimé à l’endroit de La Presse. Suite à de nombreuses plaintes, le Conseil de presse enquête présentement sur la façon dont le journal a traité de ce débat. Une même enquête est largement justifiée concernant Radio-Canada.
Un ombudsman sans pouvoir
N’eut été d’une demande de révision de l’un des plaignants, la requête de Djemila Benhabib se serait terminée avec la réponse de Luc Simard et la plainte serait demeurée lettre morte. Il est assez étonnant, voire inquiétant, de constater que la conclusion de l’ombudsman, qui est d’une évidence à crever les yeux, soit le résultat d’une demande de révision.
Djemila demandait également que sa participation soit retirée de ce reportage toujours accessible au public. Tourangeau se limite à souligner qu’une telle demande relève du directeur de l’information qui, manifestement, n’a pas jugé bon de répondre à cette demande tout à fait légitime et justifiée. Rien n’a en effet été changé au reportage.
L’ombudsman exprimait tout de même ce souhait:
«Je souhaite donc que Radio-Canada publie, à la suite du reportage de M. Bissonnet accessible sur Radio-Canada.ca, et sur la page «mise au point», un correctif indiquant la véritable position formulée en entrevue par Mme Djemila Benhabib pour les besoins du reportage dont elle se plaint.»
Un souhait, c’est tout ce que le mandat de l’ombudsman lui permet d’exprimer. Même si cet avis date du 4 juin, rien n’a encore été fait à ce jour (en date du 18 juin), ni sur la page du reportage ni sur celle des Mises au point.
Difficile de ne pas voir dans ces refus de la part du service de l’Information de nouveaux indices de parti pris anti-charte.
de la part de gesca et nos médias corporatif, ne vous attendez pas à ce que les partis indépendantistes y fassent bonne presse.
À l’époque de Trudeau (père), Radio-Canada était décrit comme un « nid de péquistes ».
Et moi, chaque fois que c’est la semaine « sainte » ou qu’on élit un nouveau pape, je réalise que Radio-Canada est un « nid de cathos ».
Faut croire qu’entre les péquistes et les cathos, ce sont les cathos qui ont gagné en 2014.