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Le pape fait de l’antiscience avec le bigbang et l’évolution

Ni la matière ni la vie ne bricolent à partir de rien.

Selon le pape François 1er,  la théorie du bigbang et celle de l’évolution sont non seulement compatibles avec l’existence de Dieu mais la supposent et même l’exigent. C’est ce qu’il a soutenu devant l’Académie pontificale des sciences le 27 octobre dernier

«Le commencement du monde n’est pas l’oeuvre d’un chaos qui doit son origine à quelque chose d’autre, mais il dérive directement d’un principe suprême qui crée par amour. Le bigbang, qui est considéré aujourd’hui comme l’origine du monde, ne contredit pas l’intervention divine de Dieu mais la requiert », a dit le pape (National Catholic Register, Radio Vatican).

Cette image du bigbang est celle qui avait cours dans les années 50 et qui perdure encore aujourd’hui dans l’imaginaire populaire: le commencement de tout, l’instant zéro à partir duquel l’Univers surgit du néant. On retrouve dans cette idée la notion du fiat lux de la Genèse – « Que la lumière soit, et la lumière fut! » — et cette parenté toute allégorique a sans doute facilité l’acceptation de la théorie du bigbang par l’Occident chrétien.

Mais ce n’est pas exactement ainsi que les physiciens voient les choses. Bien qu’il y ait de grandes controverses entre eux concernant les premiers instants de l’Univers et la façon de les décrire, aucun ne soutiendra qu’il ne tire pas son origine d’un état antérieur.  Il convient ici de lever quelques ambiguïtés sémantiques. Lorsqu’ils utilisent les mots « vide » ou « néant » ou affirment qu’avant le bigbang « il n’y avait rien », les cosmologistes sous-entendent « rien que nous puissions connaître actuellement ». En physique, la notion de « vide quantique » est un milieu rempli d’énergie électromagnétique et de particules virtuelles qui se créent et s’annihilent. Bref, un chaos et non pas un néant absolu.

C’est ce qu’inclut le « nothing » du physicien Lawrence Krauss, auteur de A Universe from Nothing : un état extrêmement instable à partir duquel la production de « quelque chose » devient hautement probable. C’est aussi ce que renferme le « rien » auquel fait référence le renommé Stephen Hawking :

«parce qu’une loi comme la gravitation existe, l’Univers peut se créer et se créera spontanément à partir de rien » (Y a-t-il un grand architecte dans l’Univers?)

Ce « rien » n’est donc pas le néant au sens où on l’entend habituellement mais un milieu où la gravitation existe et où apparaissent des particules qui, malgré une durée de vie infinitésimale, peuvent donner naissance à de multiples univers dont le nôtre.

« Il n’est nul besoin d’invoquer Dieu pour qu’il allume la mèche et fasse naître l’Univers », ajoute Hawking.

Plus proche de la pensée religieuse, le physicien Paul Davies, auteur de L’esprit de Dieu, n’en contredit pas moins les propos du pape à la fois sur la cause et sur le début de l’Univers :

« Les cosmologistes nous invitent aujourd’hui à envisager une origine de l’Univers sans cause préalable au sens habituel où nous l’entendons, non pas parce que cette entité causale serait anormale ou surnaturelle, mais parce qu’il n’existe tout simplement aucune époque antérieure dans laquelle elle pourrait opérer ». (« Avant le Big Bang », La Recherche)

En cosmologie, l’expression « avant le bigbang » soulève elle aussi des problèmes sémantiques. Elle est souvent considérée comme dénuée de sens parce que pour qu’il y ait un avant, il faut que le temps existe alors que le temps et l’espace n’ont commencé à exister qu’après quelques milliardièmes de milliardièmes de seconde après le bigbang. Se demander ce qu’il y avait avant le bigbang, c’est comme se demander ce qu’il y a au nord du pôle Nord, dit-on. Mais il nous faut toutefois utiliser les notions accessibles à notre cerveau conçu pour un Univers à trois dimensions.

Le mur de Planck… et au-delà

Certains modèles physiques peuvent remonter jusqu’à 10-43 secondes après un hypothétique instant zéro qui marquerait le début du bigbang (et non le début de tout). Au-delà de cet instant, ils frappent un mur: le « mur de Planck ». Ni la physique quantique ni la relativité générale d’Einstein ne peuvent décrire ce qu’était l’état antérieur parce que, à cette échelle, les distances, les intervalles de temps, les températures et les autres propriétés physiques n’ont plus de sens en regard des théories physiques actuelles.

Cette incapacité à aller au-delà du mur de Planck ne signifie évidemment pas qu’il n’y a rien au-delà. Hubert Reeves utilise l’analogie de l’horizon:

« On peut aller jusqu’à 13,7 milliards d’années et au-delà on ne sait rien. Mais ce n’est pas un début; c’est plutôt un horizon comme lorsque vous êtes sur le bord de la mer. Vous voyez de l’eau jusqu’à l’horizon mais ne vous avisez pas de dire que ça s’arrête là parce que vous ne voyez pas au-delà. [..] L’idée n’est pas de dire que l’Univers n’existait pas ou qu’il n’a pas toujours existé; ces affirmations vont trop loin. »  (Qu’y avait-il avant le Big Bang?, Du Big Bang au vivant)

Le physicien et philosophe Étienne Klein, qui a participé aux travaux du collisionneur LHC destiné à débusquer le fameux boson de Higgs, parle du bigbang comme d’un « moment de transition d’un Univers d’avant à un Univers d’après »:

« le Big Bang n’est plus l’origine explosive qui aurait créé tout ce qui existe, l’espace, le temps, la matière, l’énergie, mais il devient une sorte de transition, de phase qui fait passer d’une situation antérieure à une situation postérieure qui correspondrait à notre univers. On n’a donc plus le droit de parler d’origine. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’origine, cela veut dire que l’origine est constamment déplacée, jamais saisie, et que la question de savoir si il y en a vraiment eu une, se pose. » (TV5Monde: L’univers ne commence pas avec le Big Bang).

