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Charlie Hebdo: le refus de « nommer la chose » entretient la confusion

On ne me fouettera jamais pour avoir écrit ce texte. Raif Badawi, lui, a été condamné à 1000 coups de fouet et 10 ans prison pour avoir blogué.

Peut-on être de gauche et ne pas craindre d’appeler un chat un chat? Pour plusieurs, il semble que non. De nombreux intervenants dans le débat suscité par la tuerie de Charlie Hebdo estiment que parler d’islamisme radical dans un tel cas constitue un dangereux « amalgame » que seule la droite peut faire.

Que révèle la phobie de l’amalgame?

Le plus bel exemple est la couverture du Téléjournal de Radio-Canada présenté le soir de la tuerie. Le journaliste et écrivain français Arthur Dreyfus accorde une entrevue à Geneviève Asselin dans laquelle il attribue la responsabilité de l’attentat à l’islamisme radical tout en prenant soin de le différencier de l’islam pratiqué par l’immense majorité des musulmans. Dreyfus fustige aussi la fausse crainte de l' »amalgame » (à partir de 14:45 dans cette vidéo). Tout de suite après, on nous présente un extrait de la déclaration de Marine Le Pen qui affirme qu’il s’agit d’un « attentat terroriste commis au nom de l’islamisme radical ».

Il n’en fallait pas plus pour associer les propos de Dreyfus à une analyse de la droite. C’est ce que fait de façon encore plus explicite Geneviève Asselin en déclarant que si les politiciens hésitent à montrer du doigt l’islamisme radical, ce n’est pas le cas pour « la chef du Front national, parti d’extrême droite, qui cherche à marquer des points en nommant ainsi cette chose« . S’en suit un échange avec Alexandra Szacka qui dit craindre, elle aussi, que ce soit l’extrême droite qui marque des points « en nommant de façon très simple des réalités très complexes« . Pour la correspondante, il faut se demander pourquoi certains jeunes se radicalisent et les causes de cette radicalisation lui apparaissent « extrêmement complexes ». Les réponses faciles conduiraient à « faire des amalgames ».

Autrement dit, la gauche serait incapable de nommer correctement les choses et de tenir un discours cohérent face à un terrorisme se réclamant de la religion. Peut-on être de gauche et attribuer sans ambages cette tuerie à l’islamisme radical? Ma réponse est oui et je ne fais pas d’amalgame entre islamisme et islam, ni entre les terroristes islamistes et l’ensemble des musulmans. Je pense que le commun des mortels est en mesure de faire ces distinctions, à moins d’être un demeuré ou d’être animé par des motifs anti-musulmans. Dans ce cas, les précautions des ceux qui refusent de nommer les choses par leur nom sont inutiles.

Et réduire l’identification de l’islamisme radical à une analyse d’extrême droite, c’est aussi tomber dans la facilité et c’est faire de l’amalgame, mesdames.

L’échange des deux journalistes nous révèlent aussi que derrière ces précautions inutiles, même si le motif est défendable, se cache l’idée que le seul appel à la violence est insuffisant en soit pour expliquer le recours à la violence. Il faut trouver d’autres raisons: la misère des faubourgs, le chômage, la folie, le colonialisme, les croisades, et quoi d’autre? Si les appels à la violence sont insuffisants comme cause, à quoi bon condamner, voire interdire, ces appels?

Quel est le « vrai islam » ?

Les auteurs de la tuerie se réclament eux-mêmes de l’islam. Et les djihadistes accusent les non djihadistes de ne pas pratiquer le « vrai islam ». À qui appartient-il de dire que leurs gestes sont contraires au « vrai islam »? Qui peut définir ce qu’est le bon islam et un mauvais islam alors que cette religion n’a aucune autorité théologique pouvant assurer l’adaptation de la doctrine à l’évolution sociale?

islamDes musulmans sont légitimés de dire « leur islam n’est pas le nôtre », ce qui laisse présager l’émergence d’un islam réformé et respectant la démocratie. Même dans un tel cas, la disparition du fondamentalisme et de l’islamisme politique est difficilement envisageable.

Aurait-on par ailleurs oublié que le procès intenté à Charlie Hebdo en 2006 l’a été par la Grande mosquée de Paris, l’Union des organisations islamiques de France et la Ligue islamique mondiale? Ce sont des organismes musulmans se réclamant eux aussi du « vrai islam » et qui ont jugé que la publication des caricatures de Mahomet était « une injure stigmatisant un groupe de personnes au nom de la religion » (1). Ces plaignants ont perdu leur cause mais les djihadistes ont pris la relève. Comment le recteur de la Grande mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, peut-il aujourd’hui verser des larmes de crocodile devant la porte du Charlie Hebdo pour déplorer « les atteintes à la démocratie« ?

Le fait de refuser de « nommer ainsi la chose » révèle finalement que ceux qui adoptent cette attitude mettent dans le même ensemble indifférencié musulmans et islamistes radicaux. Cela m’apparait évident à la lecture de la déclaration du député de Québec solidaire Amir Kadir :

« Devant l’horreur, nous sommes en choc mais nous ne céderons pas aux amalgames et à la stigmatisation de certaines communautés. »

Si nommer l’islamisme radical comme responsable de la tuerie conduit à stigmatiser une communauté, cela révèle qu’islamistes politiques et musulmans sont considérés comme une même communauté. Sinon, il n’y aurait aucun problème à montrer du doigt l’islamisme. Taire la chose est donc la meilleure façon d’entretenir la confusion.

Tout compte fait, le refus de cibler l’islamisme radical apparaît comme un faux-fuyant cachant un refus de critiquer les religions, même lorsqu’elles servent de caution à des violences extrêmes ou qu’elles en sont la source.

Une attaque à la liberté de presse ou au droit de critiquer la religion?

Depuis l’attentat, les journalistes sont unanimes à considérer l’évènement comme une attaque contre la liberté de presse. C’en est effectivement une.

Mais les terroristes ne s’en sont pas pris à un syndicat de journalistes ni à un organisme régulant la liberté de presse. Ils ont attaqué un journal qui a publié des caricatures de Mahomet. Il s’agit donc d’abord et avant tout d’une attaque contre le droit de critiquer les religions. De façon plus précise encore, contre le droit de critiquer l’islam, un objectif mené au niveau international par l’Organisation de coopération islamique. Et cela, je ne l’ai pas entendu sur les ondes de Radio-Canada dans les 48 heures qui ont suivi les évènements, même si les victimes sont des libres penseurs athées et des défenseurs de la laïcité. J’ignore si cela a été dit par d’autres journalistes, mais c’est pour cette raison qu’ils ont été lâchement assassinés et non seulement parce qu’ils étaient des journalistes.

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1. Notez la parenté d’esprit entre cette formulation et la demande d’amendement à la Charte québécoise des droits et libertés réclamé par la Commission des droits de la personne.