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La Commission des droits de la personne veut protéger les religions

Une demande d’amendement à la Charte des droits et libertés va à l’encontre du droit international.

Le 2 décembre dernier, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) rendait public un avis adressé au gouvernement du Québec demandant d’apporter un amendement à la Charte des droits et libertés. L’amendement recherché aurait pour effet d’interdire «les discours et propos haineux qui ciblent les membres de groupes en raison notamment de leur sexe, orientation sexuelle, origine ethnique, race ou religion».

Plus précisément, l’amendement permettrait à un individu faisant partie de l’un des groupes visés de porter plainte s’il juge que son groupe est collectivement victime d’intimidation ou de diffamation. Actuellement, une telle plainte n’est possible au Québec que si le plaignant est personnellement victime de cette discrimination.

Notons que les dispositions du Code criminel du Canada sur la propagande haineuse (art. 319) comportent déjà une mesure semblable mais qui n’inclut pas les femmes parmi les groupes identifiables visés. Un tel ajout est réclamé depuis longtemps par plusieurs associations féministes. L’objectif de la CDPDJ est donc louable et mérite d’être soutenu.

La liberté d’expression menacée

Toutefois, ce projet comporte un aspect pernicieux qu’il faut dès maintenant contrer. En mettant sur le même pied des éléments qui ne sont pas de même nature, la CDPDJ répète le vice d’architecture juridique que l’on retrouve dans la charte canadienne et dans la charte québécoise.

La religion, en effet, ne peut être traitée sur le même pied que le handicap, l’appartenance ethnique ou le sexe. D’une part, parce que les éléments de nature biologique sont des réalités objectives sur lesquelles personne ne peut rien ni ne doit avoir quoi que ce soit à redire, alors que la religion relève de l’adhésion volontaire à un système de valeurs et de croyances. D’autre part, parce que ce système de croyances et de valeurs englobe tous les aspects de la vie et s’oppose plus souvent qu’autrement aux autres droits fondamentaux reconnus dans les chartes.

La frontière entre la critique des religions et les propos perçus par certains comme diffamatoires ou haineux est floue et subjective. La démarche de la CDPDJ comporte donc un risque sérieux de limiter indûment la liberté d’expression lorsqu’il s’agira, par exemple, de critiquer les religions qui ne reconnaissent pas l’égalité des sexes ou de combattre des croyances, tel le créationnisme, incompatibles avec les connaissances scientifiques.

Autant il importe de protéger la liberté de religion lorsqu’elle est exercée dans le cadre des limites de la loi, autant il importe de protéger la liberté de critiquer ces religions même lorsque ces critiques sont considérées comme blasphématoires par certains croyants. L’amendement recherché devra donc être formulé de telle sorte qu’on ne puisse pas mettre dans le même fourre-tout l’incitation à la haine et la critique nécessaire à l’avancement des libertés civiles.

La menace contre la liberté d’expression est d’autant plus réelle que le Code criminel exclut des propos haineux toute «opinion fondée sur un texte religieux auquel [on] croit». Autrement dit, il est permis de tenir des propos haineux à l’endroit des femmes, des homosexuels ou des athées si ces propos reposent sur des croyances religieuses.

De plus, ce même Code criminel interdit le blasphème (art. 296). On peut se demander si la publication des caricatures de Mahomet, jugées blasphématoires par certains musulmans, aurait été permise au Canada.

Étant donné ce contexte juridique, la CDPDJ a raté une belle occasion de chercher à contrebalancer ces deux dispositions de la loi fédérale au lieu de conduire, volontairement ou non, à les renforcer.

Un président sous influence

Il y a plus. Les propos tenus par le président de la CDPDJ, Jacques Frémont, à la Première chaîne de Radio-Canada (allez à la 5e minute) n’ont rien de rassurants. M. Frémont a fait allusion à une recommandation du Haut commissariat aux droits de l’homme de l’ONU qui irait dans le sens de ce que recherche la CDPDJ.

Ce qu’il ne dit pas, c’est que la position actuelle de l’Assemblée générale de l’ONU, faisant suite à une résolution du Conseil des droits de l’Homme en 2011, précise que ce sont les personnes, et non les religions, qui doivent être protégées de la discrimination et de l’incitation à la haine. Jusqu’ici, les instances onusiennes se sont toujours opposées au concept de diffamation des religions jugé incompatible avec le droit international ayant pour fonction de protéger les individus et non pas les systèmes de pensée.

Mais depuis l’affaire des caricatures de Mahomet en 2005, cette position fait l’objet de pressions intenses et constantes de la part de l’Organisation de la coopération islamique (OCI). Cette organisation supra-étatique religieuse regroupe de nombreux pays réfractaires aux droits humains comme l’Arabie saoudite (siège social), l’Iran, le Pakistan, le Soudan, l’Afghanistan et le Qatar et cherche à faire interdire la critique contre la religion et à criminaliser le blasphème au nom de la charia. Malgré la défaite de 2011, l’OCI multiplie les pressions dans les diverses organisations internationales, en modifiant son libellé tantôt par « dénigrement » tantôt par « intolérance religieuse », mais l’objectif reste toujours le même. Ces pressions constantes tiennent en alerte les associations dédiées à la protection du droit à la liberté d’expression.

En omettant de préciser ce contexte, Jacques Frémont induit le public en erreur. Les exemples qu’il a apportés lors de ses entrevues nous incitent même à penser qu’il est sous l’influence d’un discours pro-OCI. Évidemment, les journalistes de Radio-Canada n’ont pas fait ce rapprochement.

Le projet qu’il pilote est à mettre en relation avec l’attaque lancée l’année dernière, en tant que président de la CDPDJ, contre sur le projet de loi sur la laïcité. Son intervention non sollicitée et fondée sur l’approche multiculturaliste canadienne, a été qualifiée de prématurée, de biaisée et de mal fondée par de nombreux experts qui ont déploré les omissions dans ses références juridiques.

La demande d’amendement à la charte des droits paraît entachée du même biais multiculturaliste et anti-laïque et mérite d’être mise sous surveillance.

 

Une version « amincie » de ce texte est parue dans Le Devoir du 13 décembre.