D’autres n’hésitent plus à envisager la possibilité de percer le mystère de l’avant bigbang. Commentant les travaux sur le rayonnement fossile réalisés à l’aide du satellite Planck de l’Agence spatiale européenne, l’astrophysicien George Efstathiou affirme :

« Il est très possible qu’il y ait eu une phase dans l’Univers avant que le bigbang ne se produise, [phase] où l’on puisse tracer l’histoire de l’Univers antérieure au bigbang. » (ESA: New Planck findings challenge the Big Bang theory)

À la lumière de ces travaux, certains chercheurs de l’observatoire BICEP2, dédié lui aussi à l’étude du rayonnement fossile, ramènent l’hypothèse d’un Univers cyclique en expansion-contraction:

« […] il est possible, soutient Paul Steinhardt, que l’Univers ait existé avant le bigbang et qu’il se soit contracté dans un « bigcrunch » avant d’exploser à nouveau ».

C’est aussi ce que défend Roger Penrose pour qui notre bigbang n’est que l’un d’une série d’évènements du genre ayant marqué l’évolution de l’Univers. Cette sommité de la physique et des mathématiques soutient même que les irrégularités perçues dans le rayonnement fossile peuvent être des traces de l’avant bigbang.

Quoi qu’il en soit, les physiciens s’accordent tous pour dire que l’Univers actuel a eu un avant. Dans leur recherche d’une « théorie du tout » permettant d’unifier la mécanique quantique et la théorie de la relativité générale, l’intervention divine à laquelle croit le pape ne leur sera pas d’un grand secours.

La réponse viendra plutôt de la cosmologie quantique dont l’une des pistes les mieux connues est la théorie des cordes. De façon très simplifiée, cette théorie (controversée) est fondée sur l’idée que les constituants fondamentaux de l’Univers que nous percevons comme une diversité de particules seraient plutôt des « cordelettes » vibrant à des fréquences différentes donnant ainsi naissance aux diverses particules élémentaires.

Les propos du pape non seulement dénaturent la théorie du bigbang et alimentent les croyances populaires mal fondées mais vont tout simplement à l’encontre de la cosmologie moderne : le commencement du monde semble effectivement être issu d’un chaos plutôt que de la pensée de Dieu ou du rêve de Vishnou.

Le créationnisme papal

François 1er ne dénature pas que le bigbang mais également la théorie de l’évolution.

«Dieu, a-t-il expliqué à ses académiciens, n’est pas un démiurge ou un magicien, mais le Créateur qui a donné vie à toutes choses et qui a mis l’Univers en mouvement, en établissant les règles qui allaient nous créer. L’évolution de la nature n’est pas incohérente avec la notion de création, parce que l’évolution requiert la création d’êtres qui évoluent.»

Ouf! Passons sur la circularité du raisonnement. Sur le fond, en quoi la nature évolutive des formes de vie requiert-elle une création au sens où l’entend le pape? Appliquer ce raisonnement à d’autres propriétés du vivant comme la compétition, la cruauté et la souffrance en fait ressortir toute l’incohérence.

La position du Vatican, depuis l’admission par Jean-Paul II que « la théorie de l’évolution est plus qu’une hypothèse », consiste à dire que Dieu a inscrit les règles de l’évolution dans la nature qu’il a créée. Et le tour est joué! Il a donc créé, comme le dit François 1er, des « êtres capables d’évolution ». Exit la sélection naturelle. Pourquoi a-t-il procédé ainsi? Mystère dont lui seul a la réponse.

Il s’agit d’un travestissement de la théorie de l’évolution qui opère non pas par un potentiel évolutif individuel mais par « la descendance avec modification » comme le précisait Darwin. Non seulement cette théorie ne requiert aucune intervention divine mais elle est contraire à cette idée puisque l’évolution ne poursuit aucune direction prédéterminée : elle ne repose que sur la sélection purement naturelle de variations génétiques dues au hasard ou à l’environnement épigénétique. La position du Vatican n’est rien d’autre que du « créationnisme évolutionniste » à mi-chemin entre le créationnisme biblique et le dessein intelligent.

La théorie du bigbang et la théorie darwinienne de l’évolution sont deux des plus grands triomphes de la pensée scientifique et de la méthode scientifique. Elles sont appelées «  théories » non pas au sens courant d’hypothèses mais au sens de systèmes explicatifs fondés sur l’observation et l’expérimentation, permettant de formuler des prédictions vérifiables et qui sont continuellement mises à jour à la lumière des nouvelles connaissances.

Les affirmations antiscientifiques de François 1er révèlent à nouveau toute l’incompatibilité entre science et religion